Thierry Souccar, journaliste-enquêteur à composante scientifique, publie en 2004 Santé, mensonges et propagande avec Isabelle Robard. Selon lui, c’est ce livre qui est à l’origine de la prise de conscience progressive par le public d’une remise en question possible du bien-fondé de notre consommation de lait et de laitages. Face à ce premier succès, il consacre un deuxième livre au lait et aux produits laitiers, publiant en 2007 Lait, Mensonges et Propagande [42].
Voici quelques notes prises à la lecture de l’ouvrage, qui permettent de refléter le point de vue de l’auteur : celui-ci n’est pas contre les produits laitiers, mais contre leur surconsommation sous le prétexte qu’il serait bon pour la santé.
Préface du Pr Henri Joyeux, chirurgien – cancérologue à la faculté de médecine de Montpellier
« Ce livre ne peut faire que du bien à la Santé publique. Il est surtout en avance sur le temps qui vient. »
Le professeur décrit notre « intoxication au lait » comme un « lactoolisme », provoqué par les lobbies mondiaux du lait. Le lait ne serait pas bon pour l’adulte car il contient trop d’hormones favorisant la croissance du veau. Le lait n’est pas non plus la meilleure source de calcium, l’assimilation du calcium végétal est nettement supérieure.
« Il est désormais certain qu’il n’y a aucune preuve scientifique sérieuse pour affirmer qu’il faut pour sa santé consommer trois à quatre laitages par jour. »
Le professeur termine sa préface en mentionnant le fait qu’il a fallu 50 ans pour que nous nous rendions compte des méfaits du tabac: combien de temps nous faudra-t-il pour purger nos fausses idées sur le lait?
« Confessions d’un ex-buveur (de lait) »
Thierry Souccar commence son livre par son propre témoignage. Enfant, il buvait du lait. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 qu’il commence à remettre en question sa consommation de lait, et décide de récolter toutes les données scientifiques sur le sujet. Il se rend alors compte que les produits laitiers ont peu de qualités nutritives. Les affirmations de l’industrie laitière quant au bénéfice nutritionnel du lait et des laitages reposent sur un petit nombre d’études toutes financées par leurs soins.
« Entendons-nous bien. Je dis oui au yaourt, au fromage, au bol de lait qui agrémente le repas. […] Oui au plaisir donc, mais non au diktat. Je considère qu’il est irresponsable de continuer à encourager les français à manger autant de laitages sous le prétexte de préserver leur santé. »
Quelques chiffres
Thierry Souccar donne alors quelques chiffres clés (les sources ne sont pas citées):
- L’agrobusiness laitier en France a un chiffre d’affaire qui dépasse 20 milliards d’euros.
- L’industrie laitière représente 20% du chiffre d’affaire des industries agroalimentaires françaises et emploie directement 180 000 personnes.
- Elle est le premier annonceur publicitaire.
- La consommation moyenne annuelle équivalent lait d’un français est de 371kg.
Historique de la consommation de lait en France
Thierry Souccar choisit alors de traiter le sujet du point de vue historique, en prenant comme point de départ l’année 1955: Pierre-Mendès France prend alors la décision de distribuer gratuitement du lait dans toutes les écoles primaires de France. C’est la période de l’après guerre, pour consolider l’Europe il faut du lait et du sucre, les programmes alimentaires font l’éloge du lait.
Trois lobbies, que Thierry Souccar appelle les « envahisseurs » apparaissent:
- la Fédération nationale des producteurs de lait
- la Fédération nationale des coopératives laitières
- la Fédération nationale des industries laitières
Ils se regrouperont sous le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (CNIEL), qui a créé le CIDIL (Centre interprofessionnel de documentation et d’information laitières).
L’industrie finance aussi une grande part de l’Institut français pour la nutrition (IFN). Au fil des années apparaissent des affaires louches, par exemple le directeur du PNNS (plan national nutrition santé) en 1999 siégeait à l’institut Candia. Thierry Souccar souligne également la grande importance du National Dairy Concil des Etats-Unis.
« L’industrie laitière a réussi à persuader les médecins que le lait est un aliment essentiel. »
Démystification de nos besoins en calcium
Thierry Souccar liste d’abord toutes les campagnes menées ses dernières années pour avertir la population des dangers des carences en calcium. Il montre ensuite qu’il n’y a aucune corrélation scientifique prouvée par des études indépendantes entre l’apport en calcium et la bonne santé osseuse. Pire, une étude européenne CALEUR (Ration alimentaire en calcium et masse osseuse) commencée en 1995 voit ses résultats étouffés car elle ne constate aucune différence entre des sujets chez lesquels l’apports en calcium varient du simple au double. Pourtant, les apports conseillés en calcium ont bel en bien été augmentés.
L’ostéoporose peut être directement diagnostiquée en mesurant la densité osseuse, ce qui permet de réaliser de nombreuses études avec un critère plus simple que le risque de fracture. Cependant, aucune conclusion scientifique formelle n’a été trouvée en plus de vingt ans. On a par contre réussi à imposer l’idée qu’il est important de se constituer avant 20 ans un « capital osseux ». Pour l’auteur, l’équation est absurde:
« Risque faible de fractures = densité osseuse élevée à 50 ans = pic de masse osseuse maximum à 20 ans = plus de calcium donc plus de laitages = moins de fractures. CQFD »
L’auteur étaye tous ses arguments par des références précises à des études scientifiques, citant pas moins de 230 études à la fin de son livre.
Preuves que « les laitages ne préviennent pas de l’ostéoporose
Thierry Souccar met en regard deux citations:
« Le calcium du lait prévient l’ostéoporose », INRA, 2008
« Croire que l’ostéoporose est due à un manque de calcium, c’est croire que les infections sont dues à un manque de pénicilline. » Pr Mark Hegsted, professeur émérite de nutrition, université de Harvard.
Il avance des arguments géographique: la consommation de lait est très inégale de par le monde, on constate moins de fractures en Asie et en Afrique noire, où l’on consomme moins de laitages. Les suédois détiennent eux à la fois le record de la consommation de laitage et celui du plus grand nombre de fractures du col du fémur. En 2002, l’OMS a identifié ce phénomène sous le nom de « paradoxe du calcium ».
« Je pourrais dans ce livre procéder à la longue énumération des études qui condamnent les laitages, en écartant les résultats qui leurs sont favorables. Ce ne serait pas très honnête. J’ai donc décidé de présenter les résultats des chercheurs qui ont essayé avant moi de dégager une tendance de l’ensemble de ces études. »
Sur neuf grandes « méta-analyses » menées, les résultats sont différents, car les approches sont différentes: certains donnent une note de fiabilité aux différentes études avant d’effectuer l’analyse statistique, d’autres sont directement financés par l’industrie laitière (Thierry Souccar donne toutes les sources des études). Au final, aucune conclusion ferme, mais en creusant un peu on peut conclure de l’absence de lien entre une augmentation des apports en calcium et la bonne santé osseuse.
« Inutile d’être médecin ou scientifique pour en tirer la seule conclusion qui s’impose: rien, absolument rien ne permet aujourd’hui d’affirmer qu’en consommant toute sa vie 3 à 4 laitages par jour on évitera une fracture du col du fémur. C’est pourtant sur ces résultats qu’est bâti le message de santé publique selon lequel il faut consommer 3 à 4 laitages par jour pour avoir des os solides. »
Explications à l’épidémie d’ostéoporose
Thierry Souccar s’appuie sur l’avis du professeur Mark Hegsted, créateur du professorat de nutrition de l’Ecole de santé publique de Harvard. Pour lui, nous consommons trop de calcium. Nous perdons alors notre capacité à utiliser efficacement le calcium que nous absorbons. Mais il avance aussi sa propre hypothèse: « la consommation tout au long de la vie durant de quantités massives de calcium laitier est une anomalie dans l’histoire de l’évolution. Cette afflux de calcium laitier épuise en quelques décennies la capacité de l’os à se renouveler. » Il décrit alors d’une façon scientifique le processus de remodelage osseux, qui serait déficient dans le cas de l’ostéoporose. Il montre en s’appuyant sur des études scientifiques que la consommation de produits laitiers conduit à l’absorption par l’organisme d’une substance appelée IGF-1 (Insulike growth factor-1) qui augmente fortement le remodelage osseux. Ceci provoque un « stress » bénéfique pendant les périodes de croissance, mais qui conduit à l’épuisement du processus de remodelage osseux chez l’adulte.
L’intolérance au lactose
75% des habitants de la Terre ne sont pas capables de digérer le lactose (source absente).
« Ne pas digérer le lait n’est ni une maladie, ni une anomalie qu’il faudrait corriger – contrairement à ce que voudrait vous faire croire la publicité – mais plutôt la règle chez les mammifères et dans l’espèce humaine. »
La capacité ou non de digérer le lactose est sous contrôle génétique. Les symptômes de l’intolérance au lactose sont diminués pour la consommation de yaourts par rapport au lait, mais peuvent rester gênants chez certains patients. Il faut alors des régimes alimentaires adaptés, bannir le lait ne suffit pas. Cette « épidémie silencieuse » touche au minimum 5 millions de français (là encore, Thierry Souccar ne donne pas de source claire)
Liens entre lait et cancer
Thierry Souccar s’appuie sur les travaux de T. Colin Campbell, professeur émérite de nutrition à l’université de Cornell. Celui-ci a réalisé des études sur les liens entre le développement de cancer chez les rats et leur consommation d’une protéine du lait, la caséine. Les résultats sont clairs, la caséine à dose élevée favorise le développement du cancer. Mais aucune étude n’a été effectuée chez l’homme. On sait par contre que l’absorption par l’organisme adulte de l’hormone IGF-1 présente dans le lait est associée à un plus grand risque de cancer.
« Les pays les plus gros consommateurs de laitages sont aussi les plus frappés par le cancer de la prostate: c’est ce que montrent toutes les études de consommation. »
Pour étayer son argumentation, Thierry Souccar retranscrit un entretien (réalisé par Patrick Holford) avec le professeur Jeff Holly, de l’université de Bristol. Interrogé sur le rôle de l’IGF, il répond que celui-ci est essentiel pour l’organisme, mais que tout est question de la juste proportion: présent en trop grande quantité, il favorise le risque de cancer, absent de l’organisme il entraîne l’apparition de maladies cardiovasculaires par exemple.
« Le lait est conçu pour combler un fossé entre la naissance et le développement par le bébé d’un système digestif mature, capable de tirer le maximum de bénéfices des nutriments de l’alimentation. Il est plein d’hormones complexes que l’on ne trouve dans aucun autre aliment. Cela n’a aucun sens de continuer à le boire à l’adolescence ou à l’âge adulte. » (Jeff Holly)
Le lait ferait-il maigrir?
Thierry Souccar fait allusion aux campagnes publicitaires des années 2000 présentant le lait et les laitages comme aidant à maigrir. Des études menées par le docteur Michel Zemel, de l’université du Tennesse à Knoxville, qui s’avère sponsorisées par l’industrie laitière, ont montré que l’augmentation de la consommation de calcium aidait à maigrir. A bien y regarder, ces « preuves » reposent sur des études menées au total sur une soixantaine de personnes, les résultats ont été gonflés par les industriels. Les résultats obtenus n’ont jamais été reproduits, malgré un grand nombre d’études attachées à ce sujet.
Liens entre la consommation de lait, le diabète, la sclérose en plaque, l’obésité et l’infarctus
Thierry Souccar mentionne l’étude TRIGR (Trial to reduce IDDM in the genetically at risk) dont les résultats sont attendus pour 2012. Elle confirmera ou infirmera le fait que le lait soit en tête de liste des facteurs contribuant au diabète de type 1. Ce sont les protéines du lait qui sont suspectées, contre lesquelles l’organisme produirait des anticorps liés au développement de la maladie.
La géographie de la sclérose en plaques est très ressemblante à celle du diabète de type 1 et de l’ostéoporose. L’auteur s’interroge donc sur le rôle de la consommation de lait dans le développement de la maladie. Quelques études vont dans le sens d’un lien probable, mais aucun résultat n’est suffisamment convaincant pour conclure.
Thierry Souccar avertit toutefois le lecteur contre les mauvaises interprétations des études d’observation: tant qu’une relation de cause à effet n’est pas mise en évidence, l’interprétation des résultats peut conduire à des conclusions erronées, du type « Depuis 50 ans, tant la température moyenne de la planète que la criminalité ont augmenté. Donc, l’augmentation de la température est à l’origine de la criminalité. »
Les résultats des études épidémiologiques ne convergent pas toutes vers les mêmes conclusions:
« l’agrobusiness laitier ne communique que sur les études qui vont dans son sens, et […] passe les autres sous silence. »
Conseils nutritionnels
« L’un des messages nutritionnels récurrents dans les pays développés c’est qu’il n’est pas possible de maintenir un statut adéquat en calcium si l’on ne consomme pas de laitages. A se demander comment l’espèce humaine qui a traversé plusieurs millions d’années sans une goutte de lait (sauf celui de la mère) tient encore debout. »
Apports conseillés en calcium en France: 1200 mg/jour chez l’adolescent, les femmes âgées de plus de 55 ans et les hommes âgés de plus de 65 ans, 900 mg/jour chez l’adulte. Mais ces chiffres dépendent beaucoup du mode de vie. Selon Thierry Souccar, ils ont été calculés sur la base d’un régime alimentaire riche en sel et en protéines, contradictoire avec le régime optimal prôné par le PNNS. Il avance même que moins on consomme de calcium, mieux celui-ci est fixé par l’organisme. Pour lui, la moitié des apports recommandés suffit largement, et corresponds aux apports en calcium dans les pays asiatiques où l’on consomme très peu de lait et de laitages. Le lait et les laitages sont loin d’être les seules sources de calcium: choux, épinards, sardines, eaux minérales sont également riches en calcium absorbable par l’organisme.
Thierry Souccar termine sur des considérations plus générales sur l’alimentation et propose sa façon de bien manger, en citant son livre La meilleure façon de manger.
Annexes
Dans les annexes rajoutées à la seconde édition du livre en 2008, il donne les réponses à des questions fréquemment posées par ses lecteurs.
« Dans l’alimentation oui, je pense que l’affaire du lait est un scandale, car il s’agit de pure propagande, de désinformation et d’intoxication du corps médical et des diététiciens. »
Il affirme avoir subit des pressions, ses interventions à la radio et à la télévision ont fréquemment été décommandées sans raison valable. Mais grâce à sa propre maison d’édition et à certains media courageux, il arrive à se faire entendre.
Il se livre au même jeu de questions-réponses avec l’industrie laitière. Il se réfugie souvent pour répondre derrière le grand nombre de références citées dans son livres (plus de 230), ainsi que derrière le fait qu’il n’a pas considéré uniquement les études allant dans son sens, mais les « méta-analyses » recoupant diverses études scientifiques et donnant des conclusions parfois contradictoires.
Il répond également que l’article L. 4113-13 du Code de la santé publique — « Les membres des professions médicales qui ont des liens […] avec des organismes de conseil intervenant sur les produits laitiers, sont tenus de faire connaître ces liens lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique » — est rarement respecté.