Notion d’intérêt public
L’Etat souhaite ouvrir les données tout en encadrant leur accès avec de nombreux garde-fous, ce qui suscite l’intérêt de nombreux acteurs du monde de la santé. Afin d’accéder aux données potentiellement ré-identifiables (voir Anonymisation ou pseudonymisation des données de santé), il faut démontrer que la démarche a un caractère d’intérêt public. C’est alors qu’un débat s’installe : comment définir l’intérêt public ?
La notion d’intérêt public est très large. Elle est reliée à d’autres idées comme l’avantage commun, le bien public, le bien commun, l’intérêt général, les bienfaits publics ou la volonté générale. Chaque acteur est d’accord avec l’idée que les données doivent servir à l’intérêt public, mais c’est dans la définition de ce terme que les désaccords existent. La Commission Open Data chargée de remettre un rapport à Marisol Touraine concernant les modalités d’ouverture des données de santé en a défini les bénéfices ainsi :
« L’accès aux données, de nature et d’origine diverses, permettra à chaque acteur du système, quel que soit son rôle (offreur de soins, régulateur, financeur, etc.), d’améliorer l’efficience de son action, par une meilleure connaissance et un plus grand partage des informations disponibles. » Rapport de la Commission Open Data.
En d’autres termes, un des bénéfices attendu est la transparence du système de santé et l’accès à l’information pour la population. Or, les journalistes et les assureurs considèrent qu’ils sont les seuls à garantir ces deux points et donc que l’accès aux données doit leur être garanti. Par exemple, Les journalistes se défendent en rappelant le succès qu’ont leurs palmarès des hôpitaux auprès du public. Du côté des complémentaires santé, la question de l’accès aux données est également centrale. Des réseaux d’assureurs et de mutuelles tels que Santéclair utilisent déjà depuis de nombreuses années les données hospitalières afin de proposer à leurs 8,5 millions d’assurés les meilleurs services. Ils offrent à leurs assurés les classements de dentistes et d’opticiens basés sur leurs prix, ainsi que des palmarès de maternités et de services de chirurgie. La fréquentation de ces services en ligne augmentant de 30% chaque année, l’intérêt de ces données est donc manifeste.
“Nous voulons casser la distorsion de l’information, l’inégalité entre ceux qui sont bien informés et les autres.” Marianne Binst, directrice générale de Santéclair dans Mediapart, « La délicate ouverture des données de santé », 14/04/2015.
Alors qu’en Angleterre l’open data en santé permet de diffuser les indicateurs de performance des cabinets de médecine générale et le taux de satisfaction des patients, le niveau de transparence est tout autre en France. Bien plus, cette perspective inquiète grandement les médecins, qui sont totalement réticents à un contrôle de l’assurance maladie et des complémentaires santé. En France, Santéclair s’est associé au CISS (Collectif Interassociatif Sur la Santé, qui n’existe plus depuis le 21 mars 2017, transformé en une nouvelle association de patients), dans le but de fonder l’Observatoire du reste-à-charge, afin de dénoncer tout type d’abus médicaux. L’objectif ? Casser la mainmise de l’assurance maladie et des médecins sur le système de santé.
Nous avons pu interroger Dominique Polton, présidente de l’Institut National des Données de Santé (INDS) sur la question d’intérêt public :
“Un autre aspect important de la loi est de définir qui ne peut pas avoir accès à ces données : les industriels qui font la promotion des produits de santé (dont la définition exacte reste à clarifier), et les assureurs qui tarifient ou sélectionnent au risque. C’est un enjeu très fort car en assurance santé il y a déjà beaucoup de réglementations qui empêchent de faire ça. Mais avec l’assurance prévoyance par exemple, on peut imaginer que les assureurs puissent utiliser des bases de données de ce type-là afin de créer des profils pour lesquels on pourrait avoir des filtres. Ainsi tous les usages ne sont pas dans l’intérêt public. Il y a donc un équilibre qui fait que l’on ouvre les données totalement anonymes suffisamment appauvries donc non identifiantes en open data, c’est-à-dire sans aucune procédure, et les données plus riches qui comportent un risque de ré-identification sont accessibles via un guichet unique qui est l’INDS. Celui-ci remplit plusieurs missions : jouer le rôle de porte d’entrée pour les utilisateurs, garantir des délais très courts grâce à une transparence quant aux processus de demandes de données, mais aussi les utilisateurs à formuler leurs demandes. Cet organisme se charge également de vérifier l’étude ou la recherche qui en découle soit d’intérêt public car c’est en effet une des conditions de la loi.” Entretien réalisé avec Dominique Polton.
Au cours de notre entretien avec Frédéric Bizard, économiste professeur à Sciences Po, ce dernier s’est également exprimé sur cette notion. Le problème est, selon lui, que la loi part du principe que tous ceux qui veulent avoir accès à ces données de santé le font pour un intérêt public. Or, une telle vision des choses semble utopiste.
« D’autant plus, les institutions qui les utilisent ont des gros moyens financiers et sont capables de se payer la technologie nécessaire afin de faire parler les données. Il existe deux types données, les données anonymisées ou données statistiques qui n’engendrent aucun risque et les données personnelles qui quant à elles peuvent être retracées. En effet, lorsque nous sommes dans un petit village et que l’on a accès aux données d’hospitalisation et que l’on connaît la pathologie de la personne, il est très facile de la retrouver. » Entretien réalisé avec Frédéric Bizard.
Il pense qu’il est préférable d’interdire aux assureurs de pouvoir utiliser ces données. De plus, beaucoup d’inquiétudes existent quant au risque d’une utilisation mercantile des données de santé. Mais cette utilisation n’a-t-elle aucun intérêt ? Marcel Goldberg, médecin, épidémiologiste et biostatisticien, précise d’abord qu’il faut éviter que ces données permettent une promotion de certains médicaments aux patients, voire une possible exclusion de contrats d’assurances ou de cotisations, mais que dans un même temps une utilisation mercantile n’est pas nécessairement néfaste puisque ces données de santé doivent permettre une création économique profitable au domaine de la santé. Nous voyons donc à quel point définir les modalités d’ouverture et l’intérêt de celle-ci restent une tâche complexe, car les intérêts de chacun des acteurs sont différents et parfois incompatibles.
Sources :
Entretien réalisé avec Frédéric Bizard, économiste et professeur à Sciences Po.
Entretien réalisé avec Dominique Polton, présidente de l’INDS.
Coq-Chodorge C. (2015, 15 avril). La délicate ouverture des données de santé. Mediapart. Disponible ici
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