Une médiatisation du Syndrome d’Aliénation Parentale
Bien que le Syndrome d’Aliénation Parentale était, à l’époque de sa théorisation par Richard Gardner, relativement marginal, il a connu ces dernières années une forte expansion, notamment dans l’espace public. La médiatisation du syndrome d’aliénation parentale a fortement évolué depuis le début de la controverse. En effet, on observe dans la presse une nette tendance à la hausse, en particulier dans les dix dernières années.
Evolution du nombre d’articles de presses contenant la mention « Syndrome d’aliénation parentale »
Paradoxalement, ce ne sont pas du tout les journaux médicaux qui écrivent le plus à propos du SAP (seulement 5% des articles) mais bien les quotidiens d’actualité. On trouve de nombreux articles dans les journaux grands publics nationaux (« Le Monde », « Le Figaro », « Aujourd’hui en France » … ) et Régionaux (« La Nouvelle République du Centre Ouest » et « La Voix du Nord » réunissent à eux deux 17% des articles que nous avons récolté).
Lorsque ces titres de presse traitent le Syndrome d’Aliénation Parentale, c’est la plupart du temps à travers un fait divers, une actualité précise.
Par exemple, en 2009 la petite Elise, trois ans et demi, est enlevée par sa mère. Cette dernière a agressé le père avant de s’enfuir vers la Russie avec son enfant. Ce fait divers fait bien évidemment les gros titres de tous les quotidiens d’actualité. Lorsque l’on retrouve l’enfant en Hongrie trois semaines plus tard de nombreux journaux relatent les faits, et analyse le comportement de la mère sous le prisme du Syndrome d’Aliénation Parentale. Paul Bensussan, pédopsychiatre très médiatisé explique notamment les mécanismes de ce syndrome dans La Voix du Nord.
Appropriation médiatique du SAP par les associations
Depuis une dizaine d’années, des associations dites « de pères » font parler d’elles. Ces associations ont pour but l’égalité entre hommes et femmes vis à vis des enfants, et donc notamment dans les jugements post-divorce. Elles considèrent qu’il existe actuellement une discrimination de fait envers les pères : l’INSEE recense en 2009 que 76 % des enfants de parents divorcés sont gardés principalement par leur mère et 9 % principalement par leur père. Selon les associations, ceux-ci accèderaient plus difficilement à la garde de l’enfant en cas de désaccord.
Des associations comme SOS Papa ou Les Papas = Les Mamans apportent du soutien au parents qui estiment être victimes de discriminations et tentent de faire modifier la li pour rétablir l’égalité entre les pères et les mères. Pour appuyer leur combat, ils ont besoin d’exister sur la scène médiatique, et tentent de faire parler d’eux dans les journaux.
L’exemple le plus marquant se situe en février 2015. Deux pères divorcés séparés de leurs enfants par décision du juge décident de monter sur des grues de chantier pour protester et réclamer une révision du jugement. Ce qui semble au premier abord être un geste impulsif et désespéré finira par ressembler à un coup de communication bien ficelé. Les pères ont préparé des pancartes, contacté la presse, et même prévu plusieurs téléphones mobiles pour répondre aux questions des journalistes. Suite à cette action médiatique, Christiane Taubira, alors ministre de la justice, a entamé des discussions avec les « papas perchés », soutenus par l’association SOS Papa ( plus de détails dans l’article de L. Quillet paru dans Le FigaroMadame le 28 Janvier 2015, Qui sont les papas perchés qui marchent vers l’Élysée ?).
On voit donc à quel point la médiatisation est un enjeu majeur pour les associations : elles ne peuvent pas faire bouger les choses sans communiquer au plus grand nombre. De nombreux articles de presses relaient d’ailleurs des colloques auxquels elles participent, comme ce colloque sur le SAP organisé par l’UDAF en décembre 2015.
Néanmoins le Syndrome d’Aliénation Parentale n’est pas le combat principal de ces associations de père, ce qui contraste avec leur omniprésence médiatique sur ce sujet. En effet leur seul but est de garantir l’égalité entre les pères et les mères, et l’aliénation parentale n’est qu’un des obstacles à cette égalité. Les médias parlent donc principalement à travers la vision des pères, et leur combat égalitaire. Il faut tout de même penser qu’il est question d’enfants, et qu’il est essentiel qu’ils restent au coeur du débat. Une des mesures phare que réclament les associations de père est la garde alternée égalitaire obligatoire. Ils estiment que partager le temps de l’enfant inévitablement entre son père et sa mère, c’est déjà l’influencer, et ainsi faire un pas vers l’aliénation parentale. Néanmoins certaines voix se sont élevées pour rappeler le danger pour l’enfant de telles situations. Le psychiatre Maurice Berger par exemple affirme quand il est interrogé par des journalistes que cela peut nuire à l’équilibre d’un enfant de ne pas avoir un parent référent.
Du « Syndrome d’Aliénation Parentale » à « l’Aliénation Parentale » : une définition élargie
Dans un certain sens, on peut dire que la médiatisation du SAP à travers les associations a transformé la controverse : la question médicale est éludée dans le débat tel qu’il est médiatisé. Savoir si l’aliénation parentale est un syndrome n’intéresse pas les associations : seul compte pour eux le fait que des enfants rejettent un des parent (le plus souvent le père). On ne parle d’ailleurs plus tellement de SAP, mais seulement « d’aliénation parentale ». Ils élargissent la définition de syndrome d’aliénation, qui, selon Jean Latizeau, président de l’association SOS Papa, commence dans les textes de loi. Selon lui, les dispositions le Code civil encouragent une discrimination des pères. Il puise l’origine de l’aliénation parentale dans le droit.
En effet, même si la vision de M. Jean Latizeau reste un point de vue, nous constatons que la loi reste muette quant à la problématique d’aliénation parentale.
Brigitte Bogucki constate un « no man’s land juridique » : elle affirme dans un article de Rue89 que « L’aliénation parentale, ça n’existe même pas réellement sur le plan psychiatrique. Ni juridique du coup. C’est au cas par cas. » On constate un rejet total du projet de codification du SAP.
M. Latizeau lui va même jusqu’à affirmer que la loi peut renforcer les phénomènes de Syndrome d’Aliénation Parentale, dans la mesure où la crédibilité donnée à la parole de l’enfant est renforcée. Il affirme que « la transposition d’une norme internationale qui a prétendu qu’un enfant doit être consulté dans toute affaire juridique le concernant a accéléré le processus d’aliénation parentale. L’enfant peut être entendu par le juge. Si l’enfant en fait lui même la demande, cette audition est de plein droit. Ceci est grave, c’est l’officialisation du processus d’aliénaiton parentale : il y avait déjà eu des ordonnances de non conciliation (l’enfant a été mis classiquement chez sa mère et voit peu son père). Maintenant les les enfants ont un droit absolu d’audition ; ils peuvent écrire au juge sous la main de la mère, on peut leur faire dire ce qu’on a envie de leur faire dire. » La crédibilité de la parole de l’enfant est controversée dans la mesure où un enfant aliéné tiendrait des propos qui ne sont pas les siens (Définition du Syndrome d’Aliénation Parentale de R. Gardner)
Les articles 8 et 9 de la loi du 5 mars 2007 viennent réformer la législation portant sur l’audition de l’enfant.
L’article 8 de la loi du 5 mars 2007 est modifié en ce sens :
La dernière phrase du premier alinéa de l’article 371-4 du Code civil est ainsi rédigée :
« Seul l’intérêt de l’enfant peut faire obstacle à l’exercice de ce droit. »
Cette modification restreint les entraves à l’audition de l’enfant, qui, même s’il est victime du Syndrome d’Aliénation Parentale, sera entendu, sans forcément avoir effectué une analyse psychologique antérieure.
L’ article 9 de la loi du 5 mars 2007 modifie l’article 388-1 du Code civil en ce sens :
La première phrase du deuxième alinéa est remplacée par deux phrases ainsi rédigées : « Cette audition est de droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus.» Ainsi c’est bien le juge et non un psychologue qui rend une décision finale quant à l’acceptation ou non du refus du mineur d’être entendu. De plus si l’enfant est aliéné, et qu’il est donc poussé à parler par le parent aliénant, sa parole sera entendue de droit sans examen psychologique obligatoire.
Certains juristes, comme le magistrat Marc Juston, défendent la reconnaissance du syndrome par la loi, mais ils restent minoritaires.
On peut en conclure que le droit écrit, contrairement à certaines décisions jurisprudentielles, ne se dirige pas pour l’instant en France vers une reconnaissance du Syndrome d’Aliénation Parentale.
Ceci semble propre à la France, Jean Pierre Cambefort affirme « En France le SAP n’est pas encore reconnu, il commence tout juste à être reconnu dans la psychologie, en droit ce n’est pas reconnu. En Belgique au Luxembourg ou en Hollande c’est considéré comme une violence familiale, au même titre que les violences sexuelles par exemple. C’est passible de 5000 € de pénalisation, et ça a pour conséquence la déchéance de droits parentaux. Le parent maltraitant subi un traitement thérapeutique, et la consultation du parent aliénant se fait avec un tiers.
Quand le SAP est reconnu, et condamné par le juge, il y a une justice qui dénonce les faits, une qualification juridique, une instance qui tranche, une conjonction entre une psychiatrie non complaisante et qualification juridique. »