Ce mouvement de consommateurs aux élans libertaires est effectivement entré en collision avec les revendications d’entreprises comme Apple, quand il est allé jusqu’à graver son nom dans les textes de la loi de plusieurs états comme le Massachusetts ou l’Illinois, à travers le ‘Right to Repair Act’ ou encore ‘Fair Repair Act’, signant indubitablement l’acte de naissance du droit à la réparation dont l’identité reste pourtant à préciser. La controverse bat de son plein.

 

Si ce qui précède concerne essentiellement les États-Unis, l’Union Européenne n’est pas en reste. Néanmoins leurs motifs présentent de nettes différences, et si la liberté consumériste est exaltée d’un côté, ce sont des considérations bien plus écologistes ainsi qu’un pragmatisme sur la finitude des ressources qui affectent l’autre. En effet, suivant la logique de transition écologique si chère aux états membres de l’Union Européenne, un produit réparé ne nécessite pas d’être fabriqué, son impact environnemental bien moindre que celui d’un produit neuf. C’est ce qu’atteste en tout cas la commission européenne vis à vis des voitures dans le ‘Circular Economy Package’.

 

Dans ce contexte, Thomas Opsomer, directeur d’iFixit Europe, a été très critique des déclarations d’Apple qui annonçait qu’il était possible de recycler une grande partie du téléphone afin d’en reconcevoir un autre. Selon lui, la proportion recyclable d’un téléphone hors service ne dépasserait pas les 10%. L’économie circulaire prêchée par Apple n’est donc que mirifique pour iFixit et les acteurs pro-réparation. Thomas Opsomer souligne aussi l’absurdité de la position du mastodonte quant à la standardisation. Les produits Apple nécessitent en effet des vis très particulières et exclusives afin d’ouvrir les appareils et de pouvoir effectuer la réparation, sans parler de la colle souvent utilisée au niveau des batteries, pour rendre délicates toutes tentatives de réparation, et quasi impossible le “reverse engineering”. De plus en plus, c’est le design qui fait rempart à toute tentative tierce de réparation. Pour “protéger le software” et l’intégrité de leur appareil, les manufacturiers ont recours à ce genre de verrouillage du hardware : en effet, à en croire Apple, des réparations intempestives pourraient mettre en péril la qualité de leur produit, qui ne serait alors plus aux normes. Dans son Circular Economy Package : Q&A de Décembre 2015, la Commission Européenne affirme que la remise à neuf, plutôt que le recyclage, des voitures pourrait permettre des économies très importantes (6,4 milliards d’euros en coût de matériel, soit 15% du budget) ainsi que des gains énergétiques non négligeables; on éviterait ainsi l’émission de 6,3 millions de tonnes de gaz à effet de serre. C’est donc une action politique d’envergure européenne qui ratifie la réparation et non un mouvement de consommateurs ou de citoyens.

Reading Repair Cafe held at rLab, Weldale Street, Reading on 20th July 2014 — Karen Blakeman

Pourtant réduire le droit à la réparation à une affaire d’institutions politiques reviendrait à omettre le foisonnement de ce qu’on appelle les ‘repair cafés’, un concept lancé par la militante écologiste néerlandaise Martine Postma en 2009, en opposition à tout un paradigme de la consommation profondément ancré dans les mœurs des sociétés occidentales. Stéphane Gauchon, un des principaux organisateurs du ‘repair café’ de Paris, considère que par essence ces regroupements citoyens protestent contre l’ordre dans lequel semble se complaire les états et les entreprises européennes. Le phénomène s’est développé au point de traverser l’atlantique, ce qui est venu ajouter une dimension citoyenne et un nouvel aspect politique à ce qui était jusqu’alors une complainte des consommateurs. Parallèlement les associations américaines comme iFixit sont également parvenues à rencontrer de nouveaux militants en Europe, ce qui donne à cette controverse un véritable aspect international.

 

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