Une remise en cause de la croissance ?
Alors que les promoteurs les plus libéraux du revenu de base le défendent dans le but d’étendre la sphère du marché, le revenu de base peut également s’inscrire dans les convictions inverses lorsqu’il s’accompagne d’une extension de la sphère de la gratuité.
Le Revenu de Base a comme premier objectif de répondre aux besoins élémentaires des individus : avoir un logement, un accès à l’éducation, à la santé, aux ressources essentielles à la subsistance.
Il apparaît du ressort d’une société qu’aucun de ses membres ne puisse être dans la nécessité. Cela va de pair avec la valorisation de nouvelles activités, puisque le revenu de base permet un accès aux ressources nécessaires à la vie de l’individu en contrepartie de sa participation à la société, quand bien même celle-ci ne passe pas par l’emploi.
S’interroger sur le choix de la gratuité plutôt que du marché revoit aux plus anciens principes fondateurs du revenu de base, notamment à travers l’idée de Thomas Paine d’un revenu universel dans le but de rétribuer un patrimoine commun, appartenant à tous.
La théorie de la décroissance :
« On peut dire que la société de croissance est une parenthèse qui aura duré trois cents ans au maximum. […] Donc trois cents ans c’est une goutte d’eau. »
Serge Latouche, théoricien de la décroissance et membre du MOC dans une interview en 2014
La décroissance est une pensée qui met en lumière les limites de la course à la croissance, en termes de retombées sur la planète avec le problème énergétique et écologique, ainsi que sur l’individu et le sens que l’on veut réellement donner aux activités humaines. C’est en ce sens que le MOC (Mouvement des Objecteurs de Croissance) envisage l’idée d’un Revenu de Base qui prend la forme d’une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie (DIA). Une distribution plus équitable des richesses en proposant, par exemple, un revenu maximum allant de pair avec un revenu minimum, comme Alain Caillé du MAUSS ou Bernard Friot et les membres du MOC le proposent, semble avoir une action sur la diminution des inégalités mais la baisse de la consommation que cela impliquerait ne semble pas aller de soi.
Un revenu supplémentaire, n’est-ce pas contradictoire avec une critique de la croissance?
Pourtant, en évaluant un revenu de base à un niveau jugé suffisant pour subvenir à ses besoins, tel que le revenu inconditionnel de Baptiste Mylondo, fixé à 800-1000 € ou la Dotation Inconditionnelle d’Autonomie que propose le MOC, c’est toute la conception de la valeur travail qui est transformée. Paul Ariès, membre du MOC et du MAUSS, explique comment le Revenu de Base, mis en place dans une perspective décroissantiste, permet d’en finir avec la centralité du travail dans la vie de l’individu.
Une liberté dans l’activité exercée
En effet, un revenu inconditionnel suffisant pour subvenir à ses besoins permet de lever l’injonction à travailler. Ainsi, cela laisse à chacun le choix de se consacrer à une activité qu’il a choisi. Avec le montant d’un Revenu de Base fixé selon un niveau du PIB, tel que le propose Baptiste Mylondo, moins les personnes travaillent de manière productive et plus ce revenu est bas, et plus ces dernières travaillent et plus il augmente. Ce mécanisme a pour visée de conduire à terme à ce que soit produit uniquement ce dont il est nécessaire pour vivre.
Une redéfinition du lien social
Par ailleurs, en rétribuant la participation de chacun à la production de richesse sociale, le revenu de base permet de redéfinir le lien sur lequel repose la société. Il s’agit de mettre la production et l’économie au service de la politique et de la construction d’un projet de société commun qui se détache de la course à la production et à la consommation, en favorisant notamment le partage du travail.
Le revenu de base n’est-il pas au contraire un vecteur de croissance?
La vision libérale
À l’inverse, les promoteurs du revenu de base se revendiquant comme « libéraux », que ce soit dans le domaine économique ou philosophique (comme Gilles Saint Paul, Gaspard Koening …), défendent des objectifs tout à fait opposés.. En effet, ils voient en lui un outil de flexibilisation du marché du travail,. Quand bien même ils envisagent la fin du modèle du plein emploi en entreprise, le revenu de base serait l’occasion de réduire considérablement le chômage et un facteur de croissance économique.
Sortir des rigidités du marché du travail
En effet, en plus d’une conception conjoncturelle du chômage, ils pensent que celui-ci à long terme est dû aux rigidités du marché du travail (par exemple, les charges sur les salaires du côté de la demande ou les allocations sociales pour l’offre de travail). Ainsi, sa mise en place serait synonyme de suppression des minimas sociaux (retraite, indemnisation des congés maladie, allocation chômage, etc…) et donc du SMIC.
Le rôle du Revenu de Base
Le Revenu de base est généralement condamné par les économistes (libéraux). Il est considéré comme un moteur de destruction d’emploi qui ne redistribue les richesses in fine qu’entre les travailleurs en excluant à nouveau les chômeurs qu’il crée. Le revenu de base éliminerait donc les rigidités du marché du travail et permettrait la création de nouveaux emplois, notamment du fait de la plus grande marge de manœuvre confiée aux entreprises.
Un moyen de rendre efficient le marché du travail ?
Les défenseurs d’un revenu de base libéral s’inscrivent dans la lignée idéologique de M. Friedman (lui même opposé au SMIC). L’économiste avait théorisé un Earn Income Tax Credit, associé par certain à l’Impôt Négatif. Or, le Revenu de Base tel que le conçoivent les « libéraux » est assimilable à ce dernier. Tous deux ont pour but de redistribuer les richesses sans créer de désincitation à gagner plus. Le travailleur ne perd pas son Revenu de Base lorsqu’il travaille.
Un moyen de pallier les limites du système actuel
C’est là un des principaux atouts du revenu de base à leurs yeux. Il se différencie ainsi du système de redistribution actuel qui crée des taux marginaux d’imposition élevés : plus les gens gagnent, moins le transfert auquel ils ont droit est important, ce qui constitue un effet dissuasif. Le revenu de base remplacerait donc un modèle de protection sociale qui ne créerait aucune distorsion économique (le montant perçu serait indépendant de l’activité de l’agent) et permettrait par conséquent un fonctionnement optimal du marché du travail. Ils conçoivent donc le Revenu de Base comme un vecteur d’incitation au travail. Il serait le meilleur moyen pour remédier à une partie du chômage volontaire en faisant en sorte que les gens aient une meilleure situation en travaillant plutôt qu’en percevant les minimas sociaux.
Une mesure en réponse à la crise ?
Le revenu de base serait donc la meilleure solution à la crise de l’offre et de la demande de travail via la suppression des minimas sociaux qu’entraînerait son instauration. Il inciterait donc les gens à travailler. De la même façon, cette mesure permettrait une simplification du système administratif (ne serait-ce qu’au niveau de la Sécurité Sociale).
Plus particulièrement, les philosophes libéraux pensent quant à eux le Revenu de Base comme l’instrument d’une émancipation de l’individu dans un monde entrepreneurial. Il serait alors le filet de sécurité unique de l’État pour protéger cette indépendance, un substitut du modèle de redistribution actuel basé sur le rôle de l’entreprise comme source de protection.