Il n’y a pas d’économie sans environnement, mais il existe des environnements sans économie. – Pavan Sukhdev *
Comme nous l’avons expliqué, la préservation de la biodiversité est l’un des moteurs de la recherche pour son évaluation économique. Mais ce n’est pas la seule.
Le contexte économique des pays anciennement industrialisés ainsi que le retard de pays dont le développement se solde d’inégalités sociales pousse de nombreux acteurs à chercher de nouveaux indicateurs économiques. En effet, le PIB, seul maître de ces indicateurs lors du XXème siècle, rencontre ses limites: propre à évaluer la croissance après la 2nde Guerre Mondiale, il ne saurait décrire des pays à la croissance lente mais dont le développement revêt d’autres aspects que la simple accumulation de richesses et de capital. De même, il dessert des régions peu industrialisées au patrimoine différent.
Parmi ces nouveaux indicateurs, on trouve par exemple l’IDH (Indice de Developpement Humain, intégrant le PIB dans son calcul), lancé en 1990 par la PNUD, mais encore l’indice de bonheur du Bhoutan. Ces indicateurs, bien que particuliers, se révèlent être assez proches: ils posent le problème de la quantification d’éléments non quantitatifs comme le bonheur, la santé ou l’éducation. Il semble alors naturel d’introduire l’élement biodiversité dans ces calculs, d’autant que les premières estimations prédisent que le prix de la biodiversité – et non pas de ses services – dépasse très largement l’ensemble du PIB mondial.
Mettre un prix à la biodiversité, cela permettrait d’ajouter un paramètre fondamental du développement et de la richesse d’une nation au PIB, voire de créer un tout nouvel indicateur. C’est cette idée que défend un chantre du prix de la biodiversité, Pavan Sukhdev, dans son rapport de la TEEB.* Partant de l’idée que la nature est sans aucun doute créatrice de valeur et la condition de la valeur, M. Sukhdev soutient la nécessité de la prendre en compte dans la richesse économique. Elle y est présentée comme le “PIB du pauvre”. Effectivement, les domaines impactant le moins le PIB sont l’agriculture de base, la pêche et l’élevage. Or ces activités sont réparties entre les mains des plus pauvres de la planète: donner un prix à la biodiversité permettrait de rendre à ces plus pauvres le capital sur lequel ils vivent. L’idée de l’évaluation de la biodiversité est celle d’introduire de l’économie dans tous ces milieux, car “il n’y a pas d’économie sans environnement, mais il existe des environnements sans économie. “
Par ailleurs, un autre principe économique largement critiqué découle de ce que nous avons appelé le problème d’échelle temporelle. En effet, l’économie aujourd’hui repose, entre autres, sur le principe d’actualisation. Or la biodiversité, de par son impact sur les générations futures, ne peut s’évaluer comme un bien perdant de la valeur dans le temps: c’est là un problème d’éthique.
Le prix de la biodiversité apparaît donc pour certains comme un moyen, théorique pour l’instant, d’adapter les théories économiques en place depuis plus d’un demi-siècle aux problématiques actuelles, et cela en dépassant largement le cadre de l’écologie. Une problématique importante surgit: faut-il évaluer la nature avec les outils économiques d’une théorie ancienne, ou faut-il de nouveaux outils pour faire du prix de la biodiversité ce qui dirige l’économie actuelle?
Ces arguments viennent se heurter et répondre à une critique importante de l’évaluation économique de la biodiversité: accusée de n’être qu’un outil d’environnementaliste servant des intérêts économiques ou écologiques, elle apparaît pour certains comme une perte de temps dans des régions pauvres économiquement*.
L’un des risques en effet, que le rapport Sukhdev ne mentionne pas, est le passage de la biodiversité de propriété commune à propriété privée. Dès lors, ces mêmes pauvres prétendument défendus par cette nouvelle richesse se verraient déposséder par des acteurs au pouvoir économique (au sens ancien) plus important: les inégalités ne s’en verraient qu’accentuées.