Elisabeth Tovar
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Entretien réalisé en avril, à l’Université de Nanterre.
Comment vous êtes vous intéressée au Revenu de Base (RDB) ?
J’enseigne les théories de la justice dont la théorie libertarienne. Le Revenu de Base est un cas d’application.
Van Parijs est un libertarien de gauche, il met en avant le revenu d’existence comme la conséquence logique de sa philosophie
Donc pour vous le Revenu de Base se substitue à tout ?
Le cas qui m’intéresse c’est lorsque le Revenu de Base qui se substitue à tout, où il n’y a plus besoin d’Etat Providence. On remplace les objectifs des politiques publiques par un prélèvement progressif. En dessous d’un certain seuil, on touche le revenu d’existence. Il y a un aspect très fiscal, cela permet de simplifier le système actuel.
Dans le LIBER on garde beaucoup de choses pourtant…
Selon moi c’est un livre qui ressemble à un livre d’économie de la fiscalité. L’idée première c’est une réforme de la fiscalité. On l’a juste rendu « plus punk » par l’impôt négatif.
Pour moi c’est via ce biais – les économistes raisonnent à la marge – que l’on peut expliquer qu’on garde la plupart des systèmes en place. Le Liber c’est intéressant, mais ce n’est pas le revenu d’existence libertarien, c’est plus modeste. Marc de Basquiat ne réfléchit pas comme un libertarien.
Qu’est-ce que vous pensez de l’approche libertarienne ?
Le côté radical m’intéresse, ainsi que la cohérence au sein de la pensée. Le principe est simple : la justice c’est la liberté. La pensée libertarienne construit et organise la Société sur ce fondement. Elle relève d’une vision procédurale et non conséquentialiste (caractéristique des économistes). Le revenu minimum d’existence est néanmoins le fruit de compromis. C’est une voie médiane entre libertariens de droite et de gauche: il permet l’existence de l’Etat et l’autorise à prélever des ressources sur la population. On observe alors en terme de conséquences une certaine égalité et une certaine justice.
Le revenu d’existence c’est essayer de faire le compromis avec d’un côté une société moderne vivable et de l’autre un maximum de libertés potentielles. On donne aux gens les moyens de leur existence et l’Etat ne s’occupe pas d’aiguiller ce qu’ils vont en faire.
Les débat sur l’Etat Providence entre Bismark et Beveridge et sur l' »assistanat » sont tributaires de l’idée que la Société repose sur les échanges réciproques, le « donnant-donnant ». En effet, on aide les plus pauvres à condition qu’ils adoptent certains comportements (à une époque c’était des comportements religieux) : on contrôle les personnes qu’on aide. Ainsi, logiquement, on ne devrait pas donner d’aides à des gens qui ne cherchent pas à retourner à l’emploi. Cette logique est empreinte de paternalisme, l’Etat s’introduit dans la vie des gens.
Le débat autour du Revenu de Base est intrinsèquement lié à la nature même de l’assistance actuelle. On donne pour des besoins spécifiques et on attend que les gens se conforment à une certaine norme (de productivité actuellement). Avec le Revenu de Base, ce contrôle est court-circuité. C’est très intéressant de sortir de ce débat infini sur le contrôle. La notion de mérite disparaît avec revenu d’existence : c’est parce qu’on existe que la collectivité nous doit un minimum d’existence.
Van Parijs finalement ne supprime pas les allocations de chômage… Est-ce pour rendre le Revenu de Base acceptable ?
Oui, quand on a un projet de société révolutionnaire comment arrive-t-on à le réaliser ? Dans l’idée libertarienne il n’y a plus d’éducation publique, plus rien ! Les libertariens ont une vision procédurale, une société est juste si elle suit des règles justes. D’un point de vue conséquentialiste, on se dit qu’avec un Revenu de Base on aboutit à de l’inflation uniquement. Ça existe certes en Alaska mais ils ont une manne pétrolière. Pour moi c’est loin des agendas publics, et ce n’est pas du tout vendable.
Pourquoi le Revenu de Base est-il défendu voire critiqué à droite comme à gauche ?
L’Etat Providence à toujours été la voie médiane. Du coup le projet est critiqué des deux côtés : pour la gauche on casse l’organisation collective, on nie sa légitimité et on laisse les individus seuls face à l’adversité. A gauche il y a toujours eu l’idée que le groupe fait sens. A droite on critique plus la non-contrepartie.
L’idée heurte le cœur de l’identité politique des deux camps. De plus notre système d’Etat Providence garantit un certain nombre d’emplois et de politiques publiques (santé publique, retour à l’emploi…). Supprimer la protection sociale par exemple et laisser les gens libres de s’assurer, c’est supprimer ces canaux d’action sur la société. C’est remettre en cause l’action de l’Etat sur la société.
Mais la plupart des Revenu de Base défendus ne sont pas aussi extrêmes, ne pourraient-ils pas être vendables ?
Si pourquoi pas, finalement le RSA c’était un peu ça. C’est une évolution au sein du système. Pour autant, la majorité actuelle avait dans ses cartons le modèle Piketty-Saez et Landais et d’autres modèles de simplification du système fiscal. Ces réformes n’ont pas été menées sûrement par doute de l’adhésion de la Société à ce genre de mesures. De plus,il y a beaucoup de difficultés sur les mesures de l’impact sur les prix, sur l’incitation au travail. On manque selon moi de données scientifiques à ce propos.
Même au sujet de l’Alaska, il existe beaucoup de blogs, d’idées qui traînent plus que des études à partir de données. Cependant, l’expérience en Alaska n’est pas représentative : ce sont des ressources et des profils sociologiques particuliers, ce sont des gens qui cherchent l’éloignement de la société.
Ce qui est valorisé en terme de recherches publiques c’est de contredire ou d’apporter des éclairages nouveaux sur ce que nos pairs ont dit. Donc cela n’encourage pas les études sur les impacts d’un projet comme le Revenu de Base.
La commission au plan avait rendu un rapport où elle disait que culturellement le Revenu de Base était impossible à mettre en place en France, mais la robotisation ne nous oblige t-elle pas à changer?
C’est le grand espoir des cyber-libertariens : avec les nouveaux réseaux on pourra transformer nos systèmes et nos modes de relation. C’est une des possibilités dans un monde où il n’y aurait pas autant besoin de travail et donc où le droit à la protection ne serait pas tant dépendant de la productivité. En effet notre premier rôle dans la Société ne serait plus alors de produire. Dans la vision bismarckienne de l’état providence on mérite parle biais de notre travail et c’est pourquoi la Société nous doit reconnaissance et assistance. Or là on dit que ce n’est pas le travail qui fait notre légitimité en temps qu’être social. Cependant, ces utopies autour du travail sont assez anciennes (mythe de l’âge d’or, contrat social de Rousseau…). Ce serait un peu retourner à l’âge d’or grâce à la technologie.
Justement avec moins de travail, on aurait un retour de la « liberté positive », cette idée ne pourrait-elle pas séduire un type de gauche attachée à la solidarité ?
Si, la gauche libertaire, « zadiste » d’une certaine façon. C’est toujours la question de qu’est-ce qui fait la valeur d’un être humain dans la société ? Est-ce son travail, est que c’est juste comme ça. Au final le travail c’est une manière simple de montrer la nécessité de son existence vis à vis des autres.
Quelle différence avec l’idée d’une somme accordée à la naissance uniquement ?
C’est encore plus radical. L’idée d’un Liber ou d’un RDB suppose un rôle actif de l’Etat via des prélèvements. Or ici avec la dote d’existence finalement on est encore plus proche du principe libertarien. On donne directement à chaque personne sa part du monde est après, il en a une liberté absolue. C’est une différence d’adéquation avec le monde tel que nous le connaissons.
On est dans une Société où on a des droits « à quelque chose« , pourtant cette mesure n’incarne-t-ell pas un droit palliatif ?
Aujourd’hui, la monnaie est vue comme un équivalent universel. D’autres approches posent au contraire l’idée d’une liberté plurielle qui repose sur des choses non monnayables.
Les libertariens croient en l’égalité des individus : tous capables de prendre des décisions. Cette croyance repose sur l’égale dignité des personnes et le respect des décisions qu’elles prennent. C’est une vision subjective de la justice, c’est-à-dire que la justice sociale doit s’apprécier à l’aune des idées subjectives que les gens ont. Les économistes aussi ont une vision subjective.
Amartya Sen avec les capabilités pose une théorie objective de la justice, selon lui, on ne peut pas faire confiance à l’appréciation subjective des gens car les gens s’adaptent aux circonstances. « Avons-nous tous la même capacité de gestion d’un même montant ? », là est la question.