Quelle conception du travail ?

24 mars 2015

Ainsi, suite au constat des mutations de l’emploi et du travail, le revenu de base apparaît en remettant en cause ces deux notions. En effet, il est profondément ancré que le revenu se perçoit en contrepartie du travail productif. Or l’automatisation détruit de l’emploi et contribue à la création de monopoles dont les plus célèbres sont « les GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon). Ces entreprises génèrent une industrie de réseaux, captant ainsi des rentes énormes. On voit aussi se développer ce qu’on nomme le travail du consommateur. Au chômage de masse et à l’automatisation des emplois s’ajoute donc un brouillage des frontières entre ce qu’est l’emploi, activité exercée en contrepartie d’un revenu et ce qui est compris dans la notion de travail, qui est plus large.

Le revenu de base redéfinit les conditions de perception d’un revenu, et c’est en ce sens qu’il implique un questionnement de la conception du travail. C’est par l’emploi que sont obtenus la majorité des droits sociaux et de la protection dont les individus bénéficient. Le travail rémunéré a actuellement une place très importante dans la vie de l’individu. Il est ce qui confère un statut social, ce qui permet la réalisation de soi, au point que ne pas en exercer est stigmatisant, ce qui fait peser une lourde injonction à retrouver un emploi aux chômeurs.

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Le revenu de base libère-t-il du travail ?

Pourquoi vouloir se libérer du travail?

Le revenu de base est considéré comme une rétribution en contrepartie de l’apport de richesse sociale de chacun à la société. En ce sens, ce n’est plus l’exercice d’un emploi qui fait bénéficier d’un revenu, mais celui d’un travail, au sens large, englobant toute participation à la société. Le revenu de base permet, en tirant parti de la rente dégagée par l’autonomisation croissante de la production, de libérer de l’injonction à travailler.

Le rôle intégrateur de l’emploi est remis en cause puisqu’il se précarise et qu’il n’y en a plus pour tous.

Pourquoi un revenu de base?

Dans cette vision, le revenu de base a pour objectif de faire reposer la société sur un lien autre que celui du travail. Cela peut passer par la réduction du temps de travail par un partage du travail, la valorisation d’activités hors de la sphère économique, ou la redéfinition de ce qu’est l’emploi avec l’apparition de nouveaux types d’emplois, qui fait évoluer le lien salarial.

« Le pari de l’allocation universelle est que l’insertion sociale ne peut se construire sur la contrainte mais sur la confiance placée dans les bénéficiaires de ce nouveau droit. Une utopie, sans doute, pour tous ceux qui n’accordent aucune confiance aux individus et pensent que la seule contrainte de « gagner son pain à la sueur de son front » est le meilleur garde-fou contre la paresse. Un pari sur l’intérêt et la nature humaine pour tous ceux qui pensent au contraire qu’un individu préfèrera toujours cumuler ce revenu à un autre salaire, surtout quand ce salaire correspondra à un travail qu’il aura librement choisi. »

Jacques Marseille, en 2009 dans l’Argent des Français

C’est ainsi surtout du travail salarié que le revenu de base libère, en permettant de lever l’aliénation subie par le travailleur en rendant le travail plus libre, au sens de Marx de « libre activité physique et intellectuelle ».

Le revenu de base pourrait-il avoir les effets inverses? La critique de Von Donselar

Toutefois, Gijs Van Donselar, dans son ouvrage The Benefit of Another’s Pains : Parasitism, Scarcity, Basic Income en réponse au livre de P. Van Parijs Real Freedom For All, s’oppose au revenu de base en expliquant que ce dernier, loin de libérer du travail, renforce au contraire l’exploitation du salarié. L’auteur propose une conception personnelle de l’exploitation. Selon lui, une personne A exploite une personne B si la première est avantagée par le fait que B existe tandis que cette dernière est, logiquement, désavantagée.

Pour illustrer sa pensée, il choisit deux personnages fictifs Crazy et Lazy, vivant seuls sur une île et possédant tous les deux une portion égale de terre. Lazy ne souhaite pas cultiver la totalité de sa portion et en laisse une partie en friche tandis que Crazy, veut rentabiliser au maximum la terre qui est à sa disposition. Par la suite, Crazy propose à Lazy d’exploiter le pan de terrain qu’il n’utilise pas en échange d’une part de la récolte résultante. Lazy accepte. Dans ce schéma de situation, Van Donselaar considère que Lazy exploite Crazy. En effet, si Lazy n’existait pas, Crazy pourrait cultiver tous les terrains de l’île sans avoir besoin de lui verser une compensation. De la même façon, Lazy serait désavantagé si Crazy n’était pas sur l’île puisqu’avec une même quantité de travail, il percevrait moins.

Cette conception de l’exploitation met en lumière des enjeux sociétaux plus large comme le fait de savoir à qui, entre le travail et la propriété terrienne, revient le profit.

Mais la notion d’exploitation soulève surtout la problématique de l’acceptabilité d’un Revenu de Base selon l’auteur. Dans le cadre stricte de cette définition, seule une réponse négative à cette question apparaît alors cohérente. Pour autant, cette critique a elle-même été l’objet de critiques à la fois théoriques, morales et pratiques (Karl Wilderquist et P. Van Parijs).

Premièrement, dans l’exemple que prend Van Donselaar, les terres inexploitées n’apportent aucun avantage à Lazy. Or il suffirait que celui-ci ait des « goûts de luxe » (expensive yastes) afin que selon cette même définition de l’exploitation, la rétribution de Lazy par Crazy soit justifiée. Ensuite, Van Donselaar part de l’hypothèse que chacun a les moyens de subvenir à ses besoins (Crazy et Lazy ont tous deux une égale portion de terre) pour mener à bien son raisonnement, une hypothèse qui, confrontée à la réalité est vite discréditée.

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Peut-on vraiment obtenir un revenu sans travailler productivement?

Dans la pensée classique, il est acquis qu’un revenu s’obtient uniquement par le biais du travail.

Le travail comme validation sociale des activités

Selon Jean-Marie Harribey, qui se prononce contre le revenu de base,  le revenu obtenu du travail s’apparente à une forme de validation sociale. Le Revenu de Base étant versé de manière inconditionnelle, il apparaît ainsi qu’il n’existe plus dès lors que celui-ci est versé, de validation sociale des activités. Les critiques adressées au Revenu de Base résident alors ici, dans le sens où aucun individu n’est capable de « valider lui-même l’activité à laquelle il se livre ». Au final, sans validation sociale des activités, peut-il y avoir intégration sociale des individus ? En effet, les individus choisissent grâce au revenu de base de travailler ou non, or il semble assez évident que le travail est une forme d’intégration au sein de la société. De plus, ce projet est souvent vu comme une forme de mort du travail, dans le sens de la valeur qui lui est conférée, dans l’optique où les gens, touchant ce revenu, pourraient choisir de travailler comme de ne pas travailler.

La réponse des promoteurs du Revenu de Base

Mais des défenseurs du revenu de base répondent que cette mesure doit être envisagée justement comme un outil pour permettre de résoudre le chômage, en rendant plus facile une transition vers de nouveaux types d’emplois. Ces nouveaux types d’emplois permettent de pallier la destruction des emplois traditionnels du fait de la robotisation, ce qui passe par la valorisation nouvelle d’activités. Cette dernière vision est notamment portée par Jean-Éric Hyafil. Il est donc question ici d’une évolution de l’emploi, et non de la remise en cause de la centralité du travail. Dans son acception la plus libérale, le revenu de base est pensé comme le moyen de flexibiliser le marché du travail, et les opposants à ce projet critiquent à l’inverse, la trop grande importance donnée au travail dans la vie de l’individu.