Les sources du droit non écrites : la jurisprudence tendrait-elle à considérer le Syndrome d’Aliénation Parentale ?
La jurisprudence a à plusieurs reprises tendu vers une reconnaissance des expertises psychiatriques dénonçant le Syndrome d’Aliénation Parentale.
▪ Arrêt rendu par la cour d’appel de Rennes, n° 14/01014, 30 juin 2015,
Sur l’assignation délivrée par la partie demanderesse, la mère de l’enfant, qui invoquait des violences du père sur l’enfant, le juge aux affaires familiales du Tribunal de grande instance de Saint-Malo a, par jugement du 29 novembre 2012, ordonné une expertise psychiatrique et fixé, dans l’attente du dépôt du rapport, le droit de visite du père deux fois par mois en lieu neutre.
Dans cet extrait de l’arrêt on voit bien qu’à la suite d’une expertise psychiatrique le juge a adopté des théories scientifiques conseillant que les rencontres entre parent rejeté et enfant aliéné se fassent en lieu neutre (LIEN)
▪Arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon, n°10/03534, 19 décembre 2011,
La cour déclare que le demandeur à l’instance exercera son droit de visite sur ses deux enfants dans les locaux de l’Association CARIC de Bourg-en-Bresse, deux fois par mois, selon les modalités fixées par l’association en fonction de l’intérêt des enfants et compte tenu du règlement intérieur de l’association qui s’impose aux parties.
Ici la cour suit à nouveau une tendance conseillée par les psychologues qui se sont intéressés au Syndrome d’Aliénation Parentale. Ils privilégient en effet un tiers neutre pour favoriser les rencontres avec le parent rejeté et l’enfant aliéné.
La CEDH
Ces deux arrêts relativement récents semblent suivre la jurisprudence que la Cour Européenne des Droits de l’Homme semble appliquer depuis 2006.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après Cour), se dirige pas à pas vers une reconnaissance des effets du Syndrome d’Aliénation Parentale et tient compte des expertises psychiatriques dans ses décisions.
Pour se faire, elle s’appuie notamment sur l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après convention).
On peut notamment citer trois arrêts phares dans le processus de reconnaissance du SAP :
▪ Bianchi c/ Suisse, no 7548/04, 22 septembre 2006
▪ Zavrel c/ République Tchèque, no14044/05, 18 janvier 2007
▪ Mihailova c/ Bulgarie, no 35978/02, 12 juin 2006
Bianchi c/ Suisse
En Suisse, en 2003, une mère avait refusé de restituer à son père son enfant, violant ainsi la décision du tribunal suisse. La Cour est saisie et rend un jugement définitif en 2006 dans lequel elle condamne la Suisse. Elle avait alors estimé que les autorités suisses qui avaient échoué à faire respecter la décision du tribunal avaient fait preuve d’une passivité répressible. Elle énonce en son paragraphe 99 que « l’attitude [des autorités] témoigne dans l’ensemble d’un certain laxisme, qui ne cadre ni avec l’objet et le but de la Convention de La Haye, ni avec son libellé particulièrement clair et rigoureux. Cette passivité est à l’origine de la rupture totale des relations entre l’enfant et son père, qui dure depuis près de deux ans et qui comporte, vu le très jeune âge de l’enfant, le risque d’une « aliénation » croissante entre les deux, aliénation qui n’est aucunement à considérer comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, mutatis mutandis, Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 79, CEDH 2002‑I). »
Elle en conclu dès lors qu’il y a eu violation de l’article 8 de la convention.
Zavrel c/ République Tchèque
Un an plus tard, le 18 janvier 2007, elle rend un second arrêt entérinant son premier raisonnement sur le Syndrome d’Aliénation Parentale. Dans l’affaire Zavrel c/ République Tchèque, une expertise pédopsychologique ordonnée par le tribunal avait relevé chez l’enfant un début de Syndrome d’Aliénation Parentale. Suite aux agissements de la mère, le parent aliénant, le droit de visite accordé au père avait été élargi. Le requérant dénonçait la passivité des autorités face au refus systématique de la mère de représenter l’enfant malgré la décision du Tribunal.
En son paragraphe 47 « La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires de pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’Etat de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement considéré comme une obligation négative peut s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale. Elles peuvent impliquer l’adoption de mesures visant au respect de la vie familiale jusque dans les relations des individus entre eux, dont la mise en place d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer les droits légitimes des intéressés ainsi que le respect des décisions judiciaires, ou des mesures spécifiques appropriées (Zawadka c. Pologne, no 48542/99, § 53, 23 juin 2005).
L’article 8 implique ainsi le droit d’un parent à des mesures propres à le réunir avec son enfant et l’obligation des autorités nationales de prendre des mesures adéquates pour assurer le respect de ce droit. Selon la Cour, il y a lieu de considérer ces principes comme s’appliquant aussi à des affaires ayant trait à un conflit opposant les parents quant au contact avec leur enfant (voir, mutatis mutandis, Mihailova c. Bulgarie).
Elle ajoute en ses paragraphes 52 et 53 de cette même décison que « au vu des faits susmentionnés, la Cour admet que la non-réalisation du droit de visite du requérant était imputable surtout au refus manifeste de la mère, puis à celui de l’enfant, programmé par cette dernière. Cependant, un manque de coopération entre les parents séparés ne saurait dispenser les autorités compétentes de mettre en œuvre tous les moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial […] ; il appartenait dès lors alors aux autorités compétentes de prendre les mesures adéquates afin de sanctionner ce comportement de la mère. […] La Cour note que selon le rapport d’expertise du 25 mars 2004, le Syndrome d’Aliénation Parentale n’était pas encore à l’époque très développé chez l’enfant et sa rencontre avec le requérant dans le cabinet de l’expert s’est déroulée sans problèmes. Si des mesures adéquates avaient été mises en œuvre rapidement, il n’aurait donc pas été difficile pour le mineur de se réhabituer aux visites de son père, ce qui a d’ailleurs été constaté par le tribunal régional encore dix-huit mois plus tard. Sur ce point, la Cour prend en compte l’argument du requérant selon lequel, au moment de son dernier entretien avec le tuteur, l’enfant se trouvait depuis un certain temps sous l’influence exclusive de sa mère, dans un milieu hostile à l’intéressé. »
La cour a conclu à la violation de l’article 8. On constate qu’elle dénonce la passivité des autorités face au phénomène du Syndrome d’Aliénation Parentale, et qu’elle soulève aussi la problématique du milieu de rencontre entre le parent rejeté et l’enfant aliéné (voir explications de Jean Pierre Cambefort)
Les autres sources du droit international
La Cour précise que les obligations que l’article 8 de la Convention fait peser sur les États contractants en matière de réunion d’un parent à ses enfants doivent s’interpréter à la lumière de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Ainsi la loi française reste muette au sujet du syndrome d’aliénation parentale, les justiciables victimes du SAP peuvent s’appuyer sur d’autres textes internationaux.
▪Pour consulter la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 nous vous conseillons de vous rendre sur le site de la Croix Rouge.
▪Pour consulter la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants nous vous conseillons le site de la HCCH.