Gilles Saint-Paul
Get In Touch
Entretien réalisé à la Maison des Sciences Economiques, Paris, le 9 avril 2015.
Comment en êtes vous arrivé à vous intéresser à cette idée ?
Je ne me suis jamais de moi-même intéressé à cette idée. On m’a simplement interviewé à ce sujet, et j’ai donné mon point de vue.
Quelle différence selon vous entre l’Impôt Négatif et le Revenu de Base ?
L’Impôt Négatif est basé sur le travail, on obtient un crédit d’impôt en travaillant. Le Revenu de Base est quant à lui un revenu fixe versé à tout le monde sans aucune condition. Leurs effets économiques sont similaires. L’idée de l’Impôt Négatif est de redistribuer envers les pauvres sans faire en sorte que les conditions de ressources associées créent des dés-incitations à gagner plus, à travailler, etc…
Or, c’est à cela que le Revenu de Base s’apparente, lorsqu’on commence à travailler, on ne perd pas le Revenu de Base. En effet, le problème des systèmes de redistribution de ressources est qu’ils créent des taux marginaux d’imposition élevés pour les pauvres : quand ils commencent à gagner de l’argent, le transfert auquel ils ont droit est réduit. C’est l’exemple du RMI ancienne version, si on prenait un travail à mi-temps au SMIC on perdait la totalité du RMI, on gagnait alors la même chose en travaillant que sans travailler. On a ensuite essayé de remédier à cette question avec le RSA activité, qui permet de lisser les choses : quand on recommencait à travailler on conservait une partie du RMI. Il y a donc toujours eu une tension entre la volonté de redistribuer et le fait que cela crée des dés-incitations au travail et des trappes à pauvreté. Finalement, le Revenu de Base est une idée simple : on verse le même montant à tout le monde et le fait de travailler n’est pas taxé puisque cette somme est conservée, que les gens travaillent ou non.
En juillet 2013, vous avez donné une interview au site Atlantico, dans laquelle vous disiez qu’au début vous aviez été opposé à cette mesure et que désormais elle ne vous semblait pas tant déraisonnable, comment s’est effectué ce revirement d’opinion ?
Oui, en réalité la principale critique que l’on peut lui faire c’est que cette mesure est très coûteuse pour les finances publiques. Par conséquent, verser un Revenu de Base à l’ensemble de la population, n’est viable (si tant est que cela soit viable) que si cela se substitue à toutes les autres formes de protection sociale (retraites, assurance maladie, assurance chômage, etc…) qui représentent une part très importante du PIB. Dans ce cas là uniquement, cette proposition est moins irréaliste que par le passé. En effet, un Revenu de Base rend inutile l’assurance chômage, la retraite ou encore le financement des congés maladie. Par la suite, si les gens veulent un niveau de protection plus élevé, alors ils devront s’orienter vers le secteur privé.
Pour vous, l’introduction d’un Revenu de Base serait-elle synonyme de suppression du SMIC ?
Je pense que oui, ce serait de la même façon que pour l’allocation chômage ou les autres formes de protection sociale, un découlement logique de l’instauration de cette mesure.
Pourtant, Marc de Basquiat dans sa thèse essaie de modéliser un Revenu de Base en le fixant à peu près à 400euros, tout en gardant le SMIC.
Oui mais ces 400 euros seraient cumulés avec le salaire. De toute façon, qu’il y ait ou non un Revenu de Base, les économistes sotn largement opposés au SMIC, parce qu’il détruit des emplois et qu’il ne redistribue qu’à ceux qui ont un emploi, tout en créant des chômeurs, qui eux par la force des choses ne touchent pas le SMIC… Friedman est pour le Earn Income Tax Credit car il est contre le SMIC. Donc le Revenu de Base a fortiori permet de supprimer le SMIC, même si on touche 600 euros par mois avec son travail, à ceci s’ajoute le Revenu de Base. L’existence du Revenu de Base permet de rendre politiquement et socialement acceptable le fait de supprimer le SMIC.
Certains auteurs différencient l’Impôt Négatif et le Earn Income Tax Credit, qu’en pensez-vous ?
A mon sens, ces deux deux mesures sont identiques. C’est seulement une question de vocabulaire, le terme Impôt Négatif est très large, tout transfert peut s’appeler Impôt Négatif.
Quel est pour vous objectif premier du Revenu de Base, lutter contre le chômage, réduire la précarité ?
L’objectif premier c’est d’avoir un système de protection sociale qui ne crée aucune distorsion économique. Actuellement ce n’est pas le cas, il existe énormément de distorsions économiques associées à a fiscalité et à tous les programmes qui sont sous condition de ressources, que ce soit les allocations familiales, le RSA ou la CMU par exemple. Il en va de même pour l’assurance chômage, qui, si le taux de remplacement est relativement élevé comme c’est le cas, crée une dés-incitation à travailler. Idem pour les retraites créent des distorsions, on ne peut pas cumuler emploi et retraite. Toutes ces distorsions disparaîtraient avec le Revenu de Base car la somme perçue serait indépendante d’une quelconque activité.
Est-ce que selon vous le chômage est dû au fait que les gens ne sont pas assez incités à travailler ? Nous serions donc face à un problème d’offre d’emploi ?
Oui, à long terme le taux de chômage moyen d’équilibre est dû aux rigidités du marché du travail et donc aux problèmes d’offre.
Certaines analyses font de la robotisation l’une des principales motivations quant à l’instauration d’un Revenu de Base et soulèvent ainsi la problématique du partage de l’emploi, qu’en pensez-vous ?
Le Revenu de Base n’est pas historiquement lié à cette histoire de robotisation. Mais c’est une question intéressante. Si les robots remplacent les humains, alors le revenu d’activité ira au propriétaire des robots et donc sera-t-il encore possible de vivre de son travail ? On pourrait également attribuer aux gens des droits de propriété sur les robots. On aurait alors une société d’oisiveté ou le savoir serait contingent…
Est-ce que selon vous, l’introduction d’un Revenu de Base pourrait entraîner un partage du travail ? Car certains préconisent pour le financer la mise en place d’une taxe marginale sur les salaires ce qui pousserait les entreprises à embaucher à temps partiel plutôt qu’à temps plein.
Je ne vois pas pourquoi. Non, le Revenu de Base doit être financé par de la fiscalité. Mais il y a déjà une fiscalité très lourde en France qui finance en grande partie tous ces transferts sociaux. Et si le Revenu de Base se substitue à ces transfert alors cela ne se traduira pas forcément par un alourdissement de la fiscalité.
Que pensez-vous de l’idée que certains propose qui serait de financer le Revenu de Base par une taxe sur les transactions financières ?
En économie, la question du financement est complètement séparée de la question de ce qu’on fait de l’argent. Le contraire est un raisonnement fallacieux. Les mesures sont prises selon qu’elles sont ou non socialement optimales et de l’autre coté les taxes doivent être optimisées en fonction des distorsions qu’elles créent. A mon avis, la Taxe Tobin serait soit inefficace soit une catastrophe. Il y a des transactions financières tous les jours, cela représenterait une très grande ponction. Indépendamment que l’on fasse cela ou pas, la question n’est pas “qu’est-ce qu’on fait de cet argent ? ”. La question est : qu’est-ce qui est plus désirable entre le Revenu de Base ou investir dans l’éducation par exemple. Cette question ne dépend pas de la manière dont elle est financée.
Il existe une différence entre taxe corrective (dite pigovienne qui vise à corriger une imperfection du marché – c’est l’avis des gens de gauche qui pensent qu’il y a trop de transactions financières ou que les transactions financières sont néfestes) et distributive (taxes qui visent à rapporter de l’argent à l’État). Donc lorsque les gens disent « il faut un taxe sur les transaction financières et en plus ça cela va rapporter et avec ça on va financer telle mesure, etc… » on est dans la confusion la plus totale. Il y a une dichotomie entre recette fiscale et dépense
Le Revenu de Base est-il pour vous un moyen de réduire la pauvreté ?
Je pense que c’est un argument politique, les systèmes de transferts actuels sont censés lutter contre la pauvreté (mettre les gens au dessus du niveau de la pauvreté) mais évidemment ils sont distorsionnaires donc ils rendent les pauvres moins pauvres tout en les gardant dans la pauvreté. Le Revenu de Base ne va pas rendre les pauvre plus riches que le système actuel, donc en se sens il ne va pas lutter contre la pauvreté mais faciliter la sortie de la pauvreté. Effectivement on peut s’attendre à ce qu’il y ait moins de pauvres parce qu’il y aura plus d’incitations à sortir de la pauvreté. L’idée n’est pas de redistribuer plus, l’idée est de redistribuer de manière moins distorsionnaire.
Vous pensez que en ce moment, les gens ne cherchent pas d’emploi et que du coup, le Revenu de Base en faisant en sorte qu’ils soient en meilleure situation en travaillant que sans travailler, permettrait aux gens de retourner sur le marché de l’emploi ?
Oui, cela joue un rôle, mais il faut bien voir l’autre élément qui est effectivement la demande. Cette dernière a des composantes conjoncturelles qui effectivement en ce moment ne sont pas très favorables mais elle a aussi une autre composante qui est le SMIC qui réduit la demande de travail. D’une certaine façon si on peut introduire le Revenu de Base et supprimer le SMIC, ça fait d’une pierre deux coups, c’est-à-dire qu’on augmente la demande pour des emplois peu qualifiés et on augmente aussi l’offre. On augmente à la fois l’incitation pour chercher ces emplois et la demande. Par contre si vous touchez pas au SMIC là vous risquez effectivement d’avoir des effets limités à cause de la faible demande de travail.
Mais si on touche au SMIC est-ce qu’on ne risque pas de précariser les classes moyennes, d’assister à une paupérisation assez généralisée des travailleurs, à une augmentation des travailleurs pauvres ?
D’une part il va y avoir en principe des gens qui vont travailler plutôt qu’être au chômage ou au RMI donc pour ces personnes, le revenu va s’accroître. D’autre part, les travailleurs pauvres seront compensés par le fait qu’en plus de leur salaire qui certes sera plus faible, toucheront le Revenu de Base. Je pense que lorsqu’on a introduit le RSA activité on aurait dû en profiter pour réduire le SMIC. Pour que les gens qui cumulent les deux se retrouvent à peu près au même revenu qu’avant et le fait de réduire le SMIC aurait incité les entreprises à embaucher plus.
Pensez vous que le Revenu de Base devrait être appliqué à l’échelle nationale, européenne ?
Non, un consensus européen quant à son application n’est pas obligatoirement demandé. On pourrait même envisager de l’indexer sur le coup de la vie et de le différencier selon les régions.
Quid des travailleurs immigrés alors ?
Certes cela reste un problème mais pas plus que dans la situation actuelle. La vraie question est celle de l’éligibilité. Seuls les citoyens le seraient, on pourrait aussi envisager d’autres possibilités. Comme des accords bilatéraux, ou associer le Revenu de Base à la résidence, mais tous ces problèmes se posent aussi pour toutes les autres formes de redistribution (qui a droit à des logements sociaux, etc…). Donc la question de la frontière d’éligibilité de ces politiques ne se pose pas seulement pour le Revenu de Base.
A quel point vous pensez qu’on peut anticiper les effets d’un Revenu de Base qui a été testé dans des économies très différentes de celle de la France (Inde, en Afrique ou même en Alaska ) ? Dans quelle mesure on peut transposer ces résultats pour le cas français ?
Je ne pense pas qu’on puisse transposer ces résultats. Je ne suis pas un chantre du Revenu de Base, il y a une incertitude assez forte sur ses effets, même s’il possède de bonnes propriétés incitatives, il n’en reste pas moins qu’une bonne partie de la population pourrait être tentée de se contenter du Revenu de Base. C’est ce qu’on appelle les effets revenus. Les effets nets sur l’emploi et les activités sont quand même assez incertains.
Mais si il est fixé à 400euros, c’est peu probable que des gens se contentent d’une telle somme pour vivre non ?
Certains se contentent du RMI. Ils peuvent travailler dans l’économie parallèle. Donc vous craignez un accroissement du travail au noir avec l’introduction du Revenu de Base ? En principe il y en aurait moins que dans la situation actuelle. Parce que le travail « au blanc » est mois taxé du fait qu’on garde le Revenu de Base. Donc même sur ce front là ça devrait s’améliorer, les effets totaux économiques quantitativement sont tout simplement mal connus.
Il n’y a pas de modèles économiques que l’on pourrait appliquer pour tester le Revenu de Base ? Quand on lit des papiers scientifiques on trouve très peu de gens qui ont utilisé des modèles vraiment construits.
En théorie c’est faisable. La vraie difficulté du modèle, ce n’est pas de le faire, c’est de savoir si on y croit. Et cela c’est beaucoup plus compliqué. Il faut faire un modèle d’économie générale calculable avec offre de travail, etc.. et là on peut mettre des chiffres on voit ce qui sort mais la question c’est : “est-ce qu’on y croit ?”
Il y a quand même une grande part idéologique dans le débat sur le Revenu de Base non ?
Il n’y en a pas plus que dans d’autres débats. A partir du moment où il y a des gens qui se font les promoteurs d’une mesure, forcément il y a une part d’idéologie.
Comment vous expliquez qu’il soit soutenu par des gens d’orientation politique si hétéroclites ?
Le Revenu de Base séduit la gauche de la gauche de par son aspect universel et bisounours, on paie tout le monde, ça se rapproche de l’utopie. En fait, ils espèrent qu’on va pouvoir vivre sans travailler grâce à ça, mais évidemment, si tout le monde vit sans travailler il n’y a plus personne pour le financer et inversement les libéraux ce qui les séduit c’est le côté « incitation au travail ». Donc différentes personnes sont séduites par cette mesure pour des raisons opposées. Mais je ne suis pas sûr que la gauche de la gauche serait partisane d’introduire cela et de démanteler tout ce qui existe à la place. Or cette mesure est réalisable à condition qu’elle se substitue à tout le reste, il faut quand même que ça soit financé.
Pour la gauche de la gauche, le Revenu de Base s’accompagne d’une perspective dans laquelle on partage le travail sans avoir nécessairement une diminution du PIB, qu’en pensez vous ?
Si on rajoute 400€ par mois et par personne à tout ce qui existe déjà, ça fait 400€ multiplié par 65 millions, ça fait 4800€ par an par personne. C’est vertigineux, ça fait 300 milliards. Donc ça coûte 15 points de PIB. C’est impossible d’augmenter les impôts de 15 points de PIB, sans tordre le cou à l’économie. Par contre, il y 25 points de PIB de transferts, donc on peut même garder 10 points de PIB de certains transferts, tout en convertissant 15 en Revenu de Base. On peut ne pas touchez à l’assurance maladie par exemple et remplacer une partie des retraites, l’assurance chômage, etc…
Le Revenu de Base est également défendu pour le fait qu’il servirait à promouvoir de nouvelles formes de travail pas forcément rémunérées telles que le travail associatifs.
Oui, moi je veux bien mais dans ce cas là vous gagnez 400€ par mois… Non mais je suppose que si vous gagnez 400€ par mois, vous pouvez faire du travail associatif, ça c’est sur…Enfin moi je pense que si on met en place un Revenu de Base, les gens ne vont pas travailler moins, ils vont travailler plus.
Que répondez vous à ceux qui argumentent le contraire ?
Les personnes qui restent chez elles peuvent déjà le faire avec le RSA actuel. L’unique différence avec la situation actuelle c’est que si on travaille on perd le RSA alors qu’avec le revenu de base on ne le perd pas. Donc en bonne logique cela devrait accroître le nombre de gens qui travaillent.
En vous entendant on pourrait croire que vous défendez le Revenu de Base alors que pourtant vous nous avez dit que vous n’en étiez pas un fervent défenseur, pourquoi cela ?
L’idée d’un Revenu de Base coûte très cher. On le reverse à plein de gens qui n’en ont pas besoin et c’est ça le prix à payer pour qu’il y ait ces incitations. Je ne pense pas que cela soit faisable sur le plan budgétaire parce que c’est trop coûteux. Mais là où effectivement j’ai été amené à revoir mon opinion, c’est qu’on a déjà énormément de transfert, on dépense déjà beaucoup donc on pourrait tout à fait convertir ces dépenses en Revenu de Base.
Est-ce que vous pensez que c’est un débat d’actualité ? Que c’est quelque chose qui pourrait être défendable politiquement ?
Rien n’est défendable politiquement aujourd’hui…
Un rapport à été rendu à JM Ayrault en 2013. Qu’en pensez-vous?
Oui mais des rapports rendus à Jean-Marc Ayrault, il y en a trois par mois. Les hommes politiques adorent les rapports, ça permet d’occuper tout le monde et les journalistes aiment bien cela parce qu’ils peuvent raconter quelque chose. Maintenant quand on voit ce qui se passe concrètement, c’est que la plupart des réformes sont quand même très à la marge de ce qui existe déjà. On a jamais vu depuis 30 ans des réformes qui consistent à tout remettre à plat. Or c’est pour ça que je pense que ce ne sera pas sur l’agenda politique. D’autant que ce qui est très compliqué c’est que cela a des effets redistributifs importants, donc il y aura plein de gens qui vont y gagner, d’autres qui vont y perdre, c’est très compliqué à calculer. Je suis très sceptique sur le plan politique.
Crédit de la photo: http://debate.tse-fr.eu/