Sur la ville et l’urbanisme

La fermeture des voies sur berge rive droite a aussi eu des conséquences sur la ville de Paris et son urbanisme. La fermeture d’axes aux voitures représente un enjeu contemporain pour diverses villes. Au-delà de s’inscrire dans une volonté environnementale, la piétonnisation permet de changer la vision de la voiture et de revaloriser le patrimoine urbain.

La fermeture des berges opère effectivement un changement de mentalité concernant la place de la voiture et des piétons au sein de la ville. La piétonnisation d’anciens axes routiers met les piétons et cyclistes au cœur de la circulation. Après une « longue domination de l’automobile »[1] vient donc le tour des modes de circulation doux. Les piétons ont donc une place désormais plus importante, contrairement aux rues où les espaces qui leur sont réservés sont parfois trop faibles par rapport à leur nombre. Par exemple, certaines rues ont des trottoirs très étroits. Les piétons sont alors défavorisés. La cohabitation entre piétons et voitures est donc parfois inéquitable. La piétonnisation d’espace ne rend pas ces situations plus équitables puisque ce sont alors les voitures qui sont défavorisées. Mais cela permet de rendre une plus grande place aux piétons dans la ville. Ce changement de mentalité s’accompagne d’une volonté environnementale : laisser une plus grande place aux piétons transmet aussi une volonté de réduire la pollution. Transparait alors une favorisation des modes de déplacements doux au détriment du véhicule polluant.

Néanmoins, cette « longue domination de l’automobile » ne correspond pas au point de vue d’un spécialiste d’histoire urbaine et d’histoire de la mobilité, pour qui « l’automobile s’est intégrée à la ville et la ville a intégré l’automobile sur un siècle ». Ainsi, la voie express Georges Pompidou se verrait attribuer un poids beaucoup plus lourd que ce à quoi elle a réellement contribué. De même, le terme de domination semble peu pertinent puisque ville et automobile se sont embrassées dans un processus commun.

« l’automobile s’est intégrée à la ville et la ville a intégré l’automobile sur un siècle »

Outre la plus grande place laissée aux modes de déplacements non polluants, la piétonnisation s’inscrit dans une volonté de reconquête des espaces. Dans une ville congestionnée et dense, la réappropriation des espaces semble être un enjeu important. Un membre du groupe LR au Conseil de Paris nous parlait du « besoin des habitants d’avoir de nouveaux espaces de respiration en permanence », qu’il fallait néanmoins doser avec d’autres facteurs. La prise d’assaut des berges rive droite dès les beaux jours montre que les Parisiens cherchent dans leur ville des lieux de respiration où leur place ne sera pas réduite face à la voiture.

« besoin des habitants d’avoir de nouveaux espaces de respiration en permanence »

Là encore, le terme de reconquête peut sembler mal venu : il s’agirait plutôt d’une évolution de la ville, de la construction d’une « toute autre ville » selon l’historien que nous avons rencontré. Ce serait donc moins une « reconquête » qu’un nouveau modèle de la ville que Paris construit ici.

Cette vision, comme l’indique l’article de Cédric Fériel, n’est cependant pas nouvelle. Selon lui, cette dernière émergea dans les années 1970 dans plusieurs pays tels que l’Allemagne ou les Etats-Unis. Pour nous recentrer sur notre sujet, nous pouvons prendre l’exemple de l’automobilisation des berges rive droite. En 1964, lorsque le projet de la voie Georges Pompidou fut présenté, les Parisiens n’y étaient pas, pour certains, favorables. Qualifiées par une jeune femme comme l’endroit où aller « lorsque l’on veut se reposer », où « on respire, on est tranquille »[2], les voies sur berges étaient déjà considérées comme un lieu paisible et respirable. Cette reprise des espaces semble donc importante pour les Parisiens, à la recherche de calme dans la ville.

Cette reconquête des berges s’inscrit aussi dans une volonté de la Mairie d’offrir un « paysage nouveau réconciliant la ville et son fleuve, dans le respect de l’inscription du site au patrimoine mondial »[3]. Les berges de la Seine sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991. La réappropriation des berges s’inscrit donc aussi dans la préservation de ce lieu.

Offrir un « paysage nouveau réconciliant la ville et son fleuve, dans le respect de l’inscription du site au patrimoine mondial»

Toutefois, cette récente présence des berges de Seine dans le patrimoine de l’UNESCO montre, selon l’historien de la mobilité, à quel point la ville de Paris a « inventé le caractère touristique des quais de Seine, qui ont toujours été utilitaires ».

Outre le patrimoine mondial de l’UNESCO, la fermeture des berges rive droite impacte l’ensemble du patrimoine de la ville. Avec la diminution de la pollution attendue, les bâtiments de l’ensemble de la capitale seraient moins dégradés. En effet, la pollution dégrade les façades des bâtiments et entrainent des coûts supplémentaires pour la ville. Les coûts de nettoyage des façades seraient alors amenuisés.  Cela procurerait aussi une meilleure qualité visuelle pour les passants.

Ce dernier point nous amène à un nouvel impact pour la ville : l’attractivité. Fermer une aire à la voiture augmente l’attractivité de la ville. Cela peut être un point positif pour l’économie parisienne. Nicolas Ledoux[4], économiste et urbaniste, disait ainsi que les bâtiments et quartiers piétonnisés prennent de la valeur. Cette affirmation est confirmée par une étude scientifique menée à Hong-Kong[5]. Celle-ci montre que sur 10 ans, les bâtiments situées dans une rue entièrement piétonnisée ont vu leur valeur croitre de 80%, contre 56 sur une rue partiellement piétonnisée. La piétonnisation rive droite permettrait donc d’augmenter la valeur de ce lieu, notamment des bâtiments alentours.

Cette augmentation de la valeur immobilière amènerait cependant à de plus fortes discriminations au sein de la ville : l’hypercentre deviendrait encore plus discriminatoire pour l’accès au logement, ce qui diminuerait une fois de plus la mixité sociale au sein de la capitale.

La piétonnisation rend la ville attractive aussi par le dynamisme qu’elle apporte. Depuis la fermeture des berges rive droite, des aménagements ont été faits. Le 2 avril 2017 a été inauguré le parc «Rives de Seine » par Anne Hidalgo. Ce parc offre de multiples activités pour tous les âges. Les plus jeunes peuvent jouer sur des aires de jeux qui leur sont dédiés ; tandis que les autres peuvent se balader à vélo, faire du sport grâce aux équipements ou bien se détendre en buvant un verre. D’autres animations peuvent encore être mises en place comme des food trucks ou des stands éphémères. La piétonnisation des voies sur berges donne donc à la ville un nouvel élan. Les piétons et cyclistes peuvent alors profiter d’un nouveau terrain et d’aménagements tout en rendant l’espace dynamique, de par la fréquentation et les activités proposées.

Ce type d’infrastructures peut en revanche poser certains problèmes : ce sont les Parisiens qui, au travers de leurs impôts, paieront pour ce genre d’infrastructures, ainsi que pour les aménagements de transports en commun. La piétonnisation des berges rive droite, en plus d’augmenter la valeur immobilière comme nous l’avons vu, peut aussi augmenter le coût social de la vie à Paris et intensifier le manque de mixité sociale dans l’ensemble de la ville.

Maintenant que vous avez fait le tour de toutes les conséquences possibles de la piétonnisation des berges de la rive droite pour Paris, vous pouvez découvrir à loisir qui a été, au jour le jour, impliqué dans ce projet.

[1] FERIEL, C. (2013),  « Le piéton, la voiture et la ville. De l’opposition à la cohabitation » , Métropolitiques. [En ligne]. [Consulté le 20 mars 2017]

[2] Franceinfo. L’opposition à la circulation des voitures sur les voies de berges – franceinfo: [2’22’’] [Vidéo en ligne]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=agfSom7Q3u8. [Consulté le 5 avril 2017]

[3] Conseil de Paris (2016), Conseil Municipal, Extrait du registre des délibérations, séances des 26, 27 et 28 septembre 2016, Paris, 14p. Consulté le 12 avril 2017. Disponible sur : http://a06.apps.paris.fr/…/plugins/solr/modules/ods/DoDownl…

[4] BLIN S., « Piétonnisation des berges de Paris : et maintenant ? », Libération, publié le 2 octobre 2016

[5] YIM YIU, C. (2011), « The impact of a pedestrianisation scheme on retail rent: An empirical test in Hong Kong », Journal of Place Management and Development, vol. 4, n°3, pp. 231-242. [Consulté le 15 mars 2017]