Entretien avec une agroéconomiste : une explication économique de la crise actuelle
Nous avons eu un entretien téléphonique avec une agroéconomiste qui travaille à l’Institut du Porc. Nous l’avons contactée par mail, et avons eu un entretien téléphonique de plus d’une heure le vendredi 22 janvier.
Positionnement :
Elle a exprimé lors de notre entretien un avis principalement d’ordre économique, et plutôt en faveur de l’élevage français, semblant comprendre les difficultés auxquelles il est confronté et vouloir le soutenir. Elle a pu par exemple expliquer de façon détaillée la crise actuelle : il s’agit pour elle d’une crise conjoncturelle assez classique et qui touche toute l’Europe, mais est particulièrement lourde en France, notamment du fait que les exploitations ne sont pas assez performantes car elles n’ont pas été assez modernisées dans les dernières années. De plus, les éleveurs français étaient déjà assez essoufflés du fait de quelques années déjà assez difficiles en 2006 et 2007. Elle a aussi pu nous préciser l’histoire de l’élevage en France et nous donner ce qui était pour elle une des causes moins connue des difficultés des éleveurs français aujourd’hui. Pour elle, l’élevage français se portait très bien dans les années 80 et 90, jusqu’à la directive nitrate votée par la Commission Européenne en 1991. Cette directive avait pour but, considéré comme légitime par notre interviewée, de limiter la quantité de nitrate que les exploitations agricoles peuvent légalement rejeter par an. Cependant, d’après elle, les autorités auraient dû faire confiance aux éleveurs et leur laisser choisir comment ils voulaient limiter la quantité rejetée, mais elles ont aussi voulu contrôler les moyens mis en place pour la limiter. Elles ont ainsi bridé les éleveurs et les ont empêché de continuer à agrandir leurs exploitations, ce qui a arrêté net la croissance de ce secteur. Aujourd’hui, les éleveurs français vont aussi mal que ceux d’autres pays européens tels que l’Espagne par exemple, mais il s’agit là d’un malfonctionnement plus structurel et donc plus grave dans le long terme, puisque lié à des infrastructures trop anciennes et peu performantes. Au contraire, les exploitations espagnoles sont modernes et efficaces, et nécessitent juste un peu de temps pour amortir l’investissement de départ dans cette modernisation.
Pour elle, les éleveurs français doivent donc être attentifs aux attentes des consommateurs et s’y adapter, afin d’éviter une nouvelle crise par des mesures trop soudaines comme lors de la crise de la pollution liée à l’élevage en 1991. Ils doivent donc être ouverts aux demandes de la société et répondre aux demandes de labels porc biologique ou sans antibiotiques, mais seulement si une réelle demande est présente et que les produits fonctionnent bien. Par exemple, les éleveurs français réclament un étiquetage d’origine de la viande sur tous les produits y compris les produits transformés, pour permettre aux consommateurs de faire le choix de la viande française y compris dans des saucisses ou des surgelés par exemple.
Enfin, elle ne pense pas qu’il y ait un risque de vieillissement des éleveurs porcins (47 ans d’âge moyen, moins élevé que dans la plupart des autres secteurs agricoles), et ne croit pas en de réels problèmes sanitaires liés à la haute concentration de bétail en France : en effet les élevages français sont beaucoup plus petits en moyenne, et les mouvements d’animaux vivants beaucoup moins importants qu’entre le Danemark et le Nord de l’Allemagne par exemple. Cependant, la problématique des antibiotiques reste présente et une norme européenne devrait d’après elle être formulée à ce niveau.
Implication chronologique dans la controverse :
– Agroéconomiste à l’IFIP-Institut du porc depuis 2003 :
Perception et prise en compte des demandes de la société envers l’élevage de porcs par des responsables de groupements de producteurs dans le cadre des Journées de Recherche Porcine en 2015; montre qu’elle s’intéresse aux alternatives à l’élevage industriel et cherche à prendre en compte les attentes des consommateurs en termes d’écologie et de santé.
– Chargée de clientèle agricole quelques années
– Chercheuse à l’INRA auparavant :
Travail post-doctoral sur le secteur laitier; a aussi de l’expérience dans le secteur laitier, point de vue économique et recherche d’optimisation qui nous paraît être une démarche représentative et intéressante du point de vue des éleveurs
Lien avec les autres acteurs :
Elle a écrit de nombreux articles, et est souvent citée dans la littérature concernant l’élevage (surtout porcin). Elle est un acteur d’ordre économique, mais qui réfléchit de façon historique aux crises qu’à traversées l’élevage français, afin de comprendre comment sortir de celle-ci.