Voici un extrait de l’entretien que nous avons fait avec Bernard Chevassus au Louis.
Dans votre rapport, vous faites la distinction entre biodiversité ordinaire et biodiversité exceptionnelle, pouvez vous nous en parler d’avantage ?
Cette distinction a fait l’objet de longs débats. Le point de départ est de dire que depuis que la protection de la nature est née, elle s’est inspirée de la même logique que celle des monuments historiques. Dans la loi 1913, il est écrit que parmi la diversité des constructions humaines, il y en a un certain nombre qui représentent une valeur patrimoniale, historique, artistique ou esthétique. Ainsi on extrait de l’ensemble des constructions humaines ces monuments que l’on va protéger parce qu’il font partie d’un patrimoine remarquable. Dans l’approche de la protection de la nature, ça a été le même principe : les grands paysages, les grands animaux en voie de disparition sont considérés comme des monuments. D’ailleurs il se trouve que beaucoup d’études économiques traitent en fait du consentement à payer d’un ours grizzli ou d’ un loup. Car cette estimation est très simple à entreprendre.
On a mis alors en place à ce titre toute une législation de protection, d’interdiction de destruction etc…
Et puis peu a peu on s’est rendu compte que cette partie remarquable de la biodiversité était le tout petit sommet de l’ice-berg et ce qui faisait réellement la biodiversité c’était tout le réseau du vivant. En effet 95 % de la biomasse vivante sur Terre est constituée d’entités à peine visible à l’oeil nu.
Il est plus difficile d’estimer chaque unité indépendamment, car c’est le réseau, le maillage des interactions qui compte beaucoup plus que la valeur individuelle de chaque entité. Finalement tous ces réseaux sont comme une boite noire pour nous, humains. Des services sortent de cette boite noire et on évalue les services sans chercher à savoir qui les a fait.
Autre fait intéressant qui est dans votre rapport : vous arrivez à estimer le prix d’une forêt, et vous estimez ce prix en euros par hectare et par an. Qui perd cet argent et quand ?
Pour estimer le prix d’une forêt, on regarde tout d’abord la production matérielle : une forêt produit du bois. Ce facteur est pris en compte en économie classique car ce bois est vendu. Ensuite on va entreprendre de regarder toute une série d’autres choses qui ne sont pas directement sur le marché.
- Certaines personnes vont en forêt pour cueillir des champignons ou des fruits. Quel serait la valeur de cette cueillette ? Cette cueillette donne tout d’abord plus de pouvoir d’achat à ces personnes car elles n’ont pas acheté ces champignons. D’une certaine manière ça va leur faire des économies. C’est ce que l’on appelle une fourniture gratuite de services.
- Ensuite certaines personnes y vont pour se promener. On applique alors la méthode du consentement à payer. On leur demande d’où ils viennent. Et on fait la distance moyenne qu’ils ont parcourue. Finalement le cout du déplacement qu’elles ont fait pour venir est une estimation de la valeur qu’elles accordent au fait de venir en foret plutôt que de rester chez elles.
- On arrive a peu près au prix du cinéma. Si elles avaient été au cinema, elles auraient consommé d’avantage, et le PIB aurait augmenté. Mais on peut dire aussi comme elles ne sont pas allées au cinema, ces personnes vont vont dépenser cet argent différemment. En économie publique, on peut dire d’une certaine manière qu’on ne le voit pas.
- Enfin il y a le fait que les forêts fixent du carbone et ceci diminue le réchauffement climatique. Ce sont des dommages possibles sur des périodes longues et sur des populations indéfinis (la diminution du réchauffement climatique n’est pas bénéfique que pour la France) : c’est d’un intérêt mondial.
On se rencontre alors que cette promenade en forêt est d’un intérêt pour les particuliers, d’un intérêt national et d’un intérêt mondial.
Comment estimez-vous qu’il faille évaluer la biodiversité ?
En fait nous n’attribuons pas un prix à la biodiversité mais à un flux. Evaluer le flux des services dont à un moment donné les hommes bénéficient du fait de l’existence du capital. Quand on est sur une ressource minière, il y a une relation simple entre les flux et le capital, c’est la somme totale des flux qui donne le capital.
Dans le cas d’une ressource renouvelable, comme c’est le cas pour la biodiversité, c’est un capital qui se renouvelle, le capital en tant que tel n’est pas le plus important, mais c’est plutôt ce que les hommes bénéficient. On ne peut pas dire que la quantité totale de poissons dans la mer est égal au nombre de poissons que l’on pêche annuellement. On ne prétend pas évaluer la biodiversité, ce qu’on évalue ce sont, à un moment donné et dans une société donnée, les flux dont bénéficient les hommes. Ces flux on les quantifie en terme de valeurs physiques (flux de carbone, de matière) et on les monétarise ensuite. Par exemple : les rivières de Norvège sont en meilleur état que les rivières françaises mais comme il y a très peu d’habitants en Norvège, si on fait le calcul de la valeur des services des rivières de Norvège, on tombera sur une valeur plus faible que la celle des Français.
Donc vous dites que le calcul de la biodiversité a besoin d’un contexte et d’un milieu. La biodiversité ne vaut rien en elle-même ?
Dire qu’elle ne vaut rien est faux mais l’économie, comme toute discipline, ne sait donner des valeurs qu’à des échanges. Elle ne sait pas donner des valeurs intrinsèques, c’est la majeure difficulté que l’on a quand on discute avec les philosophes.
Voici un autre exemple : l’économie regarde quel prix vaut une œuvre d’art, elle constate qu’une œuvre d’art à un moment donné, vu la cotation de l’œuvre d’art et de l’offre et de la demande, a une valeur. Elle ne dit pas la valeur intrinsèque de l’œuvre d’art. La valeur est contingente. Par exemple si votre grand-père vous donne un tableau de Van Gog et que vous l’exposez dans votre salon. Un jour un ami le voit et dis « Je connais très bien ce tableau, c’est une copie « . L’objet n’a pas changé c’est toujours le même tableau mais d’un seul coup la valeur s’effondre. Il y a aucun changement de l’objet physique seulement la valeur décroit. C’est ça la différence entre la valeur intrinsèque et la valeur d’échange.
C’est avec cette vision que l’économie peut constater que certaines ressources sont jugées inintéressantes pour les hommes.