Quels objectifs pour l’emploi ?

23 mars 2015

Le Revenu de Base apparaît comme une réponse aux évolutions du travail et aux objectifs espérés concernant différentes dimensions du travail et de l’emploi. Comment se traduit-il effectivement en terme de répercussions sur l’emploi ?

8.1
Le revenu de base permet-il un partage du travail ?

 

 »Le paradoxe aujourd’hui, c’est qu’il y a des gens qui sont malades de trop travailler et d’autres qui sont malades de ne pas le faire. »

Stanislas Jourdan

De nombreux défenseurs du Revenu de Base le voient comme un moyen pour entamer un plus grand partage du travail au sein de la société, pour empêcher un fonctionnement à deux vitesses avec d’un côté ceux qui travaillent et produisent énormément alors que d’autres sont à la recherche d’emploi. Le partage du travail apparaît donc comme une solution pour atteindre le plein emploi.

Un partage du travail est proposé notamment par Pierre Larrouturou, fondateur de Nouvelle Donne qui plaide pour une semaine à 32h. Le partage du travail est souvent critiqué par l’exemple empirique des 35h en France qui, même si les effets sur l’emploi en sont encore débattus,  n’a dans tous les cas pas provoqué une création massive d’emplois. Néanmoins une diminution du temps de travail couplée avec un Revenu de Base aurait un effet différent.

La différence entre le Revenu de Base et la semaine de 35h :

Contrairement à ce qui a été fait avec les 35h, c’est à dire un abaissement du temps de travail en conservant les rémunérations au même niveau qui a eu pour effet d’augmenter le coût horaire du travail, l’abaissement du temps de travail combiné avec un revenu de base permettrait de garder un coût horaire du travail équivalent et de combler le différentiel de salaire par le revenu de base. De plus, les individus pourraient choisir par eux-mêmes s’ils décident ou non de diminuer leur temps de travail. Ce ne serait pas une mesure arbitraire imposée par les politiques aux entreprises comme ont pu être perçues les 35 heures mais plutôt une mesure politique qui pourrait d’une certaine manière baisser le coût horaire du travail et ainsi permettre une baisse du temps de travail.

Les bénéfices du partage du travail

Enfin, si le revenu de base peut être vu comme un moyen de réduire le temps de travail, cette réduction du temps de travail est également vue comme un moyen pour permettre la participation des individus à d’autres activités à but non-lucratif. C’est particulièrement vu comme un moyen de s’investir dans des activités associatives, des organisations politiques et d’accorder plus de temps à l’épanouissement personnel.

« Le meilleur partage du temps de travail induit par l’allocation universelle permettra à ceux qui le souhaitent de consacrer plus de temps au travail politique (par opposition au travail économique), et donc de participer au processus de gouvernance démocratique. »

  www.allocation-universelle.net

8.2Le Revenu de Base comme moyen de faciliter la transition vers de nouveaux emplois

 

La mise en place d’un Revenu de Base est souvent associée à la revalorisation ainsi qu’au développement d’activités non-marchandes comme le bénévolat. Cependant certains défenseurs de Revenu de Base, qui souhaitent une transformation de la structure de l’emploi, pensent que l’instauration d’un Revenu de Base permettra la réappropriation du travail par le travailleur, une plus grande autonomie et encouragera les gens à mettre en place des projets qui leur tiennent à cœur et qui à long terme s’avéreront rentables.

L’Entrepreneuriat, moteur de l’économie au XXI ème siècle?

Certains chercheurs pensent que l’évolution naturelle des formes d’emploi conduira nécessairement au développement de l’entrepreneuriat. Ainsi Gaspard Koenig estime que nous entrons dans un monde qui est de plus en plus celui de l’auto-activité. Ce monde « plus sympathique et créatif » est aussi « plus risqué et plus précaire ». Le constat est le suivant : les entrepreneurs sont ceux qui font évoluer la société actuelle à l’instar des créateurs de start-up de la Silicon Valley. Or si l’économie à besoin de ces auto-entrepreneurs qui sont prêts à prendre des risques pour innover, le système actuel n’encourage pas ce type d’initiatives.

Grâce au Revenu de Base, qui fait office de filet de sécurité, les individus se sentiront plus libre de prendre le risque de créer leur entreprise. A cela s’ajoute le fait que le Revenu de Base permettra de financer des projets que les banques n’acceptent pas forcément de financer. Le Revenu de Base serait alors un outil qui favoriserait le travail indépendant.

Les arguments philosophiques en faveur du travail indépendant

S’ajoute à cette justification économique une justification morale et philosophique en faveur du travail indépendant. Celui-ci est perçu comme la garantie de l’autonomie de l’individu. Il permet une réappropriation du travail. Ainsi le Revenu de Base ne sert pas nécessairement à moins travailler, mais il sert surtout à travailler mieux, dans de meilleures conditions et avec plus de responsabilités. Cela renvoie à une nouvelle conception de l’emploi.

Et si ce type de travail permettait de réaliser enfin la transition écologique ?

Le Revenu de Base est vu, notamment par Yanninck Vanderborght et Jean-Eric Hyafil, comme un moyen d’accélérer la transition écologique. Quel est le rapport avec le travail indépendant ? L’idée est que les travailleurs et plus généralement les citoyens sont capables de trouver les solutions qui permettront la transition écologique et sociale. En leur fournissant un Revenu de Base et donc en encourageant les initiatives aussi bien marchandes que non marchandes on encourage les individus à inventer de nouveaux modes de consommation et de production. Les individus pourraient ouvrir des ateliers de réparation ou encore ouvrir une entreprise d’isolation thermique…

Une extension du travail indépendant

Le travail indépendant ce n’est pas uniquement la création de projet. Bien sûr dans l’idéal, selon les défenseurs du Revenu de Base, chacun sera libre de mettre en place les projets qui lui tiennent à cœur. Mais travailler à son compte ne nécessite pas d’être un entrepreneur né. Travailler pour son compte peut devenir une nécessité dans une société où les individus changent de travail de plus en plus souvent. Le consulting, la multiplication des appels à projet, des contrats à la semaine ou pour quelque mois montrent que les individus tendent à ne plus avoir de port d’attache. La relation structurante de longue durée entre l’employé et l’entreprise semble mise à mal par cette évolution. C’est pourquoi le revenu de base permettra d’assurer une sécurité et de permettre aux individus de s’adapter à ces nouveaux modes de travail.

8.3

La valorisation des activités non-rémunérées

Pour Chantal Euzéby, le Revenu de Base permet la valorisation et donc l’extension des activités sociales et politiques qui produisent de l’utilisé sociale et qui sont indispensables au bon fonctionnement de la sphère marchande. Cette mesure permettrait donc de rendre le travail productif plus performant, en rendant par exemple possible une meilleure conciliation entre la sphère familiale et la sphère professionnelle, ainsi qu’un accès à la formation plus performant, en la rendant plus accessible et en adéquation avec les nécessités d’adaptation et de flexibilité du travail. La mise en place d’un revenu de base permet de faciliter une transition dans la sphère de l’emploi, vers de nouveaux types d’emplois. Cette transition semble inévitable du fait de la robotisation et de la numérisation du travail. Mais au-delà de cela, le Revenu de Base, en rémunérant l’apport de richesse sociale de chacun à la société, selon les termes de Baptiste Mylondo, permet de lever l’injonction à exercer un emploi en redéfinissant la notion de travail.

De la rémunération de l’emploi à la rémunération du travail

La notion de travail est bien plus large que celle de l’emploi. L’économie ne se limite pas à l’économie marchande mais désigne l’ensemble des lois et des règles qui régissent les activités d’un collectif humain. Un revenu qui n’est plus directement lié à l’emploi permet le développement et la valorisation des activités anciennement non rémunérées, puisqu’il est versé comme une contrepartie de la société envers l’apport de l’individu à celle-ci.

« Le travail est globalement positif pour la personne. Mais le travail n’est pas que salarié, on peut avoir un rôle positif dans la société en étant dans la sphère domestiques. »

Marc de Basquiat

Des activités non rémunérées et productives

Ce travail, dont il est question, passe par les activités bénévoles, associatives, domestiques, culturelles, citoyennes, etc. qui sont toutes essentielles au bon fonctionnement d’une société. Elles constituent un moteur d’épanouissement de l’individu et il s’agit par ailleurs d’activités productives, au sens où elles répondent à l’exigence de besoins collectifs, qui forment un socle nécessaire au bon fonctionnement des activités de la sphère marchande. C’est pourquoi il apparaît légitime de le rétribuer. Selon l’INSEE, environ le même nombre d’heures est passé pour le travail domestique non rémunéré que pour le travail rémunéré, et représenterait 1/3 du PIB s’il était rémunéré à hauteur du SMIC.

Une mise en place facilitée par un revenu de base

Pour certains acteurs, comme Jean-Eric Hyafil, le revenu de base permet le développement des activités spontanées et bénévoles, mais le travail reste central dans la vie de l’individu, sa principale source de revenus et il n’est pas question de s’en passer. Pour d’autres, comme Baptiste Mylondo, le montant du revenu de base doit être suffisant pour vivre, ce qui donne la liberté de pouvoir choisir de se consacrer exclusivement aux activités qui ne donnent pas lieu à une rémunération.

Quels effets sur la fonction intégratrice de la société ?

Un renforcement du lien entre les générations

A travers le revenu de base, c’est un modèle de société que ses promoteurs mettent en avant. L’un de ses objectifs est de faire se transformer et se renforcer le lien social.

Marc de Basquiat insiste sur lien intergénérationnel que crée le revenu de base.

Il explique ainsi : « Yoland Bresson conclut que la richesse dont nous bénéficions vient énormément de l’héritage reçu par les générations passées, de la famille évidement mais aussi de la société toute entière dans laquelle nous vivons. Comme on a reçu cette richesse il paraît tout à fait légitime de la redistribuer. […] La part du revenu national qui est un héritage ne peut pas être privatisée de quelque manière que ce soit. »

Vers une redéfinition du lien social

Pour Baptiste Mylondo, le revenu de base entraînerait une redéfinition totale du lien social, car correspondrait à un projet de société proche de la décroissance. Le revenu de base permettrait de pouvoir se passer durablement d’emploi et faire le choix de ne se consacrer qu’aux activités actuellement non rémunérées. Cela aurait pour effet un renforcement du lien social, conséquence du partage du travail qui implique une plus grande solidarité.

Bien que sa conception soit très différente, on retrouve aussi la notion de solidarité chez Philippe Van Parijs, à travers le projet de l’euro-dividende dont l’un des buts est de renforcer la cohésion entre les Etats européens.

Le revenu de base permet également de renforcer le lien social en impliquant l’individu dans la société. C’est en ce sens que Jean-Marc Ferry parle de revenu de citoyenneté :

« Selon ce principe de solidarité continue concrétisé par le revenu de citoyenneté, l’État dont nous sommes les ressortissants devrait rendre inconditionnel le revenu propre à autoriser matériellement notre participation à la vie sociale. »

Jean-Marc Ferry

Une condition à la participation à la vie citoyenne

On retrouve cette dimension dans la vision du MAUSS, Alain Caillé parlant d’« inconditionnalité conditionnelle » pour un revenu de base versé inconditionnellement en contrepartie de la participation de chacun à la vie collective. Le revenu de base permet ainsi à chacun d’avoir les ressources nécessaires pour participer à la vie citoyenne.

« Si je considère que le lien est politique, que le concept intégrateur central c’est la citoyenneté, alors à quelles conditions puis-je être un citoyen, puis-je participer à part égale avec les autres à la vie de la cité ? »

  Pascal Combemale, membre du MAUSS

8.4Le débat féministe : le revenu de base permet-il de diminuer les inégalités entre les sexes face au travail ?

 

Constat des inégalités

Selon l’INSEE en 2010, les femmes consacraient en moyenne 3h48 par jour aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes, soit près de deux fois plus. Sur le marché du travail, les inégalités entre hommes et femmes sont également très fortes : Les hommes gagnent en moyenne un salaire 20% plus élevé que les femmes à même niveau de compétences. Les femmes sont également plus touchées par la précarité : actuellement, 80% des emplois à temps partiel subi sont occupés par des femmes.

La dévalorisation du travail domestique

Sur le marché du travail comme dans la sphère domestique, qui est souvent dévalorisée n’étant pas rétribuée, hommes et femmes ne sont pas égaux. Certains, comme Christine Boutin, présentent le revenu de base comme un moyen de pallier les  inégalités entre les sexes en le rétribuant, ce qui lui confère une reconnaissance. Le revenu de base apparaît alors comme un moyen de rendre plus juste la répartition du revenu en reconnaissant le travail habituellement non rémunéré.

Le revenu de base comme voie d’émancipation des femmes

Des féministes qui promeuvent un revenu de base mettent en avant la dimension émancipatrice de celui-ci pour les femmes. En effet, étant individuel, il réduit la sujétion financière qu’une femme, ne travaillant pas, peut avoir vis-à-vis de son mari en lui donnant une autonomie financière, qui lui confère également une sécurité si elle décide de le quitter. Par exemple, à la place du quotient familial qui est touché par foyer et peut constituer un lien de subordination au sein du couple, le revenu de base est touché individuellement. Carole Pateman, féministe et politologue anglaise, milite pour le revenu de base qui permettrait selon elle, de se « libérer de la subordination de l’emploi et du mariage ».

Le risque d’effets inverses

Mais de nombreuses féministes sont radicalement opposées à l’instauration d’un revenu de base. Selon elles, l’effet sera l’inverse de celui escompté. Le risque est; qu’à l’inverse d’une émancipation, le revenu de base fasse la promotion de la femme au foyer en éloignant encore plus les femmes de la sphère de l’emploi, par la rétribution du travail domestique qui risque, pour certains, de légitimer les inégalités existant dans le domaine de l’emploi, faisant ainsi reculer la cause féminine.

En conclusion

Dans cette opposition entre deux branches féministes, on oublie que le revenu de base n’est pas un moyen de rétribuer seulement le travail domestique mais toutes les activités hors de la sphère économique. Cela laisse à chacun le choix à chacun de mener le mode de vie qu’il désire. Les voies d’émancipation sont donc multiples, et c’est ce qui explique les débats au sein des mouvements féministes.