Christophe Nguyen-Thé de l’inra à avignon
De quelle manière la composition des experts de l’EFSA est-elle choisie ?
Il y a deux niveaux : les membres des panels (comité d’experts de l’EFSA) sont nommés pour trois ans (renouvelables trois fois, soit neuf ans maximum). Le choix part d’un appel à candidatures, examiné par un comité de sélection dont je ne connais pas la composition. Il y a actuellement un appel à candidatures pour un renouvellement au printemps. Chaque demande d’expertise déposée à l’EFSA concerne un ou deux panels, lesquels forment un groupe de travail composé de membre de panels (permanents) et d’extérieurs contactés par le secrétariat scientifique de l’EFSA en fonction de leurs publications, de leurs travaux (il ont constitué un base de candidature). Pour toute participation, il faut écrire une déclaration à la TEREP, qui est examinée par le service juridique de l’EFSA qui décide s’il n’y a pas conflit d’intérêt qui empêcherait la participation de l’expert. Il faut faire un compromis entre des experts bien au courant des domaines mais sans conflit d’intérêt. Il faut répondre à ces questions : dire par qui on est payé, quels sont nos travaux, quels contrats font fonctionner le labo, des contrats à titre privé en tant que consultants, conjoints dans des activités rémunérée dans un domaine concerné, etc.
De quelle manière les groupes de travail de l’EFSA mettent-ils en commun leurs résultats ?
Le travail se fait dans les groupes de travail, régulièrement l’état d’avancement du groupe de travail est présenté au panel par le rapporteur (membre de l’EFSA), il est discuté, validé et éventuellement modifié par le panel. Le panel est l’auteur et le responsable des conclusions du rapport. C’est dans le cadre de ces discutions que l’avis final est mis au point.
Vous avez émis, avec un deuxième expert, un avis défavorable contre Amflora et pourtant le rapport d’expertise est favorable à cette pomme de terre. Comment sont prises en compte les divergences d’opinion ?
C’est un peu particulier car il y avait deux panels qui ont donné un avis commun et un avis autonome du panel qui travaille sur les OGM. Ce dernier est l’avis du panel et non de l’EFSA. Le panel est responsable de ses conclusions et la direction de l’EFSA ne réécrit pas par-dessus. Ce n’est pas le même type de fonctionnement à l’afssa , il y avait l’avis du comité d’expert en France et celui publié, l’avis de la direction (qui s’inspire fortement du premier, mais avec un certain droit de regard). A l’EFSA, ce qui sort du panel est publié. S’il y a un désaccord, les personnes minoritaires peuvent exprimer un avis défavorable qui est consigné. Si une minorité trop importante est contre, l’avis n’est pas publié. Finalement, un avis n’est publié que si une grosse majorité des experts sont en accord.
Le HCB a de son côté rendu un avis beaucoup plus réservé quant à cette pomme de terre. Cette divergence de point de vue a-t-elle pour origine la composition des groupes d’experts ?
Bien sûr. Sur des sujets délicats où il y a une grosse part d’appréciation subjective puisque on manque de données clairement établies et faciles à analyser (données quantitatives notamment), l’avis reflète directement la composition du panel, on change 2-3 experts et l’avis change. Par le passé, sur la vache folle, le président d’un des comités qui précédait l’efsa s’occupait aussi d’un comité d’expert à l’afssa, et sur le même sujet, le comité qu’il présidait dans les deux cas a donné un avis différent. Sur les mêmes bases scientifiques, les même analyses, l’avis peut donc être différent.
A quel titre avez-vous participé à un panel d’experts de l’efsa ?
C’est en tant que membre du panel d’expert sur les dangers biologiques. Comme ce sujet est difficile pour l’efsa qui a du émettre plusieurs avis suite aux demandes de la commission européenne, la direction souhaitait que cette fois-ci que le groupe de travail soit mixte : groupe de travail sur les OGM et groupe de travail sur les dangers biologiques.
Sur quels travaux vous êtes vous-fondé pour évaluer justement ces dangers biologiques ?
On a essayé de quantifier, de chiffrer avec différentes approches le transfert d’un gène venant d’une plante vers une bactérie notamment les gênes de résistance aux antibiotiques. Des travaux sont fait sur des plantes, de maïs par exemple, ou bien directement dans des tubes à essais, dans des conditions données, pour voir si le transfert pouvait se faire à quel condition et avec quelle probabilité et dans quels conditions suivant le type de construction génique, etc. Cela constitue les données de base sur les probabilités de transfert. Ensuite des données on été apportées par l’agence européenne du médicaments (EMEA), point important dans le débat : si cet antibiotique pour lequel le gène marqueur développe une résistance était un antibiotique crucial, important, secondaire, peu utilisé ou bien minoritaire.
L’un des deux gènes présents dans Amflora concerne l’antibiotique qui est utilisé contre la tuberculose. Dans quelle catégorie se situe cet antibiotique ?
Les experts du panel OGM s’étaient fait une grille de ligne directrice. Ce type de marqueur sera interdit si l’antibiotique est utilisé en médecine humaine ou non. L’EMEA ont conclu que c’était une très mauvaise façon de juger de l’importance d’un antibiotique. Certains sont peu utilisés car présentent des effets secondaires mais ils peuvent tout de même être très importants car ce sont des antibiotiques de dernier recours contre une maladie : certaines personnes ne peuvent être soignées qu’avec ceux-là. Il a aussi des aspects qui concernent plus ma partie, c’est-à-dire les dangers biologiques : l’impact de la présence de gènes de résistance aux antibiotiques dans les populations microbiennes. Les questions sont : peut-il passer ? Avec quelle probabilité ? Que se passe t il s’il passe ? Une autre question plus interne à l’expertise : la cohérence entre la façon d’apprécier ce danger de dissémination de gène dans les différents domaines ou intervient l’EFSA. C’est pour cela que j’ai été concerné par cette expertise : je m’occupe à l’EFSA de tout ce qui est ce qu’on appelle système QPSA : danger des micro-organismes que l’on introduit dans la chaine alimentaire. Parmi ces dangers on prend en compte le fait que ces micro-organismes introduits peuvent porter des gènes de résistance. Qui n’est pas gênant puisque le micro-organisme n’est pas pathogène mais peut l’être si ces gènes étaient disséminés et transmis à des bactéries pathogènes.
Dans quelle catégorie entrait le deuxième antibiotique concerné qui, lui, entre dans la composition de crèmes corporelles ?
Oui, il est surtout utilisé au niveau cutané, à cause des effets secondaires il est assez peu utilisé par ingestion. Mais la canamicine (cet antibiotique), entre dans le cadre des antibiotiques qui ne sont administrés qu’en dernier recours. Dans les annexes rédigées par l’EMEA il doit y avoir quelque chose de plus détaillé.
Pouvez-vous nous décrire la démarche que vous mettez en place pour produire une nouvelle expertise ?
Quand on apprécie comme ça un risque il y a une démarche standardisée, recommandée par le code EXEDENTARIUS , suivi en gros universellement. D’abord identifier le danger, en l’occurrence, si ce gène se retrouve sur des bactéries pathogènes pour l’homme et les animaux. Puis il faut quantifier l’exposition au danger (est-ce que l’atteinte à la santé humaine ou des animaux a une forte probabilité de se réaliser ?), quantifier aussi le passage du gène d’une plante en plein champ vers des bactéries, puis des bactéries vers l’environnement. Et enfin apprécier les conséquences sur la santé humaine (les gens de l’EMEA avaient conclut que c’était important finalement). Voilà la démarche en gros. Dans les conclusions, le vocabulaire est choisi de manière rigoureuse, par exemple, ce qui avait un peu aidé à rédiger notre rapport, c’était une réglementation européenne qui ne prenait pas en compte les risques pour la santé humaine mais qui avait été rédigée pour quantifier les risques pour l’environnement. Le type de terme à proscrire c’est « ne peut pas être exclu » car rien ne peut être vraiment exclu, il faut essayer d’être plus précis. Il faut une probabilité chiffrée ou avoir des mots précis pour expliquer qu’un événement peut arriver même si la probabilité est très faible. Les études de risque du passage d’une plante à une bactérie sont peu concluantes, on est très subjectifs. On dit « on se sait pas », mais cela ne convient pas à la commission car elle doit prendre des décisions. On dit donc : « en plein champ, personne n’a prouvé que ça pouvait arriver, mais on n’a pas prouvé que ça n’arrive pas, parce que nos mesures ne sont pas infiniment précises». Après, on arrive à le montrer avec des paramètres quantifiables en tubes à essais, avec des conditions qui souvent ne sont pas très représentatives de la réalité, parce que sur les constructions où il y a quand même des homologies entre le gène et l’organisme récepteur, après le gène peut se dégrader en terre. Tout ça ce sont des choses qu’à l’époque personne ne savait quantifier, on ne peut donc pas donner un chiffre tel « ce transfert va se faire dans X % des cas ».
Vous, c’est donc cette absence de certitude qui vous a poussé à dire que la culture d’Amflora pouvait présenter des risques ?
Non, avec mon collègue nous n’avons pas réagi sur la même chose : lui estimait que le groupe de travail avait sous-estimé le risque de transfert. Effectivement c’est très faible pour un champ en particulier mais pour des hectares et des hectares de plantation, cela fait de grosses quantités de cellules, d’ADN de plante et des quantités énormes de bactéries dans le sol et donc statistiquement, cela doit quand même arriver de manière non-négligeable. Moi je n’étais pas vraiment d’accord avec lui. Car les essais en plein champ n’ont rien montré et les essais in-vitro dans les conditions les plus favorables donnent des quantités de passages quand même faibles. Et dans le sol d’autres facteurs vont venir dégrader l’ADN et encore affaiblir ces risques de passage. De mon côté je trouvais que la formulation employée était assez bien, en l’occurrence « very unlikely », c’est-à-dire que c’est faible mais que ça ne peut pas être négligé. C’est-à-dire que les autorités doivent accepter que ce soit faible, mais si elles passent outre, elles auront conscience qu’elles prendront un risque, faible, mais néanmoins présent. Cela me convenait assez bien. Ce qui me choquait était une autre partie de la conclusion, qui disait : « l’effet sur la santé humaine et l’environnement résultant de ce transfert est improbable », sur l’argument, qui était celui de pas mal de membres du panel, de dire « de toutes façons ça n’est pas grave puisqu’il y a déjà beaucoup de bactéries qui portent le gène de résistance ». Moi je n’étais pas d’accord car on ne sait pas très bien comment évolue ce gène de résistance, on n’est pas du tout fondés pour dire que le fait de rajouter un peu de transfert n’impacte pas sur la probabilité finale de transfert sur un pathogène. Cela crée en plus un déséquilibre avec ce qu’on exige des bactéries introduites dans la chaine alimentaire : si l’on veut introduire des bactéries pro-biotiques chez les animaux d’élevage si cette bactérie contient des gènes de résistance qui sont transférables, ça ne sera pas autorisé. Ce qui n’est donc pas cohérent. Voici donc les deux avis minoritaires qui portaient sur des questions différentes.
Entretien réalisé le 9 mai 2011 par les membres du groupe de controverse « Amflora ».