Quelles modalités ?
Il s’agit maintenant d’entrer au coeur de ce qui fait la spécificité du revenu de base : son inconditionnalité, son universalité et son individualité. Les trois modalités répondent au souci commun de respect de la liberté individuelle mis en avant par les défenseurs d’un revenu de base.
L’universalité
La fin d’un système paternaliste ?
Pourquoi donner un revenu de base aux riches aussi bien qu’aux pauvres ?
À cela, les partisans du revenu de base répondent que cela servira à responsabiliser et surtout émanciper les individus. Contre le « paternalisme de l’Etat » qui aurait le droit de dicter aux individus ce qu’il faut faire ou ne pas faire, le revenu de base, de par son universalité, garantit le respect des choix de vie de chacun.
Actuellement les prestations accordées par l’État aux plus pauvres comme aux plus riches dépendent de différents critères. Cette intrusion de l’Etat dans la sphère privée soulève de nombreuses critiques de la part des défenseurs du revenu de base qui, s’ils ne sont pas tous libéraux sur le plan économique, le sont tous sur le plan politique.
Il y a des points où Van Parijs et moi sommes d’accords avec ces libéraux, dans le sens où le noyau du libéralisme c’est préserver l’individu de l’intrusion de l’état, les systèmes actuels sont trop intrusifs. Avec des droits individuels et universels on le fait de façon à limiter l’intrusion de l’état. Par exemple en matière de santé on va pas aller voir les comportements des individus avant leur donner le droit à des soins de santé.
Le système de prestations sociales est « un système humiliant, déresponsabilisant et qui génère des injustices.
Pour appuyer son propos il cite Michel Foucault qui a consacré une de ses leçons au Collège de France, celle du 7 mars 1979, à l’examen de l’impôt négatif proposé par Milton Friedman. Michel Foucault souligne la rupture qu’opérerait une telle mesure, qui signifie selon lui le renoncement de la part de l’Etat au plein-emploi et donc au contrôle qu’il exerce sur les citoyens. Cependant comme le souligne P.Van Parjis, G.Koenig ne précise pas que Michel Foucault se prononce au final contre l’impôt négatif qu’il désigne comme une mesure néo-libérale contre la recherche de l’universalisme, ce qui peut paraître paradoxal.
La responsabilisation des individus
Il y a derrière cette universalité, combinée à l’inconditionnalité l’idée qu’il faut faire confiance aux individus, en leur capacité à faire leurs propres choix. Cependant il ne s’agit pas de nier l’incapacité de certains individus à en faire autant. Y. Vanderborght souligne que, par exemple, le travail des assistants sociaux sera toujours aussi important. Malgré ces nuances, le Conseil Fédéral Suisse, dans son rapport sur le revenu de base, jugeait cette mesure comme anti-sociale sur le principe qu’il fallait des prestations différenciées pour coller aux plus près des besoins des individus.
La fin du jugement et de la stigmatisation ?
En accordant ce droit à tous les individus on supprime en quelque sorte le droit de regard et les jugements qu’on pourrait porter sur la façon dont les individus vivent leur vie. J. Duboin présente les choses comme ceci : « l’Allocation Universelle rend leur dignité aux personnes, en éliminant toutes les différences de traitement par l’administration. La satisfaction des besoins les plus élémentaires est prise en charge par l’État, dans un mécanisme de répartition systématique, s’appliquant de manière digne et homogène à tous les citoyens. La satisfaction des besoins de vie sociale et de satisfaction personnelle répond alors exclusivement à une logique de marché et de choix personnels. Chacun est libre de réussir sa vie comme il l’entend. »
On retrouve chez les défenseurs du revenu de base l’idée qu’on ne pourrait plus porter de jugement entre «les assistés» et les autres puisque le revenu de base serait touché par tous. C’est la différence, selon P. Van Parjis entre l’allocation universelle et l’impôt négatif. L’impôt négatif repose sur le contrôle des ressources et n’est touché que par ceux dont les revenus n’ont pas été suffisants. À cette critique Marc De Basquiat répond que l’impôt négatif est aussi touché par la totalité des résidents et que l’allocation universelle ne peut pas, pas plus que l’impôt négatif, éliminer la distinction, inhérente à toutes sociétés, entre contributeurs et bénéficiaires nets.
L’inconditionnalité
L’inconditionnalité est un des aspects essentiels du revenu de base et sûrement aussi l’un des nœuds centraux de la controverses Peut-on donner quelque chose à un individu sans rien attendre en retour ? Certes les justifications de la redistribution des ressources servent à faire accepter cette idée mais sont-elles assez convaincantes ?
Une rupture historique
L’aide aux plus démunis, datant du Moyen-Âge a toujours reposé sur le principe du donnant-donnant, comme le souligne Elisabeth Tovar. Pour avoir le droit à la charité, avant la création de l’État-Providence, il fallait coller à une certaine norme. À l’époque élisabéthaine il s’agissait d’adopter un comportement pieux et de respecter les normes religieuses. Après la création de l’État-Providence ce principe du donnant-donnant n’a pas disparu. Avec la création du RMI et du RSA on a accordé aux individus le droit à une aide mais, en échange, ils doivent s’engager à chercher du travail. Désormais le norme religieuse est remplacée par une norme de productivité. Le revenu de base rompt avec cette logique de mérite et accorde à l’individu un droit à une vie décente pour plusieurs justifications mais aucune ne nécessite de contrepartie.
Les dérives du systèmes dénoncées par les partisans du revenu de base
Attachés à la liberté individuelle, contre l’intrusion de l’Etat dans la vie privée des individus, grands nombres de partisans du revenu de base pointent les dérives du système actuel qui infantilise les individus. Pour toucher le RSA, exemple le plus communément repris, il faut donner un certain nombre d’informations sur soi. Cette logique intrusive conduit à un système qui n’aide pas ceux qu’il est censé aider.
« La difficulté aujourd’hui c’est que les assistants sociaux sont devenus des flics, ils passent leur temps à contrôler que les gens cherchent un emploi, sont bien isolés…Ils passent pas le temps à faire ce qu’il devrait faire, c’est à dire accompagner. »
Les nombreuses critiques de l’aspect inconditionnel
La caractère inconditionnel du revenu de base est un des principaux points de tensions autour de la mesure. Les défenseurs du revenu de base en font l’un des piliers alors que certains des opposants vont jusqu’à qualifier le caractère inconditionnel du revenu de base comme immoral. L’économiste Alain Wolfelsperger, en se basant sur l’idée que les notions philosophiques, notamment en matière de liberté, de justice, et d’égalité, doivent s’appuyer sur des sentiments spontanés, montre que le caractère inconditionnel du revenu de base est contraire à la morale.
Selon lui trois raisons peuvent pousser un individu à subvenir aux besoins d’un autre.
L’existence d’une relation affective spécifique entre l’individu et celui qu’il aide. De toute évidence une allocation universelle ne peut se baser sur ce sentiment.
La sympathie que l’on peut spontanément ressentir « à l’égard de quiconque, y compris un parfait étranger, qui se trouve dans une situation extrême de malheur ou de détresse. Cette émotion morale ne peut être celle qui justifie l’Allocation Universelle puisque celle-ci est inconditionnelle et donc indépendante de la situation des personnes. »
Les émotions associées aux relations établies entre les individus sont établies sur le mode de la réciprocité. Ce principe de réciprocité est la clef de voûte de notre système moral selon A. Wolfelsperger, et son existence est suffisante pour qualifier le revenu de base de mesure immorale. « Ce qui choque, à cet égard, dans l’Allocation Universelle c’est justement qu’elle exonère explicitement les bénéficiaires de toute obligation de réciprocité et non pas qu’elle est contraire à on ne sait quelle éthique puritaine du travail. […] C’est ici que nous touchons à l’immoralité foncière du projet d’Allocation Universelle. Le principe de réciprocité n’est pas le produit d’une spécificité culturelle, par exemple, des sociétés marchandes ni la traduction d’une morale particulière. Si le mot « sens moral » a un contenu c’est surtout à cause de lui. »
Les opposants au revenu de base pensent aussi que la non-obligation de chercher un emploi aura un effet désincitatif sur le travail .
Actuellement les discours politiques tendent plus à aller vers un durcissement des conditions d’octroi des aides plutôt que vers un système inconditionnel. La plupart des militants interrogés pointaient l’inconditionnalité comme le facteur qui attirait au revenu de base les foudres des partis de droite. Yannick Vanderborght souligne aussi ce point : « A droite il y a ceux qui s’opposent à la protection sociale, à l’idée qu’on puisse donner quelque chose sans contrepartie. Il y a cette idée de responsabilisation des individus, de faute individuelle, de mérite. »
L’individualité
Une mesure libératrice
Une des caractéristiques primordiale du revenu de base est qu’il est versé directement à l’individu et non pas à un ménage. Or la plupart des prestations actuellement en place dépendent de la situation familiale du bénéficiaire. Ainsi les allocations familiales ne sont versées qu’à partir du deuxième enfant ou encore le RSA socle n’est accordé qu’aux personnes isolées etc. Les impôts sont d’ailleurs calculés sur les revenus des ménages ce qui posent des problèmes quant au financement d’un revenu de base individuel.
Le revenu de base est vu par ses défenseurs comme une mesure libératrice. L’individu peut se soustraire à son cadre familial pour retrouver son autonomie. On retrouve l’importance de l’idée de liberté et d’autonomie au sein des militants en faveur du Revenu de Base. C’est aussi pourquoi le revenu de base est défendu par certaines féministes à l’instar de Carole Pateman. Les femmes seraient désormais libres de quitter leur mari si la situation familiale ne leur convient plus ou qu’elles subissent des violences.
La critique féministe
Certaines féministes comme Jocelyn Pixley rejettent cet argument en dénonçant la croyance, d’héritage marxiste, que les relations de domination ne reposent que sur des bases économiques.
A ce type d’arguments Jean-Eric Hyafil répond : « Le revenu de base peut être un outil d’émancipation des femmes. De plus ce n’est pas le revenu qui fait le machisme, c’est la société qui est machiste. Le combat est ailleurs. La critique féministe du revenu de base ne tient pas debout, elle est nulle et non avenue. »
Ce gain d’indépendance, si il existe, ne touche d’ailleurs pas que les femmes, Y.Vanderborght souligne que « l’allocation universelle doit être individuelle pour protéger les personnes les plus faibles dans les ménages ».
Vers une société individualiste ?
Contre ceux qui dénoncent une mesure qui vise à rendre notre société de plus en plus individualiste, Y.Vanderborght argumente que nos systèmes de protection sociale actuels encouragent davantage les gens à s’isoler en conditionnant certaines aides à cet isolement. Le revenu de base étant inconditionnel et individuel, les individus seront encouragés à coopérer et à vivre ensemble.