France
Quelle réalité politique pour l’Open Access en France ? Quel débat parmi les acteurs sur le futur politique de l’Open Access ?
Le retour sur investissement, question centrale pour l’Etat
Pour Monsieur Parisot, de cairn.info, il est clair que la question de l’Open Access est centrale pour l’Etat, qui y voit le juste retour de leur investissement dans la recherche :
Les décideurs politiques en la matière (…) y voient un juste retour sur investissement de l’argent public investi dans la recherche et un levier pour le transfert du savoir universitaire dans l’économie réelle.
Cet argument du retour sur investissement est très développé aux Etats-Unis, où il est considéré que si le contribuable paye pour cette recherche, il doit en recevoir les fruits gratuitement par le biais de l’Open Access.
Un référentiel politique : le discours du 24 janvier 2013
Le gouvernement français s’intéresse aussi à la question. Le référentiel qui revient dans tous nos entretiens à propos de la politique française est le discours du 24 Janvier 2013 de Madame Geneviève Fioraso, nommée ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault le 16 mai 2012. Il est intitulé : « L’information scientifique est un bien commun qui doit être disponible pour tous ». La centralité de ce discours dans nos entretiens nous amène à le développer ici.
Dès son entrée, Madame la Ministre expose « les difficultés de mise en œuvre pratique » de l’Open Access et la nécessité d’un « déploiement de modèles économiques équilibrés ». Elle rappelle alors le cadre idéologique de l’Open Access, qui souhaite une diffusion rapide, gratuite et ouverte à tous de l’information scientifique, permise grâce à Internet. Elle insiste notamment sur un point géopolitique, peu abordé par les acteurs que nous avons rencontré :
Cette situation nouvelle offre notamment une opportunité pour réduire les inégalités d’accès entre les pays du Nord et les pays du Sud », il ne faut pas oublier selon elle que le « paysage mondial est aujourd’hui en train d’évoluer rapidement, avec un affaiblissement de l’Amérique du Nord et de l’Europe, au profit de l’Asie, tirée par la locomotive chinoise.
Elle évoque également le principal problème rencontré par les bibliothèques :
Les marges des principaux éditeurs atteignent un niveau impressionnant. Le risque est donc réel de voir les exigences financières prendre le pas sur les enjeux scientifiques.
Geneviève Fioraso rend compte de la vivacité de notre controverse encore aujourd’hui :
Les idées et les projets fusent de toute part. Plusieurs modèles de libre accès se sont développés simultanément. Le débat anime, à l’échelle mondiale, toute la communauté scientifique, et ses éditeurs.
Après être revenue sur les différentes actions des autres pays, elle évoque ce que la France a déjà fait pour l’Open Access :
Quant à la France, elle a déjà pris plusieurs initiatives en faveur du mouvement d’Open Access, dont le programme Persée de numérisation de revues S.H.S. et le développement des archives ouvertes, via le dispositif HAL (Hyper Article en Ligne) (…) Plus récemment, en initiant le dispositif B.S.N. (Bibliothèque Scientifique Numérique), qui porte sur l’ensemble de l’Information Scientifique et Technique, la France a mis en œuvre un vaste programme d’achat de licences nationales. Renforcé par le projet ISTEX, ce programme permettra de mettre toutes les archives des revues à la disposition de l’ensemble des communautés de recherche. A terme, la plateforme fera le lien avec les publications en Open Access.
Enfin, elle affirme la nécessité d’agir vite au vu du retard français sur la question, et revient sur les deux principales « voies » (« voie verte » et « voir dorée« ). Elle revient sur leur définition et leur mise en place, en insistant sur les inconvénients de la voie « dorée ».
Madame Geneviève Fioraso réaffirme alors le soutien de la France à la voie verte :
Je renouvelle sans équivoque notre soutien aux archives ouvertes. C’est pourquoi nous avons décidé de relancer l’archive ouverte nationale HAL, en lien avec les archives ouvertes institutionnelles. Cette relance prendra la forme d’un nouveau protocole, avec un pilotage mixte à travers une U.M.S.. Ces préconisations sont déjà entrées en œuvre, avec les travaux de l’infrastructure nationale de la Bibliothèque Scientifique Numérique (B.S.N.), notamment par la signature de la convention inter-établissements autour de l’archive ouverte nationale HAL. » Elle propose également de « mettre au point des dispositifs permettant de maîtriser et de négocier les coûts de publication en Open Access, dans la configuration « Gold Open Access» et de promouvoir le développement de nouvelles voies du libre accès.
Les projets de développement de l’Open Access en France
Son discours finit sur la définition de 7 points « pour soutenir l’accès à la connaissance scientifique », que l’on peut résumer ainsi :
1) Favoriser la voie verte /Optimiser la palteforme HAL pour inciter les chercheurs à publier sous cette forme
2) Accepter l’embargo pour les textes scientifiques au sens strict (pas les ouvrages de vulgarisation. Sur le savoir scientifique, voir notre article ici)
3) Encadrer l’Open Access doré
4) Promouvoir la voie platinum
5) Proposer un modèle national de contrat de publication conforme au droit d’auteur
6) Engager une réflexion sur la place des productions scientifiques dans les modes d’évaluation de la rechercher / Initier un travail en commun avec les éditeurs nationaux pour soutenir leurs actions à l’international.
7) Enfin, elle affirme tout au long de son discours la nécessité de construire une politique européenne à ce sujet.
Le facteur déclencheur européen
Selon Pierre Mounier, de revues.org, les recommandations européennes ont déclenché en France un vif débat, qui s’est poursuivi notamment avec des positions politiques :
[les recommandations européennes] veulent dire qu’une interrogation se pose sur la position de la France, et donc du Ministère. Il se trouve qu’en janvier qui suit, Couperin organise la fameuse journée dont vous avez du voir les actes en ligne, les enregistrements vidéo et invite la Ministre. Quand tout le monde découvre que la Ministre est invitée à cette journée sur l’Open Access, tout le monde attend la réponse française. Du coup cela fait monter les enjeux considérablement, et on commence à voir les prises de position en particulier de CAIRN dont le modèle repose sur l’embargo. Donc tous les éditeurs et tout un tas d’acteurs en Europe se positionnent autour de ça pour capter le marché, tout simplement. Les conséquences sont qu’aujourd’hui en France, ça cogite beaucoup sur quels sont les modèles, comment est-ce que l’on peut faire… C’est compliqué, et surtout ce n’est pas très structuré, mais cela reste important.
Une modification nécessaire de la loi
Pour Maître David Forest également, la situation juridique est trop peu structurée, trop floue, ce qui met en danger le droit d’auteur car les chercheurs sont peu au fait de leurs droits sur les articles et peuvent se sentir obligés de publier en libre accès. Pour que l’Open Access puisse être viable juridiquement :
Il faudra modifier la loi, par un projet ou une proposition de loi, qui passe par le gouvernement ou le Parlement, et créer une exception dans le droit d’auteur français. Donc finalement il faut inscrire dans le marbre de la loi la licence.
En effet, actuellement, si le juge fait face à un litige en matière d’Open Access, il remonte toute la chaîne des droits pour voir si l’auteur a donné sa volonté pour publier en libre accès. Il se base donc sur le droit d’auteur « classique », qui est très protecteur en France. Pour lui,
La polémique de l’OA, c’est la politique gouvernementale contre le droit d’auteur. Le problème des pro-OA c’est qu’ils n’aiment pas le droit d’auteur qui est conçu comme un frein, un moyen de rétention du savoir. Ils ne parlent qu’entre eux et ne comprennent pas que le droit d’auteur est important, c’est un acquis de la Révolution française. Ensuite il faut l’adapter, la licence est un moyen de l’adapter mais il y a des contraintes, des externalités négatives. Ce n’est pas si simple, ce n’est pas forcément gagnant pour l’auteur »
Maître David Forest propose en effet un modèle de « licence », à inscrire dans la loi pour régulariser l’Open Access. Ce serait un contrat qui permet à l’auteur d’affirmer sa volonté de céder ses droits patrimoniaux sur son oeuvre dans un « cadre particulier ». C’est à dire que s’il décide de céder ces droits pour une revue papier, la revue n’a pas le droit de mettre l’article sur Internet, mais si il cède ces droits pour Internet, alors c’est possible. Néanmoins, l’avocat a peur que sans encadrement juridique strict, le chercheur se trouve obligé par la revue à publier en libre accès, puisque la revue ne voudra pas publier une revue « à trous » (avec des articles manquants) sur Internet et que pour faire avancer sa carrière, l’auteur sera obligé de publier en libre accès. Or, ce n’est pas forcément bénéfique pour lui, s’il souhaite publier plus tard dans un livre et par principe, cet avocat de la propriété intellectuelle se bat pour la reconnaissance du droit d’auteur.
Un engagement politique perçu comme faible
Ainsi, le discours de Madame Geneviève Fioraso ne résout rien pour les acteurs. Il est trop peu précis et encore non abouti en pratique. Ghislaine Chartron, du CNAM, s’exprime ainsi :
Pour l’instant toutes [les voies sont favorisées en France]. Vous avez bien vu le discours de Genieve Fioraso, avec l’idée de soutenir toutes les voies possibles partant du constat que dans toutes les disciplines ce ne sont pas les mêmes scénarios possibles à cause des différences entre sciences dures et sciences humaines.
De la même façon, Doriane Ibarra, bibliothécaire aux Mines Paristech, reconnaît que l’impulsion pour contrer le mur d’argent des éditeurs ne « peut venir que de l’Etat » mais s’estime peu satisfaite pour l’instant :
Il n’y a pas un engagement très fort, ça en reste de l’ordre de la préconisation, « il y a qu’à faut qu’on ». Rien n’est vraiment acté. Il y a eu des décisions très fortes prises dans certains pays, récemment en Argentine, en Italie, en Allemagne avec une obligation de dépôt en archive ouverte de tout ce qui est financé par de l’argent public. Il y avait des précédents. Il y a eu toute la recherche financée par l’ENIH américain qui finance la recherche médicale avec une archive ouverte et puis il y a des précédents en Angleterre aussi, tout ce qui est financé par des Welcome trust. Il y a eu une position anglaise très forte aussi il y a 2 ans disant qu’en 2015 ou 2016 je ne sais plus, que tout devra être en archive ouverte. Mais pour l’instant en France, ça manque.
L’Open Access s’impose donc assez récemment comme grande problématique pour la France, qui tente de se positionner tout en gardant le maximum de scénarios possibles ouverts. Il est vrai que la question est complexe et que sa mise en oeuvre semble d’autant plus difficile, mais il semble que tous les acteurs expriment un besoin urgent d’une prise de position forte et appuyée juridiquement dans ce domaine. Les recommandations européennes sur le sujet ont contribué à la vivacité du débat en France en posant notamment certains grands principes favorisant l’Open Access.