La recherche de l’efficacité du service public va nécessairement passer par une succession d’essais et d’échecs pour tendre vers un service public optimisé. Ce n’est possible que s’il y a un droit à l’expérimentation – et que les expérimentateurs en tirent plus de conclusions que dans l’expérimentation des vanguards. L’ESS, et un projet récent (datant de 2016) d’expérimenter une forme de payment by results, vont dans ce sens.
L’Économie Sociale et Solidaire
Le concept d’Économie Sociale et Solidaire (ESS) désigne un ensemble d’entreprises organisées sous forme de coopératives, mutuelles, associations, ou fondations, dont le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d’utilité sociale. Ces entreprises adoptent des modes de gestion participatifs. Elles encadrent strictement l’utilisation des bénéfices qu’elles réalisent : le profit individuel est proscrit et les résultats sont réinvestis. Leurs ressources financières sont généralement en partie publiques.
Ce concept n’est pas entièrement nouveau en France : l’économie sociale remonte au XIXe siècle lorsque le mouvement ouvrier, en résistance à la logique productiviste de la révolution industrielle et face aux conditions de vie précaires, a vu naître des sociétés de secours mutuels, des coopératives de production ou encore des comptoirs alimentaires. Le souci de la finalité de l’activité, son objet social est issu d’un mouvement plus récent des années 70. Ce secteur se positionne comme tiers à côté du privé et du publique. Depuis les années 80 et surtout depuis 2008 de nombreuses associations, think-tanks, organismes publics, fédérations et mouvements ont été créés dans le but de reconnaitre, promouvoir, aider et regrouper les acteurs de l’ESS.
Le gouvernement de Manuel Valls, dans la continuité d’une politique européenne, a doté l’ESS d’un cadre juridique renforcé par la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014 (Ministère de l’Économie, 2014). La loi de 2014 a permis un mouvement de fond : identification des entrepreneurs sociaux, création de formations avec des méthodes spécifiques à l’université, intérêt des grandes entreprises telles que Danone, Essilor… Ce mouvement intervient après la crise, prise de conscience que l’État ne pourra pas subventionner ad vitam aeternam le secteur social.
Au même titre que la Big Society, l’ESS entend redonner de l’importance au solidaire, fait appel aux principes de participation, d’ouverture et de partenariat.
Mais l’ESS et la Big Society répondent différemment à ces préoccupations comme le note le représentant du ministre lors de l’examen du projet de loi relatif à l’ESS, adopté par le Sénat :
[…] j’ai bien perçu les différences d’approches en matière d’économie sociale et solidaire. En Europe du nord, on évoque la Big Society, qui doit faire reculer l’État pour laisser aux individus la charge de réguler et d’organiser l’action économique et sociale. Là-bas, on parle d’une solidarity-based economy qui n’est en fait qu’une économie de la charité au sens du XIXe siècle, une économie des pauvres. Au contraire, nous voulons pour la France une ESS fondée sur l’économie coopérative, collaborative et sociale. D’une certaine manière, ce projet de loi est un projet de loi de combat pour conforter un modèle économique intégrant des principes de gauche. (Comission des affaires économiques, 2014)
Ainsi, l’ESS est une réponse socialiste dans le sens où elle accompagne plus qu’elle n’assiste.
Les Contrats à Impact Social
Dans cette volonté politique de développer l’ESS, le gouvernement de Manuel Valls a mis en place le Contrat à Impact Social (CIS) en lançant un appel à projet entre 2016 et 2017.
Les CIS sont une traduction du principe de SIB, à ceci près qu’ils « sont un mode complémentaire de financement de l’action sociale et ciblent uniquement des innovations sociales. Il n’est pas question que les CIS se substituent à un autre dispositif public » : le désinvestissement de l’État n’est pas aussi net qu’avec la Big Society.
Le CIS est voulu comme « une mesure de progrès, une mesure qui donne plus de moyens aux acteurs sociaux pour agir et une mesure qui apporte plus de solidarité au sein de la société » (Pinville, 2016). Pour Olivier de Guerre, économiste et président d’une société d’investissement philanthropique, les CIS et les SIV ont le mérite d’apporter une rupture dans le système en modifiant les tâches que chacun réalise. Il y a pourtant selon lui un écueil à éviter : qu’ils ne restent qu’une nouvelle source de financement pour des ONG et des projets déjà existants (de Guerre, 2016).
La question des méthodes d’évaluation lors de l’usage des CIS a également été soulevée : dans le même esprit que celui des SIB, un critère avancé est celui de la « corrélation taux d’emploi / dépenses d’investissement social » (Mareuge, 2016).
En quoi la Big Society et l’ESS diffèrent-elles ?
Tout d’abord, l’ESS ne traite pas de décentralisation. Bien que 10% du PIB soit produit par l’ESS, elle ne concerne que des petites structures, et manque les plus importantes. C’est l’enjeu à propos duquel la député Véronique Louwagie (Les Républicains – Orne ) a questionné le ministre en novembre 2013 :
L’enjeu principal réside aujourd’hui dans la capacité de ces entreprises à changer d’échelle. (Lauwagie, 2013)
De plus, là où la Big Society se donnait comme objectif clair de favoriser entrepreneuriat, l’ESS semble ne pas s’en mêler alors que certains en ressentent le besoin.
Les entrepreneurs français ont comparé le cadre général du Royaume-Uni et de la France : ils partagent le sentiment que la France diffuse une atmosphère et des réflexes de méfiance vis-à-vis des entreprises, notamment via son administration fiscale. À l’inverse, le Royaume-Uni offre des règles claires, simples, et promeut une « attitude administrative » visant à aider et à faciliter la vie des entreprises. (Cadic & al., 2015)
Cette attitude différente vis-à-vis de l’entrepreneuriat est peut-être due à une « méfiance idéologique vis-à-vis du marché » importante en France (Daniel, 2016).
Conclusion
Malgré tous les bénéfices d’un service publique participatif, le Commissariat général à la stratégie et à la prospective note que « la coproduction des services publics n’est cependant pas la solution miracle » en prenant pour exemple les critiques accusant la Big Society de se désengager des pouvoirs publics en matière d’action sociale aux dépens des associations (Bureau & al., 2015). De toute façon, l’ESS, aujourd’hui du moins, est moins médiatisée que la Big Society, et n’a pas encore vocation de s’étendre à toute la société. Dans les différences entre les CIS et les SIB, entre l’État providence et une vision plus libérale de l’action sociale, on retrouve la difficulté de définir « l’État maître d’ouvrage », et de parvenir au juste équilibre entre intervention de l’État et prise en charge par le secteur associatif.