Dans cette politique de vanguard areas, il faut se poser la question des conditions expérimentales. Comme l’expérimentation d’une politique ne peut pas se faire à l’échelle nationale, il est nécessaire que les zones remplissent des critères de représentativité (Millo & al., 2006). Comment les quatre zones d’expérimentation ont-elles été choisies ?
On peut envisager cette représentativité sous les critères suivants :
Carte plaçant les quatre vanguard areas et comparant quelques critères de représentativité. La carte originale est de Daniel Dalet. Source : groupe « Big Society », Mines ParisTech, 2016.
La Big Society a en effet un but de réinsertion sociale des chômeurs ; néanmoins, le temps consacré au bénévolat peut rentrer en conflit avec le temps consacré à la recherche d’emploi (Coote, 2010). La carte des données du chômage en 2011 donne le taux de demandeurs d’emplois dans la population active. La vallée d’Eden se situe dans une zone où le chômage et compris entre 2 et 3% ; Sutton entre 5 et 7% ; Windsor et Maidenhead entre 4 et 5% ; Liverpool entre 5 et 7%. Étant donné que les valeurs extrêmes sont de 2% et 8%, la répartition des zones d’expérimentation est représentative sur ce point.
David Cameron a insisté sur ce point dans son discours :
[The vanguards] are all from very different places. Rural, suburban, urban. (Cameron, 2010)
En effet, Sutton est un quartier de Londres (zone suburbaine), Liverpool la sixième ville du Royaume-Uni, Windsor and Maidenhead un district non métropolitain, et la vallée d’Eden la zone la moins densément peuplée d’Angleterre (Townsend et al., 2012).
L’initiative des vanguard est une proposition fortement liée au parti conservateur. Il est donc intéressant de voir s’intéresser à la diversité des autorités locales des zones d’expérimentation. Rory Stewart, le député local qui a porté le projet de Big Society à Eden, est conservateur. Nick Boles, qui a eu le même rôle à Sutton, l’est également. Le conseil de Windsor and Maidenhead est aussi du parti conservateur. Par contre, 87% des sièges conseil municipal de Liverpool sont détenus par le Labour Party.
- Le mode de sélection des zones d’expérimentation
Ce n’est pas le gouvernement qui a imposé des zones d’expérimentations : celles-ci se sont toutes portées volontaires.
Four authorities, all volunteers, have been chosen to run services they think they can administer better than Whitehall. (Stratton, 2011)
Le projet est donc porté par des personnalités politiques locales (le député local dans le cas de la vallée d’Eden ou de Sutton, par exemple). Ce volontariat est motivé par une forte activité des associations de bénévoles et des charities, qui sont déjà fortement implantées dans les quatre vanguard. Les conditions d’expérimentation reviennent donc à tester la politique de Big Society dans des zones où, dès le début, elle aura plus de facilités à connaître un succès. L’expérimentation se fait donc dans des conditions déjà favorables ; elle ne répond pas, entre autres, aux doutes formulés notamment par les charities qui craignent que la Big Society ne puisse pas s’établir convenablement dans des zones où le tissu associatif est mince, qui correspondent souvent à des zones socialement plus précaires.
Conclusion
Le gouvernement a donc essayé de sélectionner quatre zones d’expérimentation en essayant d’en faire un échantillon assez représentatif de l’Angleterre. Cependant, les communes sélectionnées se sont toutes portées volontaires, et le tiers secteur y est déjà très actif. L’objectif, qui était de « découvrir les problèmes au fur et à mesure qu’ils apparaissent » (Cameron, 2010) ne peut donc qu’être partiellement atteint, puisque, entre autres, les citoyens sont déjà mobilisés. L’expérimentation ne permettra pas de tirer des conclusions sur la première étape de sa mise en place (la mobilisation de bénévoles et du tiers secteur), mais seulement sur leur mode de fonctionnement une fois les projets lancés. De plus, ceci renforce l’idée que le concept de Big Society n’est pas nouveau dans la société anglaise ; cette idée des vanguard areas pourrait être pour le gouvernement libéral-conservateur de mettre des mots nouveaux sur une dynamique sociale déjà existante (Bird, 2016).