Extraction et zones de pêche en baie de Lannion [1]
Du point de vue économique, cette controverse peut se lire comme une problématique de gestion du territoire. D’un côté, l’extraction profite à la CAN et au secteur agroalimentaire (via l’amendement des sols, la CAN est par ailleurs une filiale du groupe Roullier), de l’autre, le projet rencontre l’opposition des pêcheurs professionnels et plaisanciers, des plongeurs, ainsi que des acteurs économiques liés au tourisme. En effet, ces derniers représentent des activités à la fois pré-existantes et soi-disant incompatibles avec l’extraction. De plus ce sont des activités très localisées et concentrées sur la baie de Lannion : elles concernent donc directement les riverains et les élus locaux, qui sont largement défavorables au projet, si l’on se réfère notamment à l’enquête publique de 2010. Sur la baie de Lannion, en 2015, l’activité de pêche représente 47 bateaux sur la baie, 103 emplois directs et 413 emplois indirects [2]. Au contraire, le développement de l’activité agricole se fait sur un territoire régional, beaucoup plus étendu, qui est le champ d’action du groupe Roullier. Justement, on peut remarquer que l’autorisation du projet est venue du gouvernement, ce qui montre un changement d’échelle au niveau de la gestion du territoire.
Il y a donc bien un conflit entre le projet d’extraction de sable et les autres activités au niveau du territoire de la baie de Lannion. Dans chaque cas, les acteurs craignent la mise en péril de leur activité. L’opposition repose donc sur un argument commun. Ce n’est pas toujours le même aspect de l’exploitation qui est en cause. Il y a bien sûr la même préoccupation vis-à-vis de la préservation de l’environnement. Cependant, les pêcheurs sont évidemment plutôt inquiets de la disparition des poissons, en particulier le lançon, comme ressource, alors que les plongeurs y voient la perte des paysages aquatiques, de leur faune et de leur flore dans leur totalité, remplacés par des paysages lunaires à cause de la turbidité provoquée par l’extraction [3][4][5]. De même, les représentants de l’activité touristique craignent une érosion accélérée des plages due au prélèvement de sable en profondeur [4][6], donc une perte d’attractivité touristique. Une même conséquence de l’extraction peut donc être perçue différemment d’un acteur à l’autre, mais tous ces phénomènes sont liés : le brassage du fond réalisé par la tête d’élinde des navires sabliers ainsi que le rejet en surface de particules fines provoquent une turbidité de l’eau qui se traduit ensuite par un dépôt sur le fond, mettant en péril l’écosystème. Ces différentes conséquences de l’extraction fédèrent donc les acteurs de l’économie locale puisqu’au final ils perçoivent tous l’extraction comme une menace pour leurs activités.
Cependant, ces préoccupations ne se confondent pas avec celles des associations environnementales puisqu’elles sont liées à l’emplacement de l’extraction : les pêcheurs notamment, préféreraient que l’extraction se fasse plus au large [3]. Justement, lors de la première commission de suivi en préfecture le 18 avril 2016, la CAN a annoncé son intention de réaliser 120 prélèvements de sédiments plus au large, de 40 à 50 km des côtes pour voir si une exploitation est envisageable [7]. Les associations environnementales, se sont opposées au projet de la CAN sur d’autres territoires, donc le déplacement de la zone d’extraction ne constituerait pas une solution complètement satisfaisante.
On peut ainsi comprendre comment les premières oppositions au projet, largement portées par les pêcheurs et les associations environnementales, ont abouti à la formation de Peuple des dunes. Les acteurs de l’économie ont rapidement réagi à l’annonce de demande de titre minier par la CAN et ont été réunis par une même préoccupation. Ils ont ainsi autant d’intérêt que les associations environnementales pour la préservation de l’écosystème, mais leurs raisons sont différentes. Il ne faut donc peut-être pas voir Peuple des dunes comme un collectif d’associations réunies par leur seule opposition au projet : il s’agit également de remarquer que leurs divers intérêts portent systématiquement sur les mêmes objets. En outre, ces deux types d’acteurs, les associations environnementales et les représentants de l’économie locale ont des rôles complémentaires : les premières sont fortes de leur expérience acquise sur d’autres territoires, puisque leur domaine d’action est plus large que la seule baie de Lannion, les seconds savent trouver l’appui des riverains, puisque leur activité est ancrée dans un territoire bien délimité.
(1) Extraction de sable, l’autorisation suscite l’incompréhension, Ouest-France, (16 avril 2015)
(2) Lannion. Extraction de sable : des pêcheurs « écœurés ». Le Télégramme (Bretagne), 16 septembre 2015.
(3)Sable coquillier. Un poisson au cœur du débat. Le Télégramme (Bretagne), 8 octobre 2010.
(4)Reportage Le sable : enquête sur une disparition réalisé par Denis Delestrac, 2011.
(5)Recovery of the seabed following marine aggregate dredging on the Hastings Shingle Bank off the southeast coast of England. Estuarine, Coastal and shelf science, décembre 2007.
(6) Study of Beach Erosion and Evolution of Beach Profile Due to Nearshore Bar Sand Dredging. Procedia Engineering, septembre 2015.
(7) Extraction de sable : la CAN attaque en justice. Ouest-France, 19 avril 2016.