Le parcours du projet d’aménagement d’une entreprise : la construction d’une autoroute
L’évaluation économique de la nature se fait souvent dans le cadre de la compensation d’un projet d’aménagement d’une entreprise. La description du parcours d’une entreprise pour faire compenser son impact sur la nature permet de faire figurer toutes les étapes nécessitant une forme de quantification de la biodiversité. A travers l’exemple d’une entreprise ayant fait compenser un de ses projets avec l’aide de la CDC Biodiversité, nous pourrons voir le parcours « éviter, réduire, compenser » à la base de toute tentative de compensation écologique
Les différentes étapes présentées dans cet article sont valables pour une entreprise voulant réaliser un projet en France et sont différentes dans les autres pays. Les législations en matière de compensation varient dans le monde, elles sont notamment très différentes aux Etats-Unis : elles laissent plus de libertés aux banques de compensations pour créer un marché délocalisé de la biodiversité *
Le projet
Plaçons-nous dans un contexte précis, celui de la construction de l’Autoroute A65, long de 150 km et reliant Langon en Gironde à Pau dans les Pyrénées-Atlantiques. Le chantier a débuté en juillet 2008 indique le site officiel du groupe A’LIENOR, principal opérateur du projet.
L’exemple choisi est emblématique : les dimensions exceptionnelles des mesures compensatoires entreprises par la CDC en font un cas d’école. La coopération entre le maître d’ouvrage A’LIENOR et l’équipe de la CDC responsable de la compensation est une étape cruciale dans l’intégration de la préservation de la biodiversité dans les projets d’aménagement en France.
En premier lieu, une étude d'impact
La loi de 1976 rend obligatoire pour A’LIENOR d’effectuer une « étude d’impact». *
Les études préalables à la réalisations d’aménagements qui, par leurs dimensions ou leurs incidences, peuvent porter atteinte au milieu naturel, doivent comporter une étude d’impact permettant d’en apprécier les conséquences.
La loi spécifie par la suite que l’étude d’impact comprend une analyse de l’état initial du site ainsi qu’une étude des modifications engendrées par les travaux. Elle fixe également les espèces – et leurs habitats – qu’il est nécessaire de protéger ainsi que les type de milieux qu’il est interdit d’abimer sans compenser (figurent principalement les différentes types de zones boisées et les zones dites « humides »).
L’étude d’impact est donc faite. A’LIENOR étant une filiale du groupe EIFFAGE, elle bénéficie du bureau d’étude d’impact interne au groupe. Seuls les grands groupes possèdent leurs propres outils d’étude d’impact – c’est le cas de BOUYGUES Construction aussi, au sein de la filiale ELAN décrite sur le site du groupe*. Un maître d’ouvrage plus petit ferait appel à un bureau d’étude extérieur qui facturerait évidemment ses services. Gaiadomo et Ecotone sont des exemples de bureaux d’études français.
L’étude conclut que le projet présente deux problèmes principaux en matière d’environnement: il détruit les zones d’habitat, de reproduction ou de repos de nombreuses espèces et il passe par plusieurs hectares de zones humides.
Ensuite : éviter, réduire
La loi de 1976 est très claire pour la démarche à suivre dans ce cas : il faut « éviter, réduire, compenser », précisèment dans cet ordre. Jean-Christophe Benoit, responsable d’étude et développement à laCDC Biodiversité commente la loi en ces termes :
Le maître d’ouvrage doit] éviter au maximum l’impact des travaux, revoir son projet, le déplacer, le concevoir différement. Ce qu’il n’a pas pu éviter, il doit le réduire et ce qu’il ne peut ni éviter ni réduire – cette séquence est extrêmement importante éviter réduire compenser, on va essayer de le compenser.
A’LIENOR a donc cherché en premier lieu à éviter l’impact de son projet, c’est à dire à modifier partiellement ses plans pour que les dégâts n’aient pas lieu. Seulement, pour un projet de grande envergure comme celui-ci, certaines détériorations sont inévitables. Il faut alors réduire ces dégradations le plus possible. Pour l’autoroute A65, Jean-Christophe Benoit explique qu’une forme de réduction de dégâts a été de creuser des passages sous l’autoroute pour que la faune puisse continuer à traverser cette zone sans danger : cela permet de ne pas « couper un corridor écologique ».
Remarquons que l’étude d’impact et ses conclusions sont soumises à une agence gouvernementale (généralement constituée d’écologues locaux) qui approuve ou non l’étude en fonction de son adéquation avec la loi de 1976.
Une dette écologique à rembourser
Toute atteinte au patrimoine naturel protégé par la loi de 1976 qui n’a pas pu être évité ou réduit suffisamment doit être compensé. Ici, la dette écologique de l’autoroute A65, établie à la suite de l’étude.
Afin de procéder à la compensation, A’LIENOR a fait appel à la CDC Biodiversité. La dette écologique doit être exactement payée, c’est à dire que la CDC devra recréer exactement les mêmes surfaces des différents environnements concernés (5 hectares de prairies humides, 40 hectares de formations végétales favorables au Lorier velu…etc). L’impact d’un projet d’une telle envergure se prolongeant dans le temps, il est nécessaire que la compensation aussi s’accompagne sur une longue durée, la CDC s’est engagée à s’occuper des surfaces de compensation jusqu’en 2066.
Le rapport de la CDC sur le projet A65 décrit la démarche de compensation*.
La CDC a identifié avec l’aide de la communauté naturaliste d’Aquitaine les territoires qui maximiseraient l’efficacité écologique de la compensation. Les propriétaires des terrains ont été contactés et ont été initiés à la démarche compensatoire. Il existe alors trois possibilités si le propriétaire coopère : la CDC peut acheter le terrain, le louer pendant le temps de la compensation (ici 60 ans donc) ou faire conventionner le propriétaire qui s’engage alors à respecter un cahier des charges écologiques. Jean-Christophe Benoitprécise l’intérêt pédagogique à un conventionnement plutôt qu’à l’achat d’un terrain
On s’est rendus compte que conventionner avec un propriétaire, cela a des effets de sensibilisation. Certains d’entre eux se sont rendus compte qu’ils avaient des espèces rares dans leur jardin, ils sont contents. Il se sentent impliqués, il y a un suivi, un reporting annuel tous les ans..”
A’LIENOR s’engage donc sur une durée de 60 ans à payer de façon forfaitaire la CDC pour qu’elle « sécurise » les surfaces concernées : c’est à dire recréer la biodiversité détruite par les travaux, la préserver et la valoriser. La CDC réalisera tous les travaux de génie écologique nécessaires à ces objectifs. Un suivi financier maïtrisera les coûts de l’ensemble des manœuvres, tout en garantissant à A’LIENOR le respect de ses engagements.
[A la CDC], on a un ingénieur financier, car comme les projets sont sur du très long terme, on utilise des modèles économiques : on n’achète pas tous les terrains.
Jean-Christophe Benoit
Une nouvelle loi en vigueur
En mars 2015, un projet de loi relatif à la préservation de la biodiversité a été voté à l’Assemblée Nationale. Le projet de loi durcifie la législation sur le compensation. Là où la loi de 1976 ne rendait obligatoire la compensation que pour un nombre de cas limités (destruction de zones humides par exemple), il rend les situation d’ « obligations de compensation écologique » beaucoup plus strictes.
Ce projet de loi crée par ailleurs des banques d’un nouveau genre, des réserves d’actifs naturels gérés par des acteurs privés, auxquels les opérateurs pourront faire appel pour satisfaire « leurs obligations de compensation ».
Maxime Combes, de Mediapart et member d’Attac France, ONG de défense écologique
Ainsi, de nouveaux acteurs apparaîtront prochainement en France et se raprocheront beaucoup des banques de compensation américaine. Il ne s’agit plus de réhabiliter pour chaque projet une surface différente mais d’acheter des actifs de terrains déjà en place. C’est une mesure largement critiquée, non seulement par les ONG comme Attac France mais par une partie de la classe politique. Delphine Batho craint “un pas vers la Financiarisaiton de la nature”, tandis que Laurence Abeille, député EELV (lien vers cartographie politique) considère que « ce système d’actifs naturels (…) revient à la financiarisation, à la marchandisation des espaces naturels ».
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