Quelle technique de mesure choisir pour donner un prix à la biodiversité?
Les possibilités pour répondre à cette question sont multiples, et encore l’objet de nombreuses recherches aujourd’hui. Nous tentons ici de donner un aperçu des méthodes existantes et de leurs adeptes. Cependant, il faut distinguer dans ces méthodes la volonté de donner un “prix à la nature” de celle de donner un prix à certains services écosystémiques seulement. La première est largement contestée de part sa prétention à l’universalité, alors que se restreindre à des services précis permet d’intégrer la part de relativité.
Voici les trois principales méthodes d’évaluation économique de la biodiversité:
Méthodes de “préférences révélées”: l’observation de celui qui évalue.
Les méthodes par “préférences révélées”* déduisent le prix des services écosystémiques de situations existantes, en partant du principe que les consommateurs eux-mêmes ne sont pas conscients du prix mais que leur comportement le révèle.
Chiffrer l’approvisionnement :
On peut alors se baser sur le prix du marché d’une ressource première afin d’estimer le prix, révélé par le cours, que les hommes sont prêts à investir dans ces matières premières.
ex: le prix du bois peut être utilisé pour estimer la valeur économique d’une forêt.
L’un des principaux obstacles à cette méthode est la non-corrélation du marché à la réalité: les prix sont soumis à l’inflation, la spéculation, les taxations… Il est donc difficile d’en extraire une valeur “en soi” qui puisse être celui de l’écosystème.
Chiffrer la régulation et les interconnexions:
Il faut de plus, pour des services écosystémiques de régulation comme pour l’approvisionnement, prendre en compte les effets d’un écosystème sur l’extérieur: certes les récifs coraliens permettent la pêche et le tourisme à Hawaii, mais ils constituent aussi une protection contre l’érosion. De même, les mangroves protègent les côtes des cyclones et des inondations. Tous ces effets doivent être pris en compte par celui qui évalue, le plus souvent selon la théorie des prix hédoniques.
Une des limites de cette méthode est dans sa nécessité même: l’objet “biodiversité” est d’une complexité telle qu’il est difficile de déterminer où la chaîne doit d’arrêter, car on ne sait même pas trancher sur sa finitude.
Chiffrer le travail :
Le “travail” des animaux, comme la pollinisation doit elle être vue comme un travail rémunérable au même sens que celui des hommes? *
Méthodes de “préférences déclarées”: le consentement à payer.
Si l’on considère l’homme conscient du plaisir et des bénéfices qu’il tire de la biodiversité, on peut passer par la méthode des “préférences déclarées”. En se basant sur des questionnaires et des sondages, on estime le prix que les individus sont prêts à investir pour la préservation de la biodiversité.
De nombreuses critiques s’élèvent sur ces méthodes. D’une part, elles sont soumises aux différences allant d’un groupe sociologique à l’autre: la difficulté de construire un panel représentatif la rend incertaine. D’autre part, une étude * montre que les valeurs évoquées par les interrogés sont le plus souvent des valeurs d’usage, ce qui reviendrait à une évaluation -plus approximative- par préférences révélées.
Méthodes par coûts.
C’est en raisonnant par l’absurde que l’on procède à une méthode “par coûts”. Si un certain écosystème venait à disparaître, quels seraient les coûts pour la communauté, en termes de remplacement et de restauration?
Ces raisonnements par l’absurde sont, malheureusement, portés par des exemples très concrets. Arès le tsunami de 2005, les Nations Unies envoient une mission chargée d’évaluer les dommages écologiques. Les pertes réelles permettent aux experts de se rendre compte de l’importance de certains objets. On en a déduit par exemple * qu’un hectare de mangrove intacte vaut environ 1000$ par an, en bénéficiant à la pêche et la protection contre l’érosion, alors que sa transformation en ferme d’agriculture intensive ne générait pas plus de 200$ par an. L’évaluation met à jour une réelle perte de valeur, dûe à l’insuffisance de la puissance productive de l’homme face à celle de la nature.
Toutes ces méthodes sont le plus souvent employées de manière conjointe afin d’évaluer les services écosystémiques. Apparaît alors la nécessité de créer des modèles, le plus souvent prédictifs, selon différents scénarios politiques possibles.
Il reste cependant difficile de définir les limites exactes de leur champ d’application, car il existe dans les milieux naturels un “effet de seuil”, non linéaire, au-delà duquel il n’est plus acceptable d’accepter la perte de la biodiversité.
Si en 1988 Randall évoque la nécessité d’évaluer économiquement la biodiversité afin de mieux la protéger, ce n’est que Robert Constanza *, en 1997, qui donne une première évaluation des services rendus par la nature, à hauteur de 33 000 milliards de dollars. Le rapport de la TEEB, lui, l’évalue à 23 500 milliards de dollars. Tous ces nombres sont issus de modèles différents dont voici quelques exemples:
Le modèle GLOBIO, un exemple de raisonnement par l’absurde.
L’OCDE a mis au point en 2005 un modèle alarmant permettant de chiffrer les pertes de biodiversité jusqu’en 2050. En raisonnant en l’absence de biodiversité, on arrive à un coût de son existence.
“Au cours des premières années de la période 2000 – 2050, il est estimé que nous perdrons chaque année une valeur équivalente à environ 50 milliards d’euro rien que pour les services rendus par les écosystèmes terrestres”
Voici un récapitulatif des variables prises en compte dans la chaîne du modèle *
L’ESR, Evaluation des Services Rendus
L’EPE, Entreprises pour l’environnement, a présenté un outil destiné aux entreprises afin qu’elles chiffrent leur dépendance à la biodiversité, en amont comme en aval de leur production.
Cela se présente comme un tableur Excel sur lequel pour chaque service écologique est quantifié l’impact sur les fournisseurs, acheteurs et l’activité propre. Le problème réside dans la longueur de la chaîne: à partir de quand s’arrêter?
L’EPE, dans son rapport, ne cache pas qu’il s’agit “davantage de susciter le débat et de structurer la politique biodiversité d’une entreprise”. * En effet, un rapport mené par Deloitte montre que sur les entreprises du CAC40, seules 3 publiaient des indicateurs sur la biodiversité. Un modèle de ces indicateurs, regroupés par thèmes, est proposé par l’Observatoire National de la Biodiversité (ONB), auquel les entreprises sont invitées à se référer*.
L'Evaluation de R. Constanza
Constanza se base à la fois sur la méthode des préférences révélées et celle des coûts pour dresser un bilan précis du prix de la biodiversité globale, en 1999. A titre d’exemple, voici l’un des tableaux récapitulatifs qu’il joint à son raisonnement. On remarquera qu’il n’inclut que des valeurs d’usage.*
Manuel de protection de la biodiversité – Conception et mise en œuvre des mesures incitatives ; OCDE (2002)