La loi Taubira constitue un tournant dans notre controverse car c’est la première fois que le gouvernement dans son ensemble confronte ouvertement cette partie sombre du passé du pays. Pour bien comprendre la polémique autour de cette loi, il est nécessaire de revenir sur le processus d’émergence et d’adoption de cette loi.
En 1999, Christiane Taubira, alors députée de la Guyane, présente un texte de loi qui sera adopté deux années plus tard. Les grandes lignes de ce texte sont la reconnaissance de la traite négrière comme un crime contre l’humanité, l’intégration de l’esclavage dans les programmes scolaires et la création d’un comité de personnes qualifiées chargé de la pérennité de la mémoire de l’esclavage.
Cette loi a été adoptée à l’unanimité en 2001, mettant en exergue une première source de polémique entourant cette loi. Certains historiens soulignent le manque de débat qui a précédé l’adoption de cette loi. Par exemple, l’historien André Larané voit ce processus comme une loi votée « sans réflexion et sans débat » (article concerné).
Une autre polémique associée à cette loi est que, pour certains, elle racialise le phénomène de l’esclavage sous deux aspects. Tout d’abord parce qu’elle omet les autres formes d’esclavage que la traite négrière par les blancs européens sur les noirs d’Afrique. Or, il y eu d’autres formes d’esclavage perpétrées par d’autres ethnies que les européens dans l’Histoire telles que la traite arabe ou intra-africaine. L’historien Guy Pervillé considère que ces omissions laissent penser que soit « ces traites n’ont pas existé, soit qu’elles ne sont pas des crimes contre l’humanité contrairement à la traite européenne » (article concerné). D’autre part, cette loi orchestrée par le gouvernement, corps représentatif de la France et des Français, peut donner l’impression que tout Français actuel a pour ancêtres des acteurs de la traite négrière et serait donc responsable. Or, à l’époque, la majorité des Français n’était pas impliqué dans ce commerce et rendre ainsi toute la nation responsable de ce crime semble pour certains démesuré.
Une des dernières polémiques tournant autour de cette loi est qu’elle se caractérise par un certain anachronisme. En effet, c’est le gouvernement d’aujourd’hui qui condamnent des actes vieux de plusieurs siècles, une condamnation qui manque donc de fondement pour Pierre Vidal-Naquet, « Est-ce que les Grecs d’aujourd’hui vont décréter que leurs ancêtres les Hellènes commettaient un crime contre l’humanité car ils avaient des esclaves ? Cela n’a pas de sens ! ». (article concerné) A ce sujet Guy Pervillé a dit « De toute façon, cette qualification pénale de faits vieux de plusieurs siècles est un non-sens juridique. » (article concerné). D’autres historiens pensent également que cette loi n’a pas été déclenché par souci de pérennité ou de sous-évaluation de la gravité, mais pour répondre à des demandes communautaires, mettant en doute la légitimité de cette classification. D’après ce point de vue, cette démarche a été amorcée pour apaiser des tensions inter-communautaires qui est déjà préjudiciable à cette loi, d’autant plus qu’elle a un effet inverse. En classifiant ce passé de crime contre l’humanité, elle risque de donner une certaine légitimité à ceux qui développent de l’hostilité envers ceux qu’ils perçoivent comme les descendants des esclavagistes.
Les historiens ne sont pas les seuls à avoir émis des réserves quant à cette loi. En effet, des acteurs politiques s’en sont également mêlés tel un groupe de députés UMP avec à leur tête Lionnel Luca. Ils sont tout particulièrement contre l’idée d’incorporer la traite négrière comme crime contre l’humanité dans les programmes scolaires. Ils en appellent « au souci d’égalité de traitement » en référence à l’abrogation effectuée par le conseil constitutionnel de la loi de février 2005 sur le rôle positif que la France a eu pendant la colonisation. La partie de cette loi indiquant que le rôle positif de la colonisation (terme ayant causé un long débat) doit être un point abordé dans l’enseignement a été supprimée. Se basant ainsi sur ces événements, les députés ont cherché à obtenir une pareille suppression pour le projet de loi Taubira, sans succès. Ainsi, il semblerait que l’approche adoptée dans l’enseignement de cette période de l’Histoire soit un point de concentration des débats de notre controverse. Les différents acteurs se battent pour influencer l’opinion des futures générations, des futures citoyens votants.
Cette classification en tant que crime contre l’humanité peut sembler anodine mais elle est lourde de conséquence. En effet, elle facilite l’attaque en justice de ceux qui porteraient un jugement plus mélioratif sur la traite négrière. Cela a été mis en évidence par l’affaire Pétré-Grenouilleau. Olivier Pétré-Grenouilleau a en effet critiqué cette classification en tant que crime contre l’humanité car l’on fait alors automatiquement un rapprochement avec la Shoah qui sont pour lui deux événements bien différents. Selon lui, la traite négrière est complètement différente car elle ne consiste pas en l’exécution systématique d’un peuple mais dans la réduction d’un peuple à une valeur marchande que l’on cherche à faire fructifier. De telles déclarations ont donné lieu à de vives protestations, de par le contenu et le contenant. En effet, étant professeur à l’université, Olivier Pétré-Grenouilleau est à même de transmettre ses opinions personnelles au plus grand nombre (on retombe sur le problème débattu de l’éducation). Cette affaire met également en exergue un autre point de débat autour de la controverse, la réduction de la liberté de parole autour du sujet de l’esclavage.
Mise en pratique des réparations
Une des conséquences de la loi Taubira est la création d’un comité, le comité national pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage, chargé de « garantir la pérennité de la mémoire de ce crime » (article 4 de la loi Taubira). Par cette mission, le comité est chargée de mettre en place les réparations cautionnées par le gouvernement, c’est-à-dire des réparations sous la forme d’actions et de mémoriaux. Il se pose dès lors la question de savoir si ces actions menées sous l’égide du gouvernement sont considérées comme suffisantes par les associations réclamant des réparations, à la fois en terme d’échelle et de type de réparations. Bien que certaines associations le demandent plus ouvertement que d’autres, il n’est pas rare que des demandes de réparations financières soient faites. Le CRAN réclame par exemple des réparations financières sous le couvert d’un jour férié qui serait rémunéré ou le remboursement à Haïti de la dette que ce pays a payé à la France pour son indépendance. Ainsi, une question qui reste en suspens est le type des réparations à mettre en œuvre, vu que certaines associations ne sont pas satisfaites par la construction du mémorial de Nantes en 2012.
Un autre débat, lié au précédent, se concentre sur les modalités des réparations si celles-ci prenaient la forme de réparations financières. La première question concerne l’accusé qui serait contraint de payer. La première entité à laquelle l’on pense est l’Etat. Mais est-il raisonnable de demander au gouvernement actuel, et donc au citoyen lambda, des réparations pour un crime commis par les ancêtres d’une minorité. Une autre idée du CRAN est de demander à des organisations ou entreprises précises des réparations car elles ont profité de l’esclavage. Le CRAN a par exemple déposé une plainte contre la Caisse des Dépôts et Consignations. Ce « bras armé » de l’Etat en matière financière est accusé d’avoir profiter du remboursement de la dette haïtienne pour s’enrichir via des intérêts exorbitants.
Le deuxième problème qui se pose est de savoir qui serait éligible pour recevoir ces compensations financières. Il est quasiment impossible de trouver des critères permettant de distinguer les personnes dont les ancêtres ont subi des préjudices qui ont eu des conséquences sur la vie qu’ils mènent actuellement. Ainsi, bien que demandées, ces réparations financières ne s’implanteront sûrement jamais à cause de leur mise en pratique impossible et du refus catégorique du gouvernement de les envisager. M Hollande est en effet pour une réparation morale mais non financière, la jugeant impossible et s’appuyant pour cela sur le concept d’impossible réparation cher à Aimé Césaire.
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