Les statines sont commercialisées pour prévenir les maladies cardio-vasculaires comme l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébrale. Certains acteurs de la controverse distinguent les patients potentiels selon qu'ils aient ou non vécu un événement cardiovasculaire par le passé : c'est la distinction entre prévention primaire et secondaire.
Un premier consensus
En 1994, l’efficacité des statines pour prévenir les accidents cardio-vasculaires chez les patients déjà touchés par un infarctus, c’est-à-dire en prévention secondaire, est mise en évidence par l'étude 4S (Scandinavian Simvastatin Survival Study Group, 1994). Parmi les acteurs du débat scientifique qui fait jusqu’alors rage, les sceptiques de l’hypothèse lipidique, comme Dominique Dupagne, admettent leur défaite (Dupagne, 2017). Depuis, les statines sont valorisées pour leur efficacité en prévention secondaire : un article de deux pharmacologues dans Le Monde ira jusqu’à évoquer un « niveau de preuve rarement atteint en médecine » (Gueyffier & Funck-Brentano, 2013). Un patient qui cherche à se renseigner ne peine pas à trouver des propos aussi catégoriques. En effet, un consensus semble être né de l’étude de 1994. La Haute Autorité à la Santé elle aussi affirme l’importance des statines en prévention secondaire : « en prévention secondaire – c’est-à-dire après un accident cardio-vasculaire, infarctus, AVC – l’intérêt des statines est indiscutable. (« Pour un bon usage des statines », 2013).
Une distinction controversée
Cependant, la distinction même entre prévention primaire et secondaire opérée par la communauté scientifique lorsqu’elle évoque l’efficacité des statines est problématique. Cette séparation n’est pas sans rappeler celle entre "bon" et "mauvais" cholestérol, qui fait débat pour des raisons similaires.
Dans ce plan plus général de ceux qui s’oppose à l’utilité de faire baisser le cholestérol, Michel de Lorgeril se distingue par ses interventions dans lesquelles il accuse les médecins d’être vendus à l’industrie pharmaceutique. Il répète ses attaques contre ceux qui affirment avoir démontré un quelconque intérêt aux statines. Sa virulence est illustrée par le fait que Dominique Dupagne, qui prône avec Michel de Lorgeril le régime méditerranéen, ira jusqu'à marquer sa divergence avec lui sur cette question (Dupagne, 2017). Paradoxalement, Michel de Lorgeril et Dominique Dupagne développeront leurs argumentaires de la même manière : ils procèdent par analogie et de manière tout aussi catégorique l'un que l'autre. Dupagne explique sans équivoque que "ce n’est pas parce que nous ne comprenons pas le mécanisme de cette protection qu’elle doit être réfutée. De la même façon, nous ne comprenons pas d’où provient l’extraordinaire efficacité préventive du régime méditerranéen, mais cela ne nous empêche pas de le conseiller ». Il ajoute alors que Michel de Lorgeril « ne partage pas ce point de vue et attribue l’effet protecteur observé à une falsification des études » (Dupagne, 2017). Dominique Dupagne s’appuie en effet sur le livre Cholesterol, mensonges et propagandes pour tirer cette conclusion. Nous pouvons y trouver des formulations insinuantes au sujet d’études ayant subi une analyse statistique telles que « Les ajustements statistiques sont, les lecteurs l’ont bien compris, la première phase de manipulation des chiffres pour les faire parler de façon favorable au produit testé, le selon le principe bien connu « on fait dire ce qu’on veut aux statistiques » (De Lorgeril, 2008).
Michel de Lorgeril va toutefois plus loin que cette accusation et c’est en attaquant la revue Prescrire pour son analyse de l’efficacité des statines en prévention secondaire qu’il expose ses arguments sur son blog. En premier lieu, une telle distinction n’a d’intérêt que pour « l’investigateur (et l’industriel qui le rémunère) » (De Lorgeril, 2018). L’on retrouve ainsi les conflits liés à l’usage de la distinction "bon" et "mauvais" cholestérol. Mais l’argument a plus de profondeur que le simple appel au conflit d’intérêt : le coût d’une étude en prévention primaire coûte plus cher qu’en prévention secondaire car les événements que l’on y comptabilise occurrent moins souvent (les personnes sont évidemment moins à risque).
Michel de Lorgeril examine aussi le fondement même d’une utilité différente du médicament en fonction de la catégorie du patient. C’est en faisant une analogie avec l’arrêt du tabac qu’il déroule son argumentaire : cet arrêt n’est que plus urgent après un premier évènement, mais pas plus efficace. Ainsi, dit-il, si les statines doivent protéger des événements cardio-vasculaires en faisant baisser le taux de cholestérol, elles devraient être aussi efficaces en prévention primaire qu’en prévention secondaire. Comme leur efficacité est nulle en prévention primaire, elle ne peut que l’être en prévention secondaire et les études ont bel et bien été faussées (De Lorgeril, 2018).
Notons qu'ainsi, Michel de Lorgeril et Dominique Dupagne, pourtant souvent alliés, sont forcés de se séparer sur ce nœud particulièrement clivant. Il est également intéressant de noter que Dupagne et de Lorgeril partagent la conviction de la pertinence du régime méditerranéen mise en évidence par ce-dernier (de Lorgeril et al., 1999) : le fait que Dominique Dupagne se positionne par rapport à un autre médécin montre bien qu'il s'adresse en fait en premier lieu à ses collègues et non pas aux patients.