Voici un extrait de notre entretien avec Jean Christophe Benoit. Pour télécharger l’entretien complet : Entretien Jean Christophe Benoit
Jean Christophe Benoit (JCB) : Donc je me présente, Jean Christophe Benoit, je suis écologue de formation, je ne suis pas un financier, contrairement à ce qu’on peut penser. J’ai fait une formation universitaire en biologie, j’ai travaillé en bureau d’études, donc j’ai fait des études d’impact pour des projets. Après j’ai travaillé pour un maitre d’ouvrages, qui s’appelle Réseaux ferrés de France, où j’ai entrevu la problématique d’intégration de la biodiversité dans les projets, et depuis 5 ans je suis, à CDC biodiveristé, je me suis occupé de tous les projets nationaux de compensation, et depuis l’année dernière je suis en charge du développement de l’intégration de la biodiveristé à d’autres milieux (écotourisme, milieux urbains…).
CDC Biodiveristé est une filliale de la Caisse des Dépots, qui en est l’actionnaire principal. Elle a été créée en 2008. La CDC a une vocation d’intérêt général, et a pour mission d’accompagner le développement économique du pays, en proposant des actions inovantes et des outils pour permettre aux acteurs économiques de se développer en répondant aux problématiques actuelles. Dans le cadre de son plan développement durable, la CDC avait analysé 2 sujets assez fondamentaux qui sont le climat et la biodiversité. Elle a créé deux missions de recherche qui ont abouti à CDD climat qui travaille sur les problématiques du marché du carbonne et CDC biodiversité. Au cours de ces missions de recherche, il fallait chercher quelles étaient les thématiques sur lesquelles la CDD pourrait utiliser ses moyens, ses ressources, ses compétences. Un sujet qui a vraiment fait sens a été la compensation écologique. Elle existe dans le droit français depuis 1978 mais elle n’a jamais été mise en oeuvre. On ne savait pas trop pourquoi elle ne fonctionnait pas, mais déja les maitres d’ouvrage ne voulaient pas en entendre parler, car elle était prise comme une contrainte. Mais c’était aussi un problème de compétence : on a des bureaux d’études, on a des gestionnaires d’espaces naturels, des opérateurs fonciers, mais on n’a pas un opérateur qui regrouppe toutes ces compétences là. Du coup la caisse s’est dit : « je vais créer un opérateur nouveau, qui aura à la fois des capacités d’investissement, de bureau d’étude, de conseil…» . La CDC est née comme ca. 90% de nos activités depuis 2008 ont été de voir comment on pouvait mettre en place la compensation et de montrer que la compensation, c’est possible.
Vous travaillez donc avec des entreprises dont les projets pourraient porter atteinte à la biodiversité ?
Jean-Christophe Benoit : Bien-sûr. La loi de 76 est la première loi de protection de la nature, qui introduit une liste d’espèces protégées notamment, et un deuxième sujet qui est l’obligation pour un maitre d’ouvrage de réaliser des études d’impact. Un aménageur doit étudier toutes les composantes environnementales (humain, eau, biodiversité…), évaluer l’impact de son projet sur ces thématiques-là, éviter au maximum cet impact, revoir son projet, le déplacer, le concevoir différemment. Ce qu’il n’a pas pu éviter, il doit le réduire (ex : passage à faune sur l’autoroute, on coupe un corridor écologique. on va alors limiter l’impact en permettant à la faune de se déplacer), et ce qu’il ne peut ni éviter ni réduire – cette séquence est extrêmement importante éviter réduire compenser – on va essayer de le compenser. Qu’est ce que ça veut dire compenser? L’idée est qu’aujourd’hui la compensation vise la destruction d’habitats d’espèces protégées, de zones humides, de boisements, donc on va essayer de restaurer et de recréer des milieux équivalents à proximité, pour que finalement, il n’y ait pas de perte d’habitat.
Donc c’est à proximité ? Il n’y a pas de zones prévues qui peuvent être très loin ?
Jean-Christophe Benoit : Non, pas du tout, c’est ca le principe la compensation. Nous aujourd’hui, qu’est ce qu’on fait ? On se met à disposition d’un maitre d’ouvrage, qui ne sait généralement pas trop comment faire : un gros aménageur (Bouygues, Vinci Eiffage et autres) a des compétences de bureau d’étude en interne, mais les petits sont complètement désemparés. Une collectivité qui aménage une ZAC ne sait pas du tout comment s’y prendre. On est a disposition de ces gens la pour leur demander de faire le dossier. Une fois qu’ils ont leurs mesures compensatoires qui sont définies – car ce n’est pas nous qui les faisons, nous ne voulons pas être jugés parti, c’est un bureau d’étude qui s’en occupe, une fois que le besoin de compensation est identifié, (il est censé passé par la séquence éviter réduire, mais ça c’est le rôle de l’état de faire en sorte que cela se passe), un arrêté ministériel ou préfectoral est créé, et nous intervenons à ce moment-là. Le maitre d’ouvrage arrive et dit «Bien, voilà, moi j’ai ça à mettre en oeuvre» (généralement, ce sont des hectares à sécuriser, des habitats à restaurer et à gérer pendant un certain nombre d’années, de 15 à 60 ans). Grâce à la CDC, le maitre d’ouvrage peut externaliser la gestion de cette compensation sur le long terme. On signe des contrats de 60 ans, chose que peu d’opérateurs peuvent faire (on est affilié à la CDC, donc on a les garanties financières qui vont bien, etc.)
Comment un entrepreneur peut faire appel à vous ? Car un acteur qui n’a justement pas les compétences pour juger de son impact sur la biodiversité, comment il va être amené à se dire qu’il fait quelque chose qui peut porter atteinte à l’environnement dans lequel je travaille, donc qu’il doit faire appel à vous ?
Jean-Christophe Benoit : Il fait appel à nous en fin de chaine, avant il a toute une phase d’étude et d’instructions, et s’il ne le fait pas, le projet ne se fait pas. Par exemple, l’extension de l’hôpital d’Etampes, dans l’Essone. Ils font leur projet, le maire doit couper le ruban dans 6 mois, et là Pouf, ils sont en zone humide, et ils n’ont pas fait de projet loi sur l’eau. Ils ont de la compensation à effectuer en zone humide. Ils ont fait appel à nous et en deux mois, on leur a trouvé des terrains sur lesquels ils peuvent faire de la compensation, sans quoi le projet ne se serait pas fait.
Quel est l‘intérêt des zones humides ?
Jean-Christophe Benoit : les zones humides sont cruciales. On va toucher au sujet des services rendus par la nature. Les zones humides sont des champs d’expansions des crues. La raison de l’augmentation des inondations sur le territoire est l’aménagement désorganisé du territoire, qui a limité le champ d’expansion des crues et des zones humides. Ces zones ont le role d’éponge et d’épurateur. Leur protection est un vrai enjeu. Ce sont des zones extrêmement rares, elles ont des cortèges floristiques et faunistiques inféodés, donc on touche aussi à la biodiversité. Quand on étudie une zone humide, on va regarder quelles espèces elle abrite, quels services elle rend… On regarde si on ne peut pas éviter ces zones en abordant le sujet d’une manière différente, si on peut construire un viaduc sur un cours d’eau. Le bureau d’étude se charge du travail en étudiant les enjeux écologiques sur le tracé envisagé. En fonction de cela, il va définir les impacts du projet.
Comment mettez vous en oeuvre une opération de compensation ?
Jean-Christophe Benoit : c’est un vrai sujet. Qu’est ce qu’on va compenser ? Aujourd’hui on a des petits porteurs de projet qui valent 5000 m2, ca n’a pas de sens d’acheter une parcelle de 5000 m2 et de travailler la dessus. Ce qu’on propose, c’est de mutualiser les opérations de compensation sur un territoire beaucoup plus important. Et du coup, notre action a beaucoup plus de sens. Impossible de recréer des fonctionnalités sur des petits terrains. J’en viens à présenter l’opération Cossures, très médiatisée. On anticipe les besoins de compensation sur un territoire. On a acheté 357 ha sur nos fonds propres d’un site qui est en mauvais état écologique, qu’on va restaurer. On va de ce fait créer une plue value écologique qu’après les maitres d’ouvrages pourront utiliser pour leurs besoins de compensation. Pour les petits porteurs de projet, cela a beaucoup de sens, car c’est vendu clefs en main, et généralement, ils sont un peu démunis face à ce genre de problématiques. On fait ce genre de projet dans des zones très dynamiques ou on sait que la pression est forte mais que la compensation reste importante.
Quel est l’intérêt des économistes dans le processus ?
Jean-Christophe Benoit : on a un ingénieur financier, car comme les projets sont sur du très long terme, on utilise des modèles économiques : on n’achète pas tous les terrains. On s’est rendus compte que conventionner avec un propriétaire, cela a des effets de sensibilisation. Certains d’entre eux se sont rendus compte qu’ils avaient des espèces rares dans leur jardin, ils sont contents. Il se sentent impliqués, il y a un suivi, un reporting annuel tous les ans… Cela a des vertus pédagogiques importantes. Du coup, on peut par exemple indemniser des agriculteurs, en faisant baisser les prix sur le marché de la céréale s’ils sont céréaliers. Il faut prendre en compte les risques financiers… Quand il y a des changements d’activités, il faut aussi étudier les filières, les impacts d’un changement d’activité sur l’économie locale… C’est un projet de territoire, cela dépasse la biodiversité.
Est-ce que vous trouvez que la façon dont la presse traite de la protection de la biodiversité à travers la sacralisation d’espèces macroscopiques de type panda, tigre… C’est une bonne approche, ou ne vaut mieux-t-il pas parler de la nature ordinaire ?
Jean-Christophe Benoit : Aujourd’hui, l’enjeu, il est sur la nature ordinaire. Mais c’est difficile à faire comprendre. Quand on voit un panda, un tigre, c’est beau, c’est prestigieux… C’est difficile à faire comprendre. Il faut passer par là pour accrocher, mais ensuite il faut dire que ce n’est pas que cela. Après je pense qu’on manque d’émissions grand public sur les chaines télé pour parler de cela. En ce moment, les programmes restent caricaturaux, on parle trop des ours polaires, des espèces emblématiques… Les moineaux domestiques disparaissent dramatiquement à Paris, mais cela n’émeut personne. A mon avis, certains sujets pourraient parler à la population. C’est compliqué, mais certes, cela manque.
Oui, il y a un déficit d’information, quand on a démarré dans cette controverse, bien qu’on connaissait déjà une certaines partie des enjeux, on ne connaissait rien aux méthodes de compensation par exemple…
Jean-Christophe Benoit : On en parle, mais en mal… On nous fait passer pour des banquiers. Alors que je passe ma semaine à aller sur le terrain. On ne retient que le coté négatif. Effectivement qu’il y a de l’économie, mais on est forcés d’en passer par la. Je suis passé par certaines associations de défense de la nature quand j’étais jeune, et il y a une sorte de tabou argent-biodiversité. On ne veut pas mélanger, c’est sale… Mais il faut en parler. En plus de cela, l’économie ce n’est pas que l’argent, c’est bien plus. Cela existe même dans la nature : quand un prédateur chasse, il se demande au préalable si l’énergie que cela va lui rapporter sera supérieure à ce qu’il va dépenser. C’est pas purement humain. Quel moyen on met, quels objectifs… Ce n’est pas que de la financiarisaiton avec des tradeurs. Je comprends leur réaction, elles sont dans leur rôle, mais c’est dommage qu’elles ne perçoivent que le coté négatif. Si les associations veulent qu’on reste dans la situation d’avant grenelle ou on n’empêchait rien de se faire… Alors peut-être que ce n’est pas idéal, mais c’est mieux que rien. On a quand même sécurisé 1400 ha pour un projet par exemple. On les achète, on est propriétaire, soit on signe des conventions, et dans ce cas-là on est pas propriétaire. Mais cela marche, les propriétaires se prennent au jeu, la démarche peut se pérenniser.
Vous avez pensé à en faire des parcs écologiques pour rentabiliser le projet et sensibiliser la population ?
Jean-Christophe Benoit : Pourquoi pas. Aujourd’hui, on ne peut pas adjoinre à un terrain privé une servitude écologique. On est en train de trouver des outils, mais pourquoi pas, l’écotourisme… Mais aujourd’hui, les associations vont dire que c’est mal. En plus, cela renforce notre statut de banquier… Mais proposez autre chose! Les gestionnaires d’espace naturels ne gagnent pas de revenus…
Comment les associations participent-elles ?
Jean-Christophe Benoit : Elles viennent à des colloques, ou à des réunions. Mais elles me jugent car elles considèrent que je suis passé du coté obscur de la force…