La controverse autour de la réparation s’arc-boute autour de la variété des acceptions des concepts d’objet et de réparation.

 

De plus, et afin de mettre en place une législation efficace certains acteurs tentent de s’accorder sur une définition précise de la réparation, afin de lui prêter un cadre juridique. Un objet simplement remis en marche est-il réparé ? Ou doit-il être strictement équivalent en termes de performances à l’objet initial ? Si les fermiers utilisant les tracteurs John Deere réussissent, avec l’aide de hackers d’Europe de l’Est, à remettre en marche leurs appareils, est-ce un exemple de réparation ? Ou simplement de piratage ?

 

Photo de Valentin Moreau

 

La question de l’objet

Les objets, tout d’abord, deviennent flous car leurs limites s’effacent au profit de logiciels au profil mal défini, entraînant dans cette zone d’inconnue la notion de propriété. Ainsi, John Deere a déclaré au sujet des agriculteurs possédant des tracteurs dont le coût avoisine la centaine de milliers de dollars qu’ils “bénéficiaient d’une licence d’exploitation pour la durée de vie du véhicule” (1) remettant ainsi fortement en cause l’idée d’un propriété inconditionnelle. Un communiqué en interne publié par iFixit fait état des comparaisons avec le propriétaire d’un livre qui “possède le livre mais n’a pas le droit de le copier, de le modifier ou d’en redistribuer des copies.” iFixit souligne que tout individu dispose du droit de modifier un exemplaire de livre qu’il possède sans pour autant outrepasser la loi et remet fortement en cause cette argumentation.

 

Pour Kit Walsh de l’Electronic Frontier Fondation les dernières licences d’utilisation de John Deere sont symptomatiques de l’usage abusif de ces dernières et imposent aux utilisateurs des conditions qui sont le reflet d’une version de la loi telle qu’envisagée par John Deere et non pas telle qu’elle est.

 

En outre, la marque parce qu’elle est attachée aux objets qu’elle vient estampiller fait face à un problème de communication au travers des potentielles déviances. Ainsi l’entreprise ne veut pas que des individus modifient leur code protégé par des droits d’auteurs car: “Des changements pourrait mener à un fonctionnement dangereux des produits, une perturbation des capacités et performances de la machine, des modifications des contrôles d’émissions, l’annulation d’une garantie et un manque de transparence des modifications lors de la revente du produit à un autre utilisateur”. (2) La notion de “produit” est employée d’une façon floue : à ce titre, est-il encore question d’un tracteur John Deere si celui ci est modifié pour tout ou partie, au niveau des pièces ou du logiciel ?

 

Erreur 53 de l’iPhone 6 – www.flickr.com

 

Des mesures drastiques, parfois abusives, aujourd’hui combattues

Les mesures très controversées prises par Apple autour de l’erreur 53 illustrent la difficulté des acteurs à s’accorder sur une définition de la réparation. Ainsi le remplacement de pièce non certifié en dehors de la chaîne logistique prévue par Apple entraîne le blocage complet des téléphones. “Si l’iOS trouve un composant étranger, la vérification échoue et le Touch ID, ainsi que son utilisation pour Apple Pay, est désactivé. Cette mesure de sécurité est nécessaire afin de protéger ton appareil et d’éviter l’utilisation d’un capteur Touch ID frauduleux. Si un client rencontre l’erreur 53, nous l’encourageons de contacter Apple Support”. (3) Ce choix avance l’idée qu’un produit modifié dans une proportion trop signifiante ou sur des fonctionnalités sensibles, ici la sécurité liée aux empreintes digitales, vient rompre l’intégrité de l’objet.

 

Afin de lutter contre ces mesures parfois considérées comme abusives, des projets de loi, découlant en fait de préoccupations variées et très contrastées selon que l’on se trouve en Amérique ou en Europe, voient le jour.

 

Ainsi, si aux États-Unis la réparation apparaît comme un droit du consommateur qui, ayant acheté le produit, devrait pouvoir le posséder “totalement”; c’est plutôt un devoir civique en Europe, où les préoccupations écologiques prennent le pas sur la propriété.

 

À l’occasion de notre entretien, M. Opsomer d’iFixit Europe nous précise que ce cadre juridique est “central dans le combat mené par iFixit”. Si les grandes industries s’opposent à cela, c’est simplement parce qu’une définition précise de la réparation et la mise en place d’une standardisation des appareils afin qu’ils soient réparables sans passer par les services après vente est une menace très sérieuse : des géants technologiques comme Apple perdraient alors le monopole de la réparation qu’elles ont mis tant de temps à élaborer et à imposer au marché. En Europe justement, et malgré le fait que M. Opsomer soit optimiste quant à l’aboutissement du projet de législation, il reste un long chemin à parcourir pour arriver à une économie circulaire stricto sensu.

 

 

(1) Traduit de “an implied license for the life of the vehicle to operate the vehicle.” (Wired)

(2) Traduit de The company doesn’t want people altering its copyright-protected code because, said (John Deere) director of public relations Ken Golden, “changes could lead to the unsafe operation of products, disruption of machine capabilities and performance, changes to emissions controls, voiding of warranties and lack of transparency to the changes when the equipment is sold to another user”.

(3) Traduit de “If iOS finds a mismatch, the check fails and Touch ID, including for Apple Pay use, is disabled. This security measure is necessary to protect your device and prevent a fraudulent Touch ID sensor from being used. If a customer encounters Error 53, we encourage them to contact Apple Support.” (The Guardian)