Le revenu de base désincite-t-il à travailler ?

22 mars 2015

La peur d’une désincitation à travailler entrainant la désertion du marché du travail apparaît souvent comme le plus gros obstacle à la mise en place d’un revenu de base.

9.1
Des modèles encourageants mais insuffisants pour juger de la désincitation

Les modèles d’économie comportementale

Si l’on suit les théories classiques d’économies, les conséquences d’une augmentation de revenu se répercutent automatiquement en une diminution du travail rémunéré. Mais Wesley J. Pech a présenté dans les Basic Income Studies des modèles d’économies comportementales pour juger de l’aspect désincitatif ou non d’un revenu de base sur le travail. Il arrive à des conclusions inverses de celles de l’économie standard et montre qu’à certaines conditions, la mise en place d’un revenu de base peut même conduire à la une incitation au travail.

Une mesure qui n’a pas forcément vocation à impacter le travail

Toutefois, certains défenseurs du revenu de base comme Marc de Basquiat, proposent celui-ci en remplacement d’aides déjà existantes. Ainsi, en se substituant au système déjà existent, mais à la différence de le rendre plus juste et lisible, il est escompté que cela ne se traduise pas en terme d’effets pervers sur le travail. Plusieurs simulations ou expériences ont été faites pour tenter d’évaluer les effets d’un revenu de base en termes de désincitation au travail.

Des expériences sur la désincitation

Axel Marx et Han Peeters, deux sociologues de Louvain, ont relié le revenu de base à un jeu de loto où le gain n’est pas une somme touchée directement mais un salaire perçu chaque mois durant toute sa vie, à hauteur des minimas sociaux belges, soit 613 euros. Ce gain est donc relativement proche de ce que pourrait être un revenu de base. Les deux chercheurs ont étudié en 2004 84 gagnants à ce jeu et ont comparé leurs évolutions en termes d’emplois. 66 gagnants avaient un emploi au moment où ils ont gagné et au moment de l’enquête, 5 d’entre eux avait arrêté de travailler et 5 autres avaient réduit leur temps de travail (dont un pour des raisons indépendantes au revenu supplémentaire perçu). On voit donc que sur tous les gagnants, seuls 9 ont connu un changement dans leur situation face au travail. Les effets désincitatifs sur le travail paraissent donc minimes.

Les expériences de revenu de base menées à l’étranger ont donné lieu à des observations, afin de déterminer si oui ou non le revenu de base désincitait à travailler. Les conclusions ont été similaires à celles observées par Axel Marx et Han Peeters, soit aucune désincitation flagrantes.

Des conclusions mitigées

Toutefois, les conclusions de ces expériences sont à relativiser. En effet, le revenu de base n’a été mis en place que pour une courte durée lors des expériences à l’étranger (moins de 6 ans), et pour le cas du loto, seule une infime partie de la population a été concernée. Ces deux différences introduisent des biais dans l’analyse.

L’expérience du loto

Pour le cas de l’expérience du loto, on pourrait penser que les gagnants continuent à mener une vie similaire à celle des personnes qu’ils côtoient, et on ne peut prévoir quels serait les comportements si l’ensemble d’une population était touchée. De plus, l’échantillon était trop réduit pour permettre une généralisation et on peut penser que la valeur du temps libre est plus grande quand on est peu à en avoir, alors que si tout le monde percevait ce revenu supplémentaire, cela pourrait être la « norme » d’en prendre.

Les expérimentations à l’étranger

Quant aux expériences à l’étranger, il paraît difficile de généraliser les conclusions tirées, puisque le revenu de base n’a été mis en place que pendant une courte période, ce qui laisse envisager que les bénéficiaires ont peut-être préféré conserver leur emploi ou travailler le même nombre d’heure parce qu’ils savaient que cette hausse de revenu ne serait que temporaire et qu’ils seraient amenés à retrouver le même rythme de travail un fois la période d’essai terminée.

Une généralisation difficile

Ainsi, les modèles envisagés pour tester le revenu de base laissent présager qu’il n’entraînerait pas de désincitation au travail, mais elles ne concernent que le court terme et le flou reste entier quant aux conséquences sur le long terme d’un revenu de base par rapport au travail.

9.2

Les perspectives clivées des acteurs

Une citrique classique

Une fois le revenu d’existence acquis, il serait alors donné à la population de survivre sans pratiquer la moindre activité. Ceci pourrait avoir de fortes répercutions sur l’économie.

Ce problème est soulevé par Michel Husson qui déclare :

« Dans une société comme la nôtre qui n’est pas une société d’abondance, si tout le monde décide de vivre du revenu inconditionnel, il n’y a plus de revenus. Qu’est-ce qui garantit l’équilibre global entre les choix individuels? Vous pouvez distribuer des billets, mais s’il n’y a rien dans les magasins, ça ne sert à rien. »

La réponse des partisans du revenu de base

En réaction à ces critiques, on peut prendre le contre-pied et défendre l’idée que les agents créent une activité économique qu’ils soient producteurs ou consommateurs. En ce sens, le produit de notre travail n’est pas le fruit de notre seul mérite. Il est aussi le fruit du savoir né du travail des générations antérieures, qui conditionne l’ensemble des connaissances, le capital matériel et social accumulé, le niveau même des salaires, et encore les infrastructures et la culture même dans laquelle nous vivons. C’est cet ensemble qui est à l’origine de l’efficacité des efforts individuels et caractérise le niveau de vie d’un pays. Aussi il n’est pas nécessaire que le revenu soit issu d’un travail a proprement parler. Qui plus est, ce projet ne s’inscrit pas dans la fin du travail, au regard du fait qu’il détermine plutôt une sorte de nouvelles formes de travail, et d’activités sociales.

La réponse de Baptiste Mylondo

Baptiste Mylondo répond à ces critiques en proposant un système de balancier :  

« Si la désincitation au travail entraîne une baisse de l’activité économique, il va y avoir une baisse des recettes fiscales qui financent le revenu inconditionnel, donc une baisse du revenu inconditionnel, donc une hausse de l’incitation à travailler. »

Ainsi, selon lui, une telle manière de financer le revenu de base conduirait à ce que la société produise uniquement ce qui est nécessaire. Il se place comme décroissantiste et explique que si le revenu de base conduit au partage et à la diminution du travail, cela ne serait pas une mauvaise chose.

Lors d’un sondage où la question posée était « arrêteriez vous de travailler si vous aviez un revenu de base », 60% des personnes répondaient affirmativement, 30% continueraient à travailler mais moins ou dans un autre domaine et 10% arrêteraient. Mais lorsqu’on demande « et selon vous, que feraient les autres? », 80% des personnes interrogées répondent qu’ils arrêteraient de travailler. Ainsi, derrière le revenu de base, l’enjeu n’est pas d’arrêter de travailler, mais plutôt de montrer que la motivation au travail peut et devrait reposer sur autre chose que les incitations financières.

Le revenu de base serait-il à l’inverse un facteur d’incitation à travailler?

Mais dans une vision radicalement différente, pour les partisans libéraux du revenu de base, ce dernier non seulement ne désinciterait pas à travailler, mais en plus il encouragerait le travail. En effet, dans ces théories, le montant du revenu de base est fixé à un niveau assez faible (400€ au maximum) et s’accompagne de la suppression d’une majorité des aides. Il paraît alors évident qu’un tel revenu ne permet pas de subvenir à ses besoins et que le revenu de base n’est pas ici mis en place dans l’optique de laisser le choix ou non d’exercer une activité rémunérée, mais au contraire, par la flexibilisation du marché du travail induite par la suppression de ses rigidités, il est mis en place dans le but de réduire le chômage en incitant à travailler et à embaucher.

9.3Des répercutions objectives : le revenu de base pallie les désincitations actuelles à travailler : la « trappe à inactivité ».

Le revenu de base s’intègre dans une réflexion sur le chômage structurel qui touche notre société dans un cadre d’augmentation de la productivité, de mondialisation et de libéralisation qui entraîne des délocalisations et la disparition de nombreux emplois peu qualifiés. Au-delà qu’une simple compensation à ceux qui ne peuvent pas trouver d’emploi (allocation chômage).

La trappe à inactivité

Tout d’abord, pour de nombreuses personnes, l’obtention d’un emploi ne s’accompagne pas forcément de l’augmentation du revenu disponible. Comme le montre T. Piketty dans un article de 1997, il existe en France des taux marginaux d’imposition très élevés pour les bas revenus dû au fait que les allocations spécifiques (RSA, ASS, allocation chômage) s’interrompent dès la reprise d’un emploi même à temps partiel, ce qui entraîne une très faible incitation à trouver un emploi. On appelle ainsi « trappe à inactivité » la situation dans laquelle un individu au chômage est désincité à prendre un emploi, car le renoncement aux aides perçues ne serait pas compensé par le salaire touché, ou parce qu’une situation de travail précaire qui n’a pas vocation à durer oblige à se replonger dans des démarches administratives.

Un phénomène qui s’accentue

Ce phénomène est amplifié par la croissance des formes particulières d’emploi (CDD, intérim) sur le marché du travail, qui constituent la majorité des emplois créés en termes de flux (même si la norme en termes de stock reste le CDI).

L’apport du revenu de base

Le revenu de base, permettrait d’apporter un revenu complémentaire et ainsi de soutenir les emplois peu productifs (ce qui est le rôle de la prime pour l’emploi en France). Cela consisterait donc dans une prise en charge commune de la rémunération des salariés les moins bien rémunérés. Le revenu de base constitue en ce sens un socle pour les travailleurs précaires, leur permettant de se lancer eux-mêmes dans des emplois précaires, qui, par le revenu de base, ne le seraient plus.

Le revenu de base s’intègre également dans une vision de partage du travail en diminuant le coût pour les salariés d’une réduction du temps de travail.