Agnès Sinaï est journaliste et professeur à Science Po Paris ; fondatrice et membre du conseil d’administration de l’Institut Momentum, consacré à l’étude de l’anthropocène et ses implications, qu’elle a co-fondé en 2011 avec Yves Cochet. Agnès Sinaï a accepté de rencontrer notre groupe de travail le 19/05/2017 lors d’un entretien particulier pour partager son point de vue sur la problématique de l’Anthropocène, et nous le retranscrivons ici le plus fidèlement possible.
La lecture de l’Anthropocène d’Agnès Sinaï est catastrophiste et insiste sur la finitude des ressources planétaires vis à vis de l’insatiable démesure de l’Homme. Cette lecture se veut réaliste, lucide et basée sur divers travaux scientifiques mettant en exergue l’absence d’échappatoires pour un futur viable en dehors d’une politique économique de décroissance. Pour Christophe Bonneuil, au sujet de cette vision : “si l’on prend au sérieux l’Anthropocène dans cette perspective, on ne peut plus penser la démocratie sans ses métabolismes énergétiques et matériels et l’on ne peut plus, dans un mode fini, différer la question du partage des richesses par le rêve d’un gâteau économique grossissant sans fin” (Bonneuil, 2014). Cette vision s’oppose à la vision du futur “dominer et soigner”. La journaliste explique lors de l’entretien que pour elle la “croissance verte” est un oxymore, une illusion collective et que seul un changement social tel que celui que la décroissance se propose de mettre en place pourra enrayer la marche forcée dont nous sommes témoins. N’ayant pas foi en les méthodes de “réparation” des technophiles et des géo-ingénieurs, Sinaï fait l’apologie des changements tendant à rendre sobre les modes de production et de consommation. Pour cela, doivent se lier initiatives globales et locales et donc doivent interagir ensemble toutes les échelles pour promouvoir une résilience et une décroissance assumées et maîtrisées.
“L’illusion de la maîtrise absolue des processus naturels est une menace concrète du fait de l’accélération des transformations technologiques et de la mise en oeuvre d’outils économiques et financiers internalisant les éléments naturels et les transformant en capital.”
(Sinaï, 2012)
Agnès Sinaï constate que les mutations des sociétés sont déjà à l’oeuvre. Pour la journaliste, les nouvelles générations, nées avec les problématiques de climat et d’environnement sont déjà dans un nouveau mode de vie. En effet, elles se sentent menacées et attaquées au quotidien, avec par exemple l’infertilité due aux perturbateurs endocriniens, qui est une manifestation corporelle très concrète des effets de l’Anthropocène. Ainsi, l’inquiétude de ses générations se développe et pour leur propre sécurité et intérêt, elles vont vouloir effectuer un changement politique. Les politiques à mettre en place doivent donc être des politiques d’invention d’une résilience commune qui rassemble toutes les générations et qui passe par différentes préconisations, dont certains exemples sont développés par la suite. (Sinaï, 2017)