On ne sait pas guérir la maladie d’Alzheimer : l’efficacité des médicaments est évaluée par rapport à leurs effets sur les symptômes de la maladie, et non sur l’éradication de la maladie en elle-même. Cette efficacité est éminemment problématique, car on peut l’apprécier et la prouver de manières très différentes, qui correspondent à différents critères, paramètres et modes de preuve retenus. Il s'agit ici de déconstruire cette notion d'efficacité, en l'étudiant à travers différent prismes.

Il est difficile de donner une conclusion tranchée quant à l'efficacité des médicaments contre la maladie d'Alzheimer. En effet, les points de vue des acteurs divergent. Cette différence de perception est notamment due aux méthodes qui sont utilisées pour mesurer l'efficacité, elles-mêmes nombreuses. Enfin, la question de la prise en compte des effets secondaires a aussi un impact important dans le débat sur l'efficacité des médicaments. 

Expliquons d'abord la maladie d'Alzheimer en elle-même : les facteurs qui contribuent à déterminer son apparition, et la manière dont elle affecte les différentes zones du cerveau. Comment les molécules contenues dans les médicaments agissent-elles sur ces zones ?

Qu'est-ce que la maladie d'Alzheimer ?

Vidéo réalisée par Louise Marchal et Lucie Etienne. Musique de Malik Ati

Des médicaments efficaces ?

Il n'est pas facile de juger de l'efficacité ou de l'inefficacité des médicaments. En effet, les points du vue divergent, car chaque acteur défend sa propre vision de l'efficacité.

La Haute Autorité de la Santé (HAS), institution publique indépendante qui contribue à la régulation du système de santé, et les médecins du syndicat de médecins généralistes MG France considèrent, d’après leurs lectures de la presse scientifiques et des recommandations de la HAS, que ces médicaments ne sont pas efficaces.

Même dans le rapport du professeur Clanet du 11 avril 2017, sur lequel s’est appuyée la ministre de la Santé Marisol Tourraine pour justifier sa décision de continuer à dérembourser, celui-ci estime que « l’intérêt thérapeutique  des médicaments parait, au vue des données disponibles, extrêmement limité ».

« Ces médicaments sont inefficaces. Ce n’est pas moi qui le dit, ce n’est pas une opinion personnelle que j’ai par rapport aux médicaments, mais c’est un consensus scientifique général de la part des médecins et scientifiques autour de l’utilisation de ces médicaments », extrait de notre entretien avec le Docteur Leicher, président du syndicat MG France.

« On sait que les médicaments n’empêchent pas la progression de la maladie. A un certain stade avancé, ils ne seront plus du tout efficaces. Mais ils permettent aux malades, au moins pendant un certain temps, de vivre mieux. Pour les personnes qui prennent le médicament, on voit immédiatement la différence lorsqu’ils arrêtent le traitement », extrait de notre entretien avec Catherine Silva, chargée de communication de l'association LECMA-Vaincre Alzheimer.

Mais pour les associations de patients et de familles, ces médicaments sont efficaces. Même s'ils ne guérissent pas la maladie, ils permettent tout de même de traiter les symptômes. L’association LECMA-Vaincre Alzheimer considère que « leurs effets sont bien là ».

Le professeur Ceccaldi nous a aussi expliqué que les Centres Mémoire de Ressources et de Recherche, centres d'excellence et de recherche qui permettent de diagnostiquer et prendre en charge les malades d'Alzheimer, avaient effectué une enquête auprès de spécialistes des consultations mémoires. « La majorité des spécialistes (à plus de 80%), estiment que ces traitements continuent d’être utiles, car ils ont un effet modeste et que l’on contrôle les effets secondaires » selon le professeur Ceccaldi.

Extrait du rapport du professeur Clanet du 11 avril 2017 :

« L’intérêt thérapeutique de ces médicaments reste mal établi avec un effet clinique essentiellement attendu sur les troubles cognitifs. La taille d’effet est au mieux modeste (IAChE) ou faible (mémantine) et établie en comparaison au placebo chez des patients à un stade encore peu évolué. L’effet sur les activités de la vie quotidienne est au mieux faible (versus placebo). L’effet sur les troubles du comportement reste hypothétique. De plus, l’intérêt des médicaments en comparaison à d’autres approches non médicamenteuses n’a pas été documenté alors que des données sont en faveur de ces interventions. Il n’y a toujours pas de preuve d’effet au-delà de un an de traitement. Les données observationnelles laissent penser que l’effet s’épuise ensuite rapidement. Si certains patients sont davantage répondeurs que d’autres à court terme, ils restent non repérables dans la pratique. Un impact négatif sur la mortalité  reste possible  chez  certains  patients ».

 

Ces prises de positions divergentes témoignent du fait qu'il est difficile d'affirmer que les médicaments contre la maladie d'Alzheimer possèdent une efficacité. La vision de l'efficacité est subjective et dépend en réalité de la méthode utilisée pour mesurer cette efficacité.

 

 

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Comment définir et mesurer l'efficacité des médicaments ?

La Commission de la Transparence de la Haute Autorité de la Santé (HAS) se positionne pour le déremboursement des quatre molécules. Depuis leur mise sur le marché, elle a régulièrement réévalué ces médicaments, grâce à son propre outil de mesure de l’efficacité : le Service Médical Rendu (SMR). Le 19 octobre 2016, celui-ci est passé de « faible » à « insuffisant » pour justifier une prise en charge par la collectivité.

Quels sont les critères retenus dans le SMR pour évaluer un médicament ? Selon Patrick Semenzato, membre de la Commission de la Transparence de la HAS, le SMR prend en compte plusieurs aspects concernant la maladie : d’une part la gravité de la pathologie contre laquelle le médicament est indiqué, d’autre part des données propres au médicament lui-même (« l’efficacité et les effets indésirables »), mais également « l’intérêt du médicament pour la santé publique », la « place dans la stratégie thérapeutique » ainsi que l’existence de « traitements alternatifs ». On voit donc que la Commission de la Transparence s’intéresse, dans son arbitrage, à des critères plus larges que l’effet thérapeutique du médicament : l’ensemble du contexte médical dans lequel s’inscrit le médicament, et notamment l’existence de traitements alternatifs va influer sur le SMR.

Cependant, le SMR repose bien en partie sur « l'efficacité » propre au médicament : là encore, il est indispensable de déconstruire cette catégorie, pour comprendre selon quels critères elle est évaluée.

Quels critères pour définir l’efficacité ?

L’Institut National d’Excellence en Santé et en Services Sociaux (INESSS), organisme public canadien dont le but est de promouvoir l'excellence clinique et l'utilisation efficace des ressources dans le secteur de la santé et des services sociaux, a publié en mars 2015 une revue systématique de la littérature scientifique à propos de l’évaluation de l’efficacité des quatre molécules. Il donne ainsi à voir les différents critères scientifiques utilisés dans les études.

Trois séries de paramètres entrent en jeu dans la définition de l’efficacité :

  • La molécule étudiée : Sur le marché français des médicaments contre Alzheimer, quatre molécules sont homologuées pour le traitement symptomatique de la Maladie d’Alzheimer. Ils se répartissent en deux classes : les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IAchE) (donépézil, rivastigmine, galantamine), qui permettent de stuimler la transmission cholinergique dans le système périphérique et le système nerveux central, et l’antagoniste des récepteurs glutamatergiques NMDA (la mémantine), qui protège les neurones contre les dommages liés à une concentration élevée de glutamate dans le cerveau.
  • le degré d’avancement de la maladie évalué par l’échelle MMSE (mini-mental state examination, un test permettant d’évaluer les fonctions mnésiques et la capacité cognitive d’une personne), ainsi que sa complication éventuelle avec d’autres maladies (notamment cérébrovasculaires).
  • le paramètre de résultats étudié: l’INESSS retient la fonction cognitive, les activités de la vie quotidienne, l’impression globale clinique de changement et la qualité de vie des patients.

 

Résumé des effets des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et de la mémantine sur la fonction cognitive, les activités de la vie quotidienne, l’impression globale clinique de changement et la qualité de vie. Extrait du rapport de l'INESSS de traitement pharmacologique de la maladie d'Alzheimer et des maladies apparentées de mars 2015.

 

Ainsi, les études recensées dans le rapport montrent qu’au niveau de la fonction cognitive, les trois molécules Donepezil, Rivastigmine et Galantamine ont une « efficacité statistiquement significative » chez les patients atteints d’une maladie d’Alzheimer légère à modérément sévère. En revanche, leur efficacité n’est pas prouvée en ce qui concerne la maladie de niveau modéré à sévère. L’efficacité de la quatrième molécule, la mémantine, est elle prouvée seulement pour ce niveau de maladie. Mais en ce qui concerne la qualité de vie, par exemple, elle se révèle inefficace.

Sur quels modes de preuve fonder la mesure de l'efficacité ?

Ces résultats sont rattachés à un mode de preuve particulier : la méthode du RCT, Randomized Control Trial, pouvant se traduire par « essai randomisé contrôlé » . Elle consiste à étudier l’efficacité d’un traitement en étudiant en parallèle deux groupes d’individus : l’un ayant reçu le médicament et l’autre un simple placebo, afin de pouvoir observer les effets réels produits, en annulant leur éventuel effet psychologique. Pour parvenir à un seuil statistique de confiance suffisamment élevé, les essais sont effectuées sur un nombre important d’individus. Les résultats parlent alors d’effets « statistiquement significatifs » ; cela n’exclue pas la possibilité qu’une molécule statistiquement efficace sur un type de critère donné, pour un type de maladie, produise des effets sur un patient et pas sur d’autres. Nous verrons plus en détails dans le quatrième point de discussion les paradoxes soulevés par ce mode de preuve.

 

Pour déterminer l’efficacité des molécules, les scientifiques font d’abord un choix dans les paramètres de résultats à étudier, et déterminent par-là  sur quels symptômes de la maladie on teste l’effet des molécules.

  • Certaines études se concentrent sur des critères uniquement neurologiques liés à la préservation du volume de l’hippocampe : ainsi, selon une étude du Pr. Bruno Dubois,  directeur scientifique de l’association France Alzheimer, le donépézil limiterait fortement l’atrophie cérébrale.

  • Cependant, la plupart des études citées par le rapport de la Commission de la Transparence de la HAS prennent en compte une multiplicité de paramètres, qui ne sont pas uniquement d’ordre cérébral, comme les capacités cognitives et fonctionnelles, les troubles psychologiques et comportementaux, l’aptitude à réaliser des activités quotidiennes, le degré d’agitation des patients, leur degré d’autonomie ou simplement leur qualité de vie.

  • Le rapport de la Commission de la Transparence de la HAS fait ainsi état de résultats positifs sur la « cognition, les activités de la vie quotidienne et selon l’impression globale des médecins », mais considère que « l’effet sur les troubles du comportement, la qualité de vie, le délai à l’entrée en institution, la réduction de la mortalité reste non établi ».

  • Au contraire, les médecins et gériatres des Centres de Mémoire de Ressources et Recherche (CMRR), opposés au déremboursement, mettent en avant les améliorations cognitives et comportementales (diminution des levers en pleine nuit, de l’agressivité des patients) permises par les médicaments, notamment sur la base de leur expérience clinique quotidienne de suivi des patients. L'équipe de CMRR de Paris-Nord, citée par le site le d'association LECMA Vaincre Alzheimer, avance ainsi que leur « efficacité a été confirmée par une étude académique DOMINO qui n’impliquait pas de laboratoire pharmaceutique [et qui a] montré que les patients traités évoluaient moins rapidement que les patients non traités. » De même, Matthieu Ceccaldi, directeur de la Fédération des CMRR, assure que « ces médicaments donnent un petit effet dans la vie quotidienne qui fait que les patients sont moins apathiques, qu’ils participent plus. »

De plus, les résultats avancés par les études dépendent en grande partie de l’outil de mesure utilisé pour déterminer l’évolution du symptôme.

  • Chaque paramètre est ainsi étudié à l’aide d’un outil propre : la capacité à réaliser des activités de la vie quotidienne avec l’échelle BADLS (Bristol Activities of Daily Living Scale), l’agressivité et l’agitation avec la CMAI (Cohen Mansfield Agitation Inventory), ou encore l’aptitude à la communication avec la FLCI (Functionnal Linguistic Communication Inventory). Mais par exemple, pour le cas des capacités cognitives, une multitude d’échelles existent : si la MMSE (Mini Mental-State Examination) est la plus utilisée, on peut également citer l’Adas-Cog, la CIBIC-Plus ou encore la SIB. 

  • Or l’outil de mesure utilisé conditionne les résultats de l'étude, car l'effet des médicaments est exprimé en termes de points d’amélioration ou de dégradation des performances (cognitives, communicationnelles, linguistiques, etc) selon l’échelle choisie. Comme les chercheurs utilisent différentes échelles sans justifier leur choix d’une plutôt que d’une autre, il arrive que les résultats soient contradictoires. Par exemple, selon la Banque Claude Bernard, qui référence des données sur l'ensemble des médicaments et produits de santé commercialisés sur le territoire français, la galantamine permet une amélioration statistique d’au moins 4 points sur l’échelle ADAS-cog par rapport aux valeurs initiales du patient, mais n’apporte aucun effet sur le score CIBIC-Plus. Au-delà même des effets, c’est la prévalence-même de la démence, c'est-à-dire le nombre de cas pathologiques repérés dans une population, qui peut varier de 3 à 29% selon les critères et les échelles utilisés pour la mesurer, selon une étude menée par des chercheurs de l’Université d’Helsinki en 1997 ("The Effect of Different Diagnostic Criteria on the Prevalence of Dementia").

  • Ainsi, une étude peut être critiquée sur la base même de l’échelle qui a été choisie comme mode de preuve. Par exemple en 2007, la Fondation Médéric Alzheimer (MA) remet en cause sur son site internet l’évaluation médico-économique effectuée par le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE), agence gouvernementale de surveillance des médicaments en Angleterre, qui jugeait le rapport coût-bénéfice des molécules contre Alzheimer insuffisant pour justifier un remboursement. La Fondation MA avance ainsi  que « l’utilisation des scores MMSE (mini mental state examination) comme outil rigide de diagnostic est discriminatoire pour certains groupes de personnes ».

Enfin, la mesure de l’efficacité pose également un problème de temporalité.

  • Les études sont souvent réalisées à relativement court terme, et c’est pour cela que la Commission de la Transparence de la HAS en déduit que l’ « efficacité au-delà d'un an de traitement n’est pas établie alors que ces médicaments sont susceptibles d’être prescrits au long cours ». Elle remet notamment en cause la pertinence clinique de l’étude « Donepezil and Memantine for Moderate-to-Severe Alzheimer's Disease » (DOMINO 2012) (qui concluait que le donépézil permettait de retarder l’entrée en institution) car elle s’inscrirait dans une durée d’évolution trop courte.

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La prise en compte des effets secondaires

Des effets secondaires importants

La présence d’effets secondaires pour ces médicaments est également un enjeu central dans le déremboursement. En effet, d’après le rapport de mars 2015 de lInstitut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS), organisme public canadien dont le but est de promouvoir l'excellence clinique et l'utilisation efficace des ressources dans le secteur de la santé et des services sociaux, « ces traitements exposent les patients à des effets indésirables », de nature majoritairement gastro-intestinale ou relevant du système nerveux central.

Selon le rapport de la Haute Autorité de la Santé d'octobre 2016, ces médicaments, en plus d'avoir un « effet modeste » sont utilisés « au prix du risque de survenue d'effets indésirables pouvant nécessiter l'arrêt du traitement (...) et d'interactions médicamenteuses pouvant altérer la qualité de vie ».

D'après le rapport de l'INESSS de mars 2015, comme on peut le voir sur ce tableau ci-contre, les principaux effets indésirables des inhibiteurs de l’acétylcholine - premier type de médicaments anti-Alzheimer - sont « les nausées, les vomissements, la diarrhée, l’anorexie et la perte de poids », ou encore « les céphalées, les étourdissements, l’insomnie et les effets cardiovasculaires (bradycardie, bloc cardiaque, syncope) ». Concernant le second type de médicaments, à savoir la mémantine, les principaux effets indésirables sont « les étourdissements, la constipation, la confusion, les céphalées et l’hypertension artérielle ».

Tableau extrait du rapport de l'INESSS de traitement pharmacologique de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées de mars 2015

Certaines institutions ont ainsi pris en compte l’existence d’effets secondaires importants en publiant des avis visant à prévenir les professionnels de santé d’existence d’effets indésirables des médicaments, comme ce fut par exemple le cas lors d’un avis de Santé Canada publié le 18 novembre 2014 relatif au risque de réactions cutanées graves associé à l’utilisation d’un des médicaments anti-Alzheimer (Reminyl ER).

« Les données accumulées depuis la commercialisation des médicaments confirment que les patients peuvent être exposés à des effets indésirables pouvant altérer la qualité de vie (troubles digestifs, neuropsychiatriques et cardiovasculaires à l’origine d’arrêt de traitements dans les études) et/ou être à l’origine de troubles graves pouvant entrainer le décès du patient (réactions cutanées sévères, syncopes, chutes) », extrait du rapport de la Commission de Transparence de la HAS d'octobre 2016.

L’augmentation des risques cardio-vasculaires est un point important qu’a développé le Docteur Leicher, président du syndicat MG France lors de notre rencontre, en se basant sur l’étude de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé (ANSM) relative aux effets secondaires de la galantamine (Reminyl) :

« En 2005, une première alerte avait été lancée sur un des médicaments anti Alzheimer ; ce médicament entraînait une surmortalité d’origine cardiovasculaire chez les patients qui étaient traités, comparé aux patients qui prenaient à la place un placebo. L’agence du médicament de l’époque avait alerté les médecins sur ce médicament en envoyant des courriers dans les cabinets, que j’ai moi-même reçu », extrait de notre entretien avec le Docteur Leicher, président du syndicat MG France. 

Une efficacité surestimée ?

Le rapport de l'INESSS montre aussi que les résultats concernant l’efficacité et l’innocuité des médicaments restent empreints d’incertitude, et que dans certains cas, les conditions de réalisations des études font que « l’efficacité de ces molécules a pu être surestimée » et « la détection d’effets indésirables est sous-optimale », du fait de la différence d’échelles de mesure d’une étude à l’autre pour évaluer l’efficacité des médicaments ou encore de la courte durée des études qui ne permet pas d’envisager clairement les effets à long terme.

Extrait du rapport de la HAS d'octobre 2016 sur les nouvelles données concernant la Galantamine (médicament Reminyl) :

Données de pharmacovigilance :

  • En France, il y a eu 166 (dont 125 graves) notifications spontanées faites aux laboratoires JANSSEN entre le 1er Mars 2010 et le 30 Juin 2015. Les principaux effets indésirables, déjà identifiés et attendus du fait du mécanisme d’action de la galantamine, ont été les suivants :
    - des convulsions
    - des syncopes
    - des chutes
  • Données internationales : sur la base des données disponibles (PSUR, PBER), au cours de la période analysée, des réactions cutanées sévères ont été identifiées comme un signal de sécurité pour la galantamine. Le résumé des caractéristiques du produit (RCP) a été modifié pour intégrer ce risque.

« Il faut toujours garder en tête tête l’absence de preuve solide démontrant l’utilité de la poursuite de la prise de ces médicaments à long terme et les risques d’effets indésirables et d’interactions médicamenteuses qui augmentent avec la durée de l’exposition », extrait du rapport de la HAS de 2011.

En se basant sur des données de diverses études cliniques ou pharmacologiques, le guide de recommandation de la Haute Autorité de la Santé (HAS), organisme public indépendant dont l'objectif est de réguler le système de santé, suggère ainsi d’évaluer de façon régulière et systématique le rapport bénéfice/risque du traitement, dont dépend la poursuite ou l’arrêt du traitement. Il est notamment primordial de s’attarder sur les contre-indications nombreuses de l’usage des médicaments avant de savoir s’il vaut la peine de suivre un traitement.

La HAS précise également que l’on ne peut pas savoir s’il existe un avantage pour le patient à poursuivre le traitement au-delà de 1 à 2 ans, et que le risque de survenue d’effets indésirables importants augmente avec la durée du traitement et l’avancement de la maladie. Pour ces raisons, la Commission de la transparence de la HAS estime que « ces  médicaments n’ont plus de place dans la stratégie thérapeutique ».

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Mais des effets secondaires surpassés par les effets bénéfiques des médicaments

Une étude menée à Taiwan en mars 2016 montre comment les effets secondaires affectent un tiers des 301 patients qui ont participé aux expériences. Mais cependant, sur une échelle de 1 à 11 (11 étant les meilleurs progrès cognitifs grâce au médicament), la moyenne de satisfaction était de 8,65, avec une variance de plus ou moins 1,38 points. D'après cette étude, on ne peut donc nier les effets en moyenne bénéfiques sur les symptômes des malades d’Alzheimer.

Parmi les nombreuses recherches qui vont dans cette direction, une équipe de chercheurs de l'Université de Southampton  compare en 2005 une batterie de tests RCT. Ceux-ci montrent une performance cognitive signifiante des médicaments anti-Alzheimer par rapport aux placebos utilisés. Pour ce qui est des effets secondaires, ils sont principalement liés au système gastro-intestinal d’après eux. Or le rapport de l’INESSS en 2015 rapporte de quelle façon les effets indésirables gastro-intestinaux sont associés à la dose et comment ils surviennent d'habitude au début du traitement. Ils sont généralement bénins et transitoires.

Ainsi le rapport effets secondaires/efficacité est difficile à arbitrer. Faut-il se priver d’effets bénéfiques sur les symptômes par prudence face au risque d’effets secondaires indésirables ? De surcroît, il faut s’armer de prudence vis à vis des études sur lesquelles on se fonde.

Des résultats d’étude à relativiser

Mais plusieurs rapports et articles de littérature scientifique témoignent aussi de la relativité des effets secondaires indésirables. Comment juger de la fréquence d’apparition des effets indésirables voire dangereux de ces médicaments ?

En effet, l’INESSS de Québec en 2015 a fait une large revue des études dernièrement publiées, et montré que puisque très peu ont pu être incluses dans ces calculs, les résultats obtenus ne représentent pas une estimation réaliste et adéquate des proportions d’effets indésirables auxquelles on peut s’attendre. D’ailleurs, parmi les documents retenus par ces derniers, seul celui de la France [HAS, rapport de 2011] aborde l’innocuité relative à l’usage des IAchE et de la mémantine, soit les effets indésirables, les contre-indications et les interactions médicamenteuses, ce qui témoigne de la focalisation unique de la France sur les effets secondaires des médicaments. De plus, la preuve scientifique présentée dans ce rapport est limitée aux données rapportées dans les revues systématiques d’essais randomisés contrôlés (RCT), et aucune évaluation de l’efficacité et de l’innocuité en conditions réelles d’utilisation n’a été réalisée.

De plus, comme vu plus haut, ces études peuvent ne pas utiliser les mêmes outils pour mesurer les effets secondaires, et peuvent être menées sur des populations différentes et sur des durées différentes, ce qui montre qu'il est nécessaire de relativiser les résultats des études.

Selon une étude de chercheurs de l’Université d’Exeter en 2012 sur les effets indésirables (test clinique), il a été observé que chez les patients qui ont reçu de la mémantine, environ 13 % ont abandonné le traitement en raison d’effets indésirables dans le groupe qui a reçu le médicament comparativement à 6 % dans le groupe qui a reçu un placebo.

Mais selon le rapport de l'INESSS, le faible nombre d'études menées à ce sujet implique d'interpréter ces résultats avec prudence.

Est-ce à dire que les effets secondaires de cette molécule sont surestimés ?

Le Professeur Ceccaldi, neurologue et président du CMRR nous a confié son point de vue sur les effets secondaires lors d’un entretien :

« Contrairement   à   ce   que   la commission  avance, ces  médicaments  ont  certes  des  effets secondaires  mais  nous  estimons  qu’ils ont été surévalués. Les médecins connaissent ces effets secondaires, et ils sont contrôlés. »

Ce dernier estime que les professionnels de santé sont conscients de l’existence d’effets secondaires, qui peuvent d’ailleurs exister pour n’importe quel type de médicaments. Selon le Professeur Ceccaldi, il suffit juste de veiller à s’assurer que le patient ne présente pas d’intolérance ou de contre-indications au traitement, et dans ce cas, le médicament pourrait se révéler optimal et sans effets secondaires indésirables.

Dans un contexte d’incertitude à propos des données scientifiques, les processus décisionnels exigent que le patient, en collaboration avec son aidant, participe plus activement aux décisions concernant sa santé. C’est ce que propose Marisol Touraine dans son nouveau plan Alzheimer. Il revient donc au médecin de mettre dans la balance les risques et les bénéfices présumés des options thérapeutiques disponibles pour que le patient et l’aidant soient en mesure de bien comprendre chacune des options, et celle qui est la mieux adaptée au malade.

Conclusion

La controverse ne peut donc porter sur une efficacité des médicaments : elles sont plurielles, car rattachées à des modes de preuve, des définitions de la maladie et des paramètres différents. La Haute Autorité de la Santé, qui dénonce des médicaments non efficaces, s’appuie sur un ensemble de critères parmi d’autres : sa définition de l’efficacité est donc bien construite par l’institution, et non « universelle ».

Ainsi, si notre controverse peut facilement être divisée en deux « camps » : les opposants et les partisans du déremboursement, chacune des parties est très hétérogène, car la nature des arguments diffère avec les définitions de l’efficacité mobilisée par chacun. Cette pluralité dimensionnelle de l’efficacité est peu perceptible dans la sphère médiatique, qui diffuse de manière très vulgarisée les résultats des recherches scientifiques, parlant seulement d'« efficacité » ou d’« inefficacité » des médicaments.

Le résultat des recherches scientifiques influence la sphère politique, à qui il incombe de prendre la décision finale. Elle prend en compte cette notion plurielle d’efficacité des médicaments. Mais la décision est elle aussi pluridimensionnelle : la question de l’efficacité économique et de l’efficacité de la prise en charge des patients entrent également en jeu.

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