Yannick Vanderborght -

Economiste et philosophe - professeur à l'UCL (Belgique).
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Entretien réalisé le 12 mars par skype.

Nous avons réalisé une description de Yannick Vanderborght que vous pouvez lire en cliquant ici.

Le texte qui suit n’est pas une retranscription fidèle et intégrale des propos de Yannick Vanderborght. Il s’agit de notre propre synthèse de ses propos. Ce texte n’engage donc en rien M. Vanderborght.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au Revenu de Base ?

J’ai commencé à travailler sur les problématiques soulevées par les politiques sociales, notamment en ce qui concerne la lutte contre la pauvreté. Et c’est dans ce cadre que j’ai fait la rencontre de Philippe van Parijs, avec qui j’ai travaillé sur ces questions par la suite. Je me suis penché sur les réformes de protection sociale, et il me semblait que les mécanismes de revenu minimum tels qu’on les avait mis en place jusqu’à présent en Europe étaient dysfonctionnels. Parmi les propositions qui circulaient déjà quand j’ai commencé à travailler sur cette question à la fin des années 90, il y avait le Revenu de Base. Initialement, je trouvais que c’était une proposition qui ne tenait pas la route, qui posait des problèmes et P.Van Parijs m’a dit que c’était une « raison de plus pour y travailler » et petit à petit en y travaillant j’ai compris une série d’enjeux qui m’ont amené à défendre cette proposition.

 

Vers quelle période avez-vous commencé à travailler sur ce sujet ?

En 1999.

Comment expliquer que ce sujet soit revenu sur le devant de la scène ?

Après tous les débats dont il avait émergé dans les années 68, il y a eu un premier cycle d’intérêt pour l’idée assez large au début des années 80, très fortement lié à l’émergence des partis écologistes. Ils se sont mis à être plus actifs en politique. Évidemment en Belgique, l’avantage qu’ils ont eu par rapport aux français c’est que nous possédons un mode de scrutin proportionnel, très rapidement, ils ont réussi à obtenir des sièges et cela a lancé la discussion. C’est un constat européen, chez les Verts allemands, aux Pays-Bas,  les Verts ont joué un rôle très important de ce point de vue là. Ce n’est pas un hasard si Philippe Van Paris a lancé le débat au sein du parti écologiste belge francophone, c’est de la que cela a émergé. A peu près au milieu des 90, le débat s’est estompé, ce qui a sans doute joué c’est le retour de la croissance, le fait qu’on se soit posé moins de questions sur la lutte contre la pauvreté. Cette tendance a été très claire en Hollande, ils se sont retrouvés avec un taux de chômage d’un peu moins de 3%, beaucoup moins de pauvreté.

Ce Revenu de base est revenu à l’agenda aujourd’hui avec la crise économique, en 2008-2009, hausse du taux de chômage, hausse de la pauvreté, crise financière ; de façon assez caractéristique, cette idée intéresse à nouveau des personnes qui s’y étaient intéressées et l’avaient oublié  et aussi un nouveau pan de la société. Il y a de nouveaux soucis pour la question des inégalités et de la pauvreté.

 

Comment expliquer, gérer l’ambivalence de cette idée dont certain disent qu’elle n’est viable et défendable politiquement et économiquement qu’en période de croissance mais dont on s’accorde pour dire qu’elle est nécessaire en période de crise ?

Oui, c’est un paradoxe. Lorsque cette idée est défendue en période de crise, on lui répond qu’elle ne peut pas être financée. Quand l’idée est discutée en période de croissance, elle paraît inutile car ne se posent pas alors les problèmes du chômage par exemple. Cependant, d’une part le Revenu de Base est d’autant plus désirable qu’il sert d’amortisseur en période de crise mais il me semble évident que nous vivions dans des sociétés qui, même en période de crise produisent beaucoup de richesses. Pour autant, en période de crise, la richesse est encore plus mal distribuée. In fine, la question n’est pas tant de savoir si il y a des ressources disponibles pour financer cette mesure, les ressources sont là, la question est de savoir comment mieux distribuer ces ressources. C’est ce qui c’est passé aux Pays-Bas. C’est vrai que c’est une forme de paradoxe. Cependant me^me en période de crise nous sommes dans des sociétés qui ont des ressources, la question c’est de comment mieux les redistribuer.

 

Lorsque cous avez commencé à travailler sur le RDB vous êtes vous directement inscrit dans un mouvement ?

Oui  j’ai commencé en 1999 et en 2000 j’ai participé à un Congrès qui se tenait à Berlin et qui était le congrès du réseau BIEN mais qui à l’époque était encore le Basic Income Europe Network (devenu Earth Network) . Déjà en 2000, il y avait des gens qui venaient de l’extérieur de l’Europe, en particulier d’Amérique latine et de l’Amérique du  Nord. L’idée émergeait déjà à cette époque qu’il fallait faire de ce réseau un réseau mondial. J’ai toujours été très actif dans ce réseau qui possède une organisation assez spéciale. A l’origine c’était plutôt une organisation académique, avec des professeurs, des universitaires, des chercheurs. Petit à petit elle s’est transformée en un réseau qui mêle des chercheurs (toujours très présents) aux activistes, des gens qui sont dans leur pays, activement impliqués pour discuter du RDB, des acteurs politiques, syndicats.

 

A ce propos, quelle communication y a-t-il entre la sphère académique et la sphère politique ?

Les allemands ont noué des contacts avec différents partis politiques. C’est ce qu’ils ont très bien réussi à faire avec l’ex-parti communiste Di Linke et avec le parti pirate également. C’est au niveau étatique  que les contacts se font. Le BIEN est une fédération dans laquelle se rencontrent les partisans du RDB, ils discutent et argumentent, et on essaie de recevoir des universitaires qui sont hostiles au RDB pour avoir des discussions de fond. Le BIEN est moins un réseau militant qu’un réseau qui permet d’échanger des arguments entre militants et universitaires. Le travail politique se fait très fortement au niveau de chacun des Etats car chacun a son propre niveau de protection social.

 

 

Quelle est votre argumentaire pour défendre le RDB?

  • D’abord, une justification éthique, une théorie de la justice : un argumentaire libéral et égalitaire très important. Il faut des mécanismes de protection sociale qui permettent d’accroître l’autonomie des plus pauvres. L’état le fait souvent de façon très paternaliste avec des contrôles, des sanctions… Il nous semble important que les personnes les plus défavorisées est un socle de ressources inconditionnelles.
  • Il y a aussi des raisons plus pragmatiques : les mécanismes de protection sociale fonctionnement mal. Il y a des études qui montrent que le RSA fonctionne, avec un faible taux de recourt à la prestation (pour le RSA activité, près de 60% de non-recours). On remarque à l’inverse que les prestations universelles elles, atteignent 100% de leur cible (Allocations familiales).

 

 

Quel montant ? Quelles modalités ? Quel espace ?

Je ne suis pas économiste. Les propositions les plus réalistes sont au niveau de l’état-nation avec des simulations. La question c’est un état européen peut-il le faire seul?  Il y a des propositions d’euro-dividende qui circulent. L’UE peut jouer un rôle de coordination pour encourager les états-membres. Dans ce cas le montant serait plus faible dans certains pays que dans d’autres.

Pour les états-nations les simulations les plus réalistes semblent être d’un montant de 500€. Pourquoi ? On a du mal à envisager les effets sur le marché du travail. Il y a un sur-coût dû au fait que beaucoup de personnes vont accéder à un revenu alors qu’ils n’en avaient pas, les inactifs et donc principalement des femmes. Est-ce que c’est trop faible ? Dans l’idéal on voudrait un niveau le plus élevé possible. 500€ c’est déjà plus ou moins le niveau actuel du RSA pour un isolé. On doit compléter ce socle universel par des compléments conditionnels : en Belgique, il y a 300€ de conditionnel en plus.

Ce RDB permet à ceux qui n’ont pas d’emploi d’accéder plus facilement à l’emploi à temps partiel, vu qu’on combine le RDB. C’est très important et c’est ce qui motive les jeunes, c’est que c’est un subside à la formation, pour tout ceux qui doivent faire des stages non-rémunérés. Là on ouvre la possibilité de la formation à des jeunes qui n’ont pas leurs parents derrières. Forme d’activité beaucoup plus souple.

 

Quels effets sur le marché du travail ? Supprime t-on le SMIC ?

Considérations qui demeurent spéculatives à ce stade-ci. Il y a une discussion sur ce sujet parmi les défenseurs. Certains dans perspectives libérales au sens économique (moi je me placerai plutôt dans le libéralisme politique comme J.Rawls ou J.S.Mill). Il faut maintenir selon moi le salaire minimum. La question c’est qu’est-ce que ça va changer ? Comme l’AU est aussi inconditionnelle, ça peut vouloir dire que les personnes peuvent refuser des emplois qui sont peu attractifs. Ceci étant, en coopérant à plusieurs on a la possibilité de vivre décemment avec 500€ en refusant des emplois. Avec nos systèmes actuels on encourage les gens à s’isoler alors que là on favorise la coopération car c’est un droit individuel. Il y a un lien entre l’universalité de la prestation et l’inconditionnalité (on peut refuser les emplois inacceptables). Donc un des effets c’est que les conditions dans les emplois les moins qualifiés, les plus dégradants, devront être améliorées.

 

En terme de modèle de simulation, qu’est-ce qu’on peut mobiliser ?

Vous avez vu les travaux de M de Basquiat ? C’est très intéressant car il part du système tel qu’il est maintenant et regarde si cela permet ou pas d’améliorer la situation des individus qui sont le plus en bas de l’échelle. Avec ce type de proposition on se force à réfléchir aux défauts des systèmes actuels, et les systèmes de prélèvement en Europe sont tellement complexes qu’ils en sont devenus régressif (exemple du quotient familiale). En supprimant toutes ces niches fiscales, en restructurant les minimas sociaux (on les réduit du RDB), on voit que cela aboutit à travers les travaux de Basquiat à une amélioration de la situation des plus pauvres. Il y a aussi l’idée d’un financement par la TVA, le désavantage c’est que la TVA est plus régressive que l’impôt sur le revenu donc il faudrait ajuster selon les biens. Il y a aussi idées de taxes spécifiques (patrimoine, transaction financières…), cela aboutit à dire que les ressources naturelles nous appartiennent à tous et qu’il faut ponctionner ceux qui en consomment le plus.

 

Quelle différence entre le RDB et l’impôt négatif ?

Statiquement, mathématiquement ça ne change rien : en dessous d’un certain seuil on touche un impôt négatif alors qu’au dessus contributeurs nets. Il faut biens se rappeler que tout le monde n’est pas bénéficiaire net de l’AU. Les deux différences : l’impôt est calculé sur les ménages, en Belgique en tout cas, or l’allocation universelle doit être individuel pour protéger les personnes les plus faibles dans les ménages (on voit que les femmes s’appauvrissent après les séparations). Autre désavantage : il ne peut être octroyé qu’une fois que les déclarations fiscales soient faites, donc revenu ex-post alors que l’AU est payé ex-ante et est récupéré ex-post par l’impôt. Pour ceux qui en ont le plus besoin, il faut du ex-ante.

 

Pour les mineurs comment cela se passerait-il ?

Il faudrait 3 allocations universelles différentes: une pour les mineurs (elle sera payé aux parents comme les allocations familiales or les allocations françaises ne sont versés qu’à partir du deuxième enfant, ce qui est absurde du point de vue du droit individuel au revenu), une pour les personnes en âge de travailler et une dernière pour les retraités (il faut s’inspirer de ce qui existe au Danemark ou au RDB, une retraite universelle pour garantir à ceux qui ont eu un parcours plus décousus (surtout les femmes), il faut un droit individuel et universel à la retraite. J’ai souvent l’impression que les revenus minimums qu’on a en France ou en Belgique sont vus comme de la charité, parce qu’on est pauvre et d’ailleurs on demande de prouver qu’on est pauvre. Les défenseurs de l’allocation universelle se place dans une optique du droit, c’est une question de justice plutôt que de charité.

 

Quels sont vos principaux opposants ?

Ce qui est très frappant c’est qu’il y a des partisans partout. Les plus cohérents et les plus permanents ont toujours été les écologistes mais on en retrouve partout. A gauche il y a des opposants dans les milieux travaillistes, le travail est une valeur essentielle, les droits sociaux doivent dérivés du travail (Bernard Friot). Les partisans de l’AU sont conscients de l’importance du travail mais nous insistons beaucoup plus sur l’idée d’autonomie, qui passe par des activités auto-générées. L’AU n’est pas incompatible avec le système libéral alors que B.Friot lui est fondamentalement dans son revenu de base anti-libéral.

Il y a une grande méfiance des syndicats à idée qu’on puisse déconnecter revenu et travail. A droite il y a ceux qui s’opposent à la protection sociale, à l’idée qu’on puisse donner quelque chose sans contrepartie. C’est l’idée de responsabilisation des individus, l’idée de faute individuel, de mérite. Il peut y avoir de la charité à l’échelle locale mais ce n’est pas un droit. Il y a des points où Van Parijs et moi sommes d’accords avec ces libéraux, dans le sens où le noyau du libéralisme c’est préserver l’individu de l’intrusion de l’état, les systèmes actuels sont trop intrusifs. Avec des droits individuels et universels on le fait de façon à limiter l’intrusion de l’état. Par exemple en matière de santé on va pas aller voir les comportements des individus avant leur donner le droit à des soins de santé. Là où désaccord fondamental c’est que le RDB c’est le point culminant de la protection sociale pas le début de son démantèlement. Au delà de ce socle il faut préserver les programmes sociaux primordiaux (santé, retraite, éducation…). Les libéraux de droite eux voyaient plutôt l’inverse.

Le travail des assistants sociaux demeure extrêmement important. La difficulté aujourd’hui c’est que les assistants sociaux sont devenus des flics, ils passent leur temps à contrôler que les gens cherchent un emploi, sont bien isolés…Ils passent pas le temps à faire ce qu’il devrait faire, c’est à dire accompagner. Ce travail d’accompagnement doit perdurer car bien sur qu’il y a des gens qui doivent être accompagnés.

 

Vous dites que le RDB est un vecteur pour lutter contre la pauvreté mais au final est-ce que le RDB ce n’est pas traiter les effets et pas les causes ?

Si, je pense que le travail social reste important, l’accroissement d’un revenu ne résout pas seul le problème de la pauvreté. La question d’accès au logement reste cruciale, il y a d’autres mécanismes qui permettent de s’attaquer aux causes. La question du partage du travail est primordiale or le revenu de base peut faire quelque chose dans ce sens. Si l’AU peut servir de subside à la formation pour ceux qui n’ont pas les moyens alors là on s’attaque aux causes de la pauvreté. L’AU fait partie d’un ensemble de mesure.

 

Selon Van Parijs le RDB est une voie capitaliste vers le communisme ?

Il faut l’interpréter de façon métaphorique : de chacun selon ses capacités à chacun selon ces besoins. L’une des difficultés de la proposition de B.Friot c’est que le RDB dépend des qualifications, mais jugées par qui ? Là si communisme il y a ce ne sera pas bureaucratique (Friot) mais plutôt partage des ressources communes naturelles comme l’emploi. Il y a des emplois qui sont très rares et il y a quelque individus qui arrivent à se les approprier. C’est du communisme très libéral ici.

 

 

Si la consommation augmente n’est-ce pas contradictoire avec des théories décroissantistes ?

Vous connaissez les travaux de B ; Mylondo, il n’est pas le seul à s’en occuper. Il y a des défenses de l’AU qui sont keynésiennes (relance de la consommation et de la croissance), je suis d’avis que c’est une pente dangereuse, on pourrait plutôt voir qu’à ressources constantes on les distribue mieux. On peut dire qu’on va encourager des activités non marchandes. Les expériences dans les pays en développement, montrait qu’on relançait la production locale, donc certes consommation mais moins energievore en terme de transport. Aujourd’hui on a une société focalisée sur la sphère productive marchande or là peut être changement grâce au RDB si des gens diminuent leur temps de travail. Ce n’est pas une certitude.

 

Le RDB touche les sphères sociale et politique dans leur globalité, est-ce qu’on peut vraiment l’étudier d’un point de vue économique et donc tiré des leçons des expériences ailleurs ?

Déjà différencier les expériences dans les pays pauvres et dans les pays riches, des conclusions générales peuvent être tirées quand même : pas de chute drastique de la propension à travailler.

 

En même temps les expérimentations n’ont jamais durées longtemps, or il y a une différence entre CT et LT…

C’est en partie un pari, c’est clair. Ce qui m’a toujours frappé,c est que ceux qui attaquent disent vous donnez un revenu mais les gens veulent du travail car il y a des avantages non monétaires au travail. Mais si cela c’est vrai alors en quoi un droit au revenu changerait cela ? La plupart d’entre nous continueraient à s’activer pour ces mêmes raisons. Peut être autrement certes, projets plus personnels. Il y a eu une étude sur les gagnants à la loterie (2000€/mois à vie) et on observe que la plupart on réduite leur temps de travail et utilisé le temps pour être avec leur enfant, faire autre chose… Peut être que certains resteront devant la TV mais ce ne sera pas la majorité.

 

Il y a bien des emplois que personnes ne veut vraiment faire ? Comment faire pour qu’il soit occupé ? L’immigration ?

Ça c’est un problème. D’une part on l’a déjà fait énormément dans le passé. Est-ce une problème ? Cela à permis une forme d’ascension sociale pour des gens qui venaient de pays très pauvres. Moi mon espoir personnel c’est qu’il faudra améliorer les conditions de travail. C’est le problème pointé par Marx avec l’armée de réserve. Peut être qu’il faut mieux les rémunérés, peut être que d’autres gagnent trop, comme les profs d’universités qui ont plein d’avantages non monétaires. Il y a beaucoup d’emploi socialement très utile et peu valorisé, comme les éboueurs, les infirmières…Après on reste dans un système capitaliste qui rémunéré les préférences des consommateurs et pas l’utilité sociale.

 

Comment appréhender le revenu de base alors qu’on manque d’outils, d’indicateurs ?

On est face à un manque de modélisations, Marc l’a fait un peu dans son coin, c’était une entreprise solitaire, ce dont on manque aujourd’hui c’est d’acteurs politiques de gauche comme de droite qui parce qu’il voit que l’idée vie dans la société et qui confie à des organismes publiques d’étudier ce genre de proposition. Depuis les années 90 on n’a plus d’études comme ça, il manque d’outils objectifs.