La mise à prix de la biodiversité est la réalisation d’un processus habituellement appliqué sur des objets, l’évaluation d’une valeur, appliqué à la nature. Estimer économiquement une valeur est une idée humaine et il est nécessaire de s’interroger sur le rapport que l’homme entretient avec l’objet évalué. Comment doit-on se représenter la nature pour en faire une juste évaluation ? Comme un « stock », une réserve de ressources naturelles fixe, invariante selon le contexte et à disposition pour nos besoins ? Ou comme un ensemble de flux, résultant d’une connectivité entre les espaces naturels ?
La biodiversité : un stock de ressources naturelles
L’image inconsciente la plus largement répandue sur la biodiversité voit celle-ci comme une réserve de ressources naturelles, d’une quantité épuisable. Cette quantité s’amoindrit lorsqu’on pollue ou détruit la nature (lorsque par notre action une espèce disparaît par exemple) et augmente lorsque l’on favorise son développement, par exemple en plantant des arbres…
Christophe Bonneuil, historien de la nature, qualifie cette vision de « Fordiste » *. On sépare de façon nette les ressources naturelles de l’emploi que l’on fait de celles-ci, et on les considère remplaçables et interchangeables de la même façon que les pièces d’une machine. Cette façon de voir les choses semble juste pour les réserves d’énergie non renouvelable mais est plus discutable pour la biodiversité, particulièrement si on cherche à mesurer la valeur de ses services rendus.
La notion de services éco-systémiques
Ainsi, peut-être n’est-ce pas tant capital naturel qui compte que le service que celui-ci rend aux hommes ? M.Chevassus au Louis, donne l’exemple des rivières norvégiennes pour étayer cette idée. Elles sont en meilleur état que les rivières normandes, et d’un point de vu esthétique peut-être plus jolies, mais la faible densité d’habitants en Norvège rend leurs services écosystémiques négligeables sur le plan financier Il résume sa pensée ainsi :
On ne prétend pas évaluer la biodiversité, ce qu’on évalue ce sont, à un moment donné et dans une société donnée, les flux dont bénéficie – Bernard Chevassus-au-Louis
On décrit donc les liens entre la nature et l’économie gràce aux « flux de valeurs vers les sociétés humaines » souligne la TEEB, Organisation Non Gouvernementale, dans son rapport sur l’évaluation des services écosystèmiques. * Plus précisément, la TEEB et l’EEM (Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire, MEA) distinguent quatre catégories de services s’appuyant sur la biodiversité et contribuant au bien-être humain.
Des échanges dans le temps et l’espace
Afin de fournir une évaluation juste de la valeur économique d’un lieu, il est nécessaire de maîtriser l’ensemble des interactions entre celui-ci et les autres espaces naturels. Ainsi, comme nous l’a expliqué Jean-Christophe Benoit, membre de la CDC pour évaluer la portée de la construction d’un projet urbain sur un terrain, on s’intéresse à toutes les conséquences de la construction du projet. Si l’assèchement d’une zone humide empêche la migration d’un groupe animalier ou interdit l’expansion da la crue d’un fleuve il faudra le prendre en compte si une compensation est faite. Il faudra aussi anticiper le fait que des groupes animaliers des zones voisines puissent ne pas migrer l’hiver prochain à cause de leur incapacité à traverser la zone désormais urbaine.
La compensation est censée apporter une contrepartie positive à un impact. Donc elle doit durer autant que dure l’impact.- Jean-Christophe Benoît
Il faut déceler toutes les conséquences, même les plus indirectes, de l’impact lié à la mise en place d’un projet urbain sur un site naturel. Il faut ainsi rendre compte de toutes les interactions entre les différents milieux naturels, de tous les flux échangés entre eux. Seul ce travail qui est à bien des égards un problème d’échelle permet d’évaluer à sa juste valeur la biodiversité.
Dans l’évaluation de la biodiversité, la vision » connexioniste » d’une nature reliée par des flux remplace l’ancien rapport « Fordiste » avec la nature. Néanmoins, certains services écosystèmiques sont parfaitement tarifiés et sont commercialisés sur un marché ouvert souligne le rapport de la TEEB. Les objets de diversité dont ils sont issus sont alors vus comme des capitaux de biodiversité, comme n’importe quel objet économique : c’est le cas du bétail, des récoltes, des poissons ou de l’eau. Ici, la représentation fordiste de la nature comme un marché libéral suffit pour en évaluer la valeur.