Un projet qui suscite des inquiétudes
Les réponses apportées par la CAN

Un projet qui suscite des inquiétudes

Suite à l’annonce de la CAN en 2010 concernant son projet de prélever 8 millions de mètres cubes de sable dans la baie de Lannion, à raison de 400 000 mètres cubes par an pendant 20 ans, les associations environnementales, notamment Sauvegarde du Trégor, ainsi que des pêcheurs et des professionnels du tourisme ont fait part de leurs inquiétudes quant à l’impact d’une telle exploitation sur l’écosystème. Ils dénoncent l’ampleur démesurée de l’exploitation qui prélèverait un volume équivalent à trois fois la pyramide de Khéops alors que les plages du Trégor sont « déjà en déficit sédimentaire »[1]. Mais surtout, ils craignent que l’écosystème soit profondément perturbé et que certaines espèces disparaissent provoquant des réactions en chaîne. En effet, comme le confie Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor [2]:

Dans cet habitat il  y a des espèces qui vivent et font vivre d’autres espèces qui elles-mêmes en font vivre d’autres qui viennent d’ailleurs. Par exemple, le lançon qui vit là, et encore, pas toute l’année, va faire vivre des bars et des oiseaux qui vivent ailleurs.

Par ailleurs, l’extraction de sable marin génère un panache de turbidité qui se propage autour du site d’extraction et dont les effets sont à craindre toujours selon le président de l’association. En effet, le panache de turbidité va se disperser à des kilomètres de l’exploitation et ainsi déposer une fine pellicule de sédiments sur des espèces avoisinantes telles que le goémon. On parle d’une zone d’impact pouvant atteindre 100 km² [3] . Cette fine pellicule bloque la photosynthèse des algues dont la survie ainsi que celle des espèces en dépendant est menacée. C’est ce qui fait dire à Yves-Marie Le Lay, président de Sauvegarde du Trégor, que l’exploitation représente [2]:

Une perturbation du cycle écologique qui va bien au-delà du site d’extraction.

Ceci explique notamment l’implication d’associations comme la Ligue de protection des Oiseaux de l’Île Grande.

Des détracteurs au projet font également valoir que la zone a déjà été victime de catastrophes écologiques (marées noires de 1967, 1978 et 1980), qu’elle a déjà souffert de l’exploitation de sable à l’embouchure du Léguer dans les années 80 (érosion, amaigrissement des plages) et qu’au moment même où la CAN fait sa demande d’exploitation, elle subit les conséquences dévastatrices des marées vertes.[4]

Les réponses apportées par la CAN

Pour faire face à l’interdiction du maërl qui a pris effet en 2013 (provoquant ainsi la fermeture de certaines exploitations), la CAN a choisi le site de la baie de Lannion pour y ouvrir une nouvelle concession minière, car il représente un site riche en sable coquillier – 186 millions de mètre cube estimés au total -, et assez accessible, le sable pouvant être extrait à un peu moins de 35 mètres de profondeur. La CAN a rencontré la LPO en 2011 pour présenter son projet, était présente à plusieurs tables rondes avec Arnaud Montebourg puis Emmanuel Macron, de 2012 à 2015, et a dû produire un état de référence début 2016 avant de commencer l’exploitation. Elle a ainsi eu de nombreuses occasions de répondre aux inquiétudes soulevées par le projet d’extraction.

De plus, les autorisations d’extraction accordées par l’État traduisent un souci de relativiser les impacts environnementaux pendant l’exploitation, notamment les impacts sonores. Ainsi, l’extraction sera suspendue des mois de mai à août, dans une volonté de préserver les activités estivales et de ne pas impacter la reproduction du lançon. On peut également mentionner le fait l’exploitation du gisement se traduira par des visites de deux heures des navires sabliers, seulement cinquante jours par an [5]. Enfin, dans les autorisations d’extraction, une réduction a été opérée sur le quota d’exploitation de sable demandé à l’origine. On se ramène ainsi à 250 000 mètres cubes par an avec une montée en puissance sur les cinq premières années. Le volume total qui sera extrait passe donc de 8 millions à 3,1 millions de mètres cubes, soit une réduction de 61% et ne représente plus que 2% du volume de la dune.

Une fois l’exploitation arrivée à son terme, la CAN n’a pas prévu de réhabiliter le site. En effet selon plusieurs études publiées dans des revues scientifiques, la recolonisation du milieu est plus efficace sans intervention de l’homme, ce qui explique la position de l’entreprise [5].

Cependant, ces éléments sont loin d’être jugés satisfaisants par les associations environnementales. Lors de la première réunion de la commission de suivi, le 16 avril, ces dernières ont jugé l’état de référence proposé par la CAN incomplet, le président du comité des pêches précisant par exemple que [6]:

Il y a en fait sur cette zone trois types de lançons qui ne se reproduisent pas à la même période.

Certaines espèces de lançon sont ainsi susceptibles de se reproduire en dehors de la période estivale, en automne notamment, période durant laquelle l’extraction n’est pas suspendue. Gilles Bentz, de la LPO, ajoute [6]:

Rien non plus sur le bruit du sablier, ni sur la réserve des Sept-Îles, alors que le panache turbide soulevé par le sablier, irait plutôt vers nous.

La critique des études fournies par la CAN porte donc plus sur leur caractère incomplet que sur leur fond. Pierre Lambert, préfet des Côtes d’Armor, a d’ailleurs déclaré à l’issue de la réunion [6]:

Sur l’état initial environnemental, ce n’est pas parce que c’est la CAN qui a commandé l’étude que ce n’est pas un cabinet indépendant qui l’a faite. Leur protocole a été validé par Ifremer. Si elle était tronquée, on s’en rendrait compte.

Cette insuffisance des études réalisées est également pointée du doigt par M. Le Lay. Par exemple, le protocole Ifremer conseillé par le commissaire enquêteur en 2010 prévoit de réaliser des plongées à plusieurs époques de l’année afin d’étudier l’écosystème sur toute une année. Or, ceci n’a pas eu lieu.

On peut également évoquer la question de la recolonisation du milieu après l’extraction. Celle-ci est largement traitée dans la littérature scientifique. Effectivement, il apparaît qu’après une telle exploitation, un écosystème s’installe naturellement de nouveau mais qu’il est difficile d’extrapoler les rapidités de recolonisation d’un milieu à un autre. La recolonisation sur le site d’extraction recommence quelques mois après la fin de l’exploitation [7], et la diversité et l’abondance de la faune et de  la flore sont effectivement rétablies dans les 7 ans. Dans le même temps, la répartition des sédiments se rétablit, par migration des granulats, quitte à faire reculer les plages. Cependant, on ne peut pas garantir la préservation de la biodiversité initiale, le milieu étant susceptible de changer de population en termes d’espèces [8], avec une abondance égale, ou éventuellement supérieure si beaucoup d’espèces opportunistes se rajoutent.

On peut de plus craindre la disparition totale de l’écosystème pendant la période d’exploitation, ce qui pourrait avoir un impact sur les activités locales, au niveau de la pêche notamment.

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(1) L’association Sauvegarde du Trégor combat le projet d’extraction de sable coquillier dans la baie de Lannion, initiatrice de la réunion, Le Télégramme Bretagne, Côtes-d’Armor. (20 novembre 2010)

(2) Propos recueillis lors d’un entretien téléphonique avec M. Le Lay (Association Sauvegarde du Trégor) en janvier 2016.

(3) Attention à la destruction de la baie de Lannion, Le Monde, (5 octobre 2013)

(4) Un commissaire enquêteur sera présent aujourd’hui, à la mairie, de 14h à 17h, dans le cadre de l’enquête publique inhérente au projet d’extraction de sable en baie de Lannion, envisagé par la Compagnie armoricaine de navigation de Pontrieux, Le Télégramme Bretagne, Côtes-d’Armor. (15 novembre 2010)

(5) Entretien téléphonique avec un représentant de la CAN en janvier 2016.

(6) Extraction de sable : la CAN attaque en justiceOuest-France. (18 janvier 2016)

(7) SIMONINI R., ANSALONI I., BONVICINI A., CAVALLINI F., IOTTI M., MAURI M., et al. The effects of sand extraction on the macrobenthos of a relict sands area (northern Adriatic Sea): results 12 months post-extraction. Marine Pollution Bulletin , n°50, pp. 768-777. (2005)

(8)WAYE-BARKER G., MCILWAINE P., LOZACH S., & COOPER K. The effects of marine sand and gravel extraction on the sediment composition and macrofaunal community of a commercial dredging site (15 years post-dredging). Marine Pollution Bulletin , n°99, pp. 207-215. (9 juillet 2015)