Jean-Eric Hyafil-

Economiste
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Comment vous êtes-vous intéressé au revenu de base?

Ce qui est intéressant dans le mouvement c’est que tout le monde arrive au Revenu De Base (RDB) par des chemins différents. Le mien, c’est d’abord une critique de la croissance, un peu comme Baptiste Mylondo. Par exemple, je trouve trop paradoxal de se dire qu’il faut toujours chercher la croissance, créer des emplois alors même que nous produisons suffisamment, que nous savons que la croissance n’améliore pas notre bien-être et qu’il y a des conséquences écologiques potentiellement néfastes. Je suis rentré par le concept de décroissance qui me plaisait au début. Après, je me suis rendu compte que c’était un concept assez pauvre, mal exprimé, qu’il fallait trouver un autre mot. Dans un travail que j’avais fait en master avec un ami, on réfléchissait sur les politiques qui permettent de se passer de croissance, Il y avait la proposition d’un revenu universel. L’idée étant que, si la richesse est suffisante, on doit plutôt s’intéresser à sa distribution et à la question de comment faire pour assurer la subsistance de tout le monde plutôt que de chercher sans cesse à créer de nouveaux emplois Et l’une des propositions était celle d’un revenu universel.

Voici un exemple de cheminement intellectuel qui mène au revenu de base, mais il y a en a plein d’autres. Il y a ceux qui partent de la question écologique, il y a aussi ceux qui partent d’une critique du travail. Finalement ils sont assez proches : l’idée de dire que le travail ne doit pas être guidé uniquement par la recherche de rentabilité, l’idée que la richesse n’est pas qu’une richesse marchande et l’idée qu’il faut développer des formes de richesse dé-marchandisée.. Et pour développer ces formes de richesse, il faut que le travailleur soit propriétaire de son travail. C’est plutôt une critique marxienne-gorzienne. André Gorz porte une critique écologique mais aussi une critique du travail. Il faut que l’individu se réapproprie le travail et pour cela il faut un minimum d’autonomie, que l’individu ait la capacité de refuser un travail qui ne lui plaît pas. Et le Revenu Universel c’est un des moyens.

La 3ème approche, qui est très différente, est principalement motivé par une volonté de simplification du système socio-fiscal. C’est notamment l’approche de Marc de Basquiat. D’autres vont plus loin ;  ils partent de l’idée que le système socio-fiscal est de plus en plus obscur pour pas mal de gens et que cela crée aussi des conflits. par exemple au niveau du RSA. Il y a beaucoup de personnes, des travailleurs pauvres, qui ne se rendent pas compte qu’ils y ont droit, qui ne demandent pas le RSA . Et ça ça crée un conflit politique, des jalousies du faits des complexités. Après il y a un conflit entre les travailleurs et les soit-disant « assistés », certains travailleurs qui disent « nous on bosse.» et qui ne se rendent pas compte que même eux ils y ont droit. Le revenu de base permet aussi de dépasser des conflits sociaux liés à un système socio-fiscal qui, parce que les individus ne le comprennent pas, est injuste.

 

Cette vision ne serait-elle pas la plus politiquement neutre ?

Disons que c’est celle qui fait le plus consensus. Actuellement il y a un relatif consensus à gauche comme à droite pour se dire qu’il faut simplifier le système. Il y a un secrétariat d’état dédié à la réforme de l’état et à la simplification dirigé par Thierry Mandon.

Enfin il y a une autre tradition ou plutôt il y a en a beaucoup d’autres. Celle de Milton Friedman qui dit que le revenu de base – ou plutôt l’impôt négatif – est un outil pour libéraliser le marché du travail. Il essaie de concilier le fait qu’il croit profondément au marché, qu’il est nécessaire de le libéraliser en supprimant par exemple le SMIC, et en même temps il se rend compte que les travailleurs doivent avoir de quoi vivre si le salaire d’équilibre est insuffisant. L’impôt négatif c’est le meilleur moyen pour réduire la pauvreté sans réduire les incitations à trouver un emploi. On voit bien, qu’au sein de la défense du revenu universel, il y a eu rapidement une controverse entre un revenu universel de droite et un revenu universel de gauche. Controverse qui a été très vite été formulée par André Gorz dans les années 80. Il craint que le revenu universel à la Milton Friedman ne soit un outil pour « arnaquer »le travailleur car le travailleur finirait perdant si finalement le montant du revenu universel n’était pas suffisant pour qu’il puisse refuser un emploi ou un travail jugé trop dégradant.. Et c’est justement cette controverse qui a fait que le RU n’a pas pu émerger dans le débat politique. Très vite, la gauche qui aurait pu s’en emparer, s’est dit que c’était un outil de la droite pour casser le droit du travail, notamment les syndicats. D’où notre mouvement qui tente de dépasser ce clivage et que l’ on retrouve quand même. On essaie de trouver un compromis. La question du montant étant fondamentale.

 

De façon pratique qu’est-ce qui distingue RU de droite et RU de gauche ?

Il y a plein de questions qui se posent. Évidemment le montant, la question des prestations supprimées et celle en arrière fond de la régulation sur le marché du travail. Là dessus je peux éclaircir tous les points. D’abord sur la question de ce qu’on remplace et ce qu’on supprime. La vision de base qui semble faire consensus est que le Revenu De Base (RDB) ne remplace que le RSA. Le RSA est une prémisse de revenu de base mais qui a beaucoup de défauts, notamment parce que le bénéficiaire est censé faire une démarche de recherche d’emploi. De plus le RSA est intrusif et très stigmatisant. Mais il est déjà un premier élément qui peut servir de base. Il faut remplacer le RSA, la prime pour l’emploi et la prime d’activité. Les Allocations Familiales peuvent être remplacées par un RDB enfant c’est-à-dire une forfaitisation des Allocations Familiales allant de pair avec une suppression su quotient familial. Donc, à partir de là, le RDB doit être au moins du montant du RSA actuel. Actuellement je pars sur la base de 460€. Le RSA actuel c’est 512€ moins les 50€ liés au logement que la plupart des gens ne touchent pas. Dans ce scénario de base, on maintient les allocations chômage, les pensions de retraite, les aides au logement et toutes les prestations spécifiques (le minimum vieillesse, les aides pour les handicapés).

A l’autre extrême il y a les libertariens qui, eux, imaginent un RDB et ensuite la suppression de l’état. On maintient juste un état régalien. Sur ce point il n’y a quasiment personne qui défend ce point de vue ou en tout cas ils sont très minoritaires.

 

J’ai l’impression que votre RDB est le même que celui proposé par M. De Basquiat et Gaspard Koening…

Oui, mais là j’ai présenté une version du RDB. Déjà dans le LIBER c’est un Impôt négatif, pas un RDB. Admettons que c’est presque pareil mais symboliquement c’est différent. Moi je pars de là car c’est très pragmatique, même si le saut pour y arriver est déjà énorme.
B. Mylondo fixe quant à lui un RDB à 750/800€ mais avec la même logique que M. De Basquiat. Il y a aussi la proposition de Jacques Marseille qui propose 700/800€ mais qui remplace le chômage, la retraite et les APL. Le piège c’est que les retraités passent d’une retraite de potentiellement 3000/40000€ à 700€. Je crois qu’il voulait mettre la formation professionnelle dedans, ce qui est à mon sens une vraie bêtise. Après une idée est peut être de forfaitiser la retraite, de faire un RDB senior en remplacement de la retraite actuelle.

Si je dois donner ma vision je pars de celle de De Basquiat, la plus pragmatique. Le point de départ de ma réflexion c’était l’écologie mais maintenant c’est un peu différent. Mon point de départ actuel c’est le choc de l’automatisation. Il y a eu une grosse vague d’automatisation maintenant terminée mais qui a concerné surtout le travail non qualifié : les machines ont remplacé le travail à la chaîne. On va avoir un nouveau choc d’automatisation lié surtout à la numérisation de l’emploi et là qui va toucher le travail qualifié. Il y par exemple les libraires remplacés par Amazon, des boulots remplacés par des logiciels, les taxis remplacés par UBER, même chose pour l’hôtellerie menacée par AirBNB, etc.

La question qui se pose à ce moment là est celle-ci : d’un côté on détruit de l’emploi et de l’autre on a, quand même, une rente qui se crée mais qui est très mal distribuée. Elle est accaparée par les personnes qui créent des logiciels, des supports de communication et qui vont prendre le monopole. C’est ce qu’on appelle les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) mais ils ne sont pas les seuls. Il y a aussi toutes ces énormes boites monopolistiques centrées sur une industrie de réseaux et qui captent une rente du fait qu’elles gèrent cette industrie. Aujourd’hui les innovations détruisent de l’emploi et permettent de capter une rente énorme. Or cette rente devrait appartenir à tout le monde. Donc il faut trouver un moyen de capter cette rente. Là, la difficulté est d’imposer ces grands sociétés qui sont actuellement celles qui utilisent le plus l’optimisation fiscale et qui sont les plus présentes dans les paradis fiscaux.

Il y a une autre approche, celle d’André Gorz ou de Carlo Vercellone, qui dit que le travail est de plus en plus immatériel et que la valeur repose de plus en plus sur les échanges de connaissances. On ne peut plus dire « c’est toi qui a crée cela ». La création de richesse est beaucoup plus liée à cette forme d’échange. C’est un travail cognitif fait de ces échanges de connaissances. C’est ce travail cognitif, ce travail de construction et d’échange de savoirs qui crée de la valeur et ce ce travail qu’il s’agit de rémunérer et de libérer. On ne veut pas d’une société où toutes les connaissances ont un prix, ce ne serait pas optimal. Il faut que tout le monde ait accès à la connaissance. Donc le RDB est aussi rémunérer ces échanges de connaissances qui créent de la valeur mais aussi encourager les gens à échanger de façon gratuite.

            A partir de ce constat je me base sur 450€ car, compte tenu des contraintes socio-fiscales actuelles (optimisation fiscale des multinationales, concurrence fiscale entre les pays), on peut difficilement aller au delà. Pour aller au delà il faudrait capter cette rente. Dès lors que l’on pourra lutter contre l’optimisation fiscale on pourra augmenter ce montant.

Sur la question écologique, l’une de mes erreurs, c’était de croire que l’écologie était forcément contre le travail, c’est à dire de penser que la transition écologique impliquait forcement produire moins et donc travailler moins. C’est beaucoup plus compliqué. La transition écologique et sociale n’induit pas que des destructions d’emplois, elle est aussi créatrice d’emplois. La transition écologique c’est réduire les productions les plus polluantes mais c’est aussi favoriser l’émergence de formes de production moins polluantes. Donc, c’est investir déjà dans l’isolation des logements, les énergies renouvelables, les réseaux de transports plus propres, etc. C’est une source énorme de boulot, et cela nous fait penser à une forme de travail à l’ancienne, du travail qui est de l’emploi. Il en est de même pour l’agriculture. Développer l’agriculture bio c’est aussi créer du boulot. Des industries de recyclage, des ateliers de réparation, c’est aussi potentiellement du travail sous forme d’emplois. Voilà pourquoi actuellement je ne suis pas pour un RDB à 1000€ car je me dis « attendez il faut aussi investir dans cette transition écologique et c’est peut être prioritaire. » C’est ma vision et cela ne supprime pas le RDB car l’idée est aussi de faire confiance aux travailleurs et de dire qu’ils portent en eux les solutions pour la transition écologique et sociale, L’autre vision de cette transition c’est de dire on vous donne le RDB et à vous d’inventer le monde qui permet de faire cette transition. Là il faut lire le livre de Christian Asperger où il dit justement que le RDB est un outil pour les pionniers de la transition écologique et sociale car quand on donne un RDB, certaines personnes vont pouvoir inventer des nouveaux modes de production et de consommation. Voilà un peu comment les trois choses s’articulent pour la transition écologique et sociale. D’un coté les investissements verts, de l’autre la fiscalité, il faut une taxe carbone entre autre, et enfin le dernier axe le revenu universel pour permettre aux gens d’inventer les nouveaux modes de production et de consommation pour la transition écologique économique et sociale.

 

Est-ce que vous avez des opposants phares?

Oui, plus à gauche qu’à droite souvent. Il y a Jean-Maris Harribey qui a écrit une tribune dans Le Monde, Le revenu de base où l’impensé sur le Travail. Il répondait à mon article. J’ai réécrit une réponse que je n’ai pas encore envoyée. Sa critique c’est d’abord que le travail reste quand même un outil d’intégration sociale. On est d’accord, le travail c’est un outil de reconnaissance sociale. Âpres on va pouvoir parler de la distinction entre travail, emploi et activité. Nous, nous prétendons réinventer le travail et lui, ce qu’il dit c’est que le travail n’intègre socialement que si il y a validation sociale et en cela le salaire est une forme de validation sociale. Il n’a pas totalement tort. Dans ma vision le salaire est une forme de validation sociale, mais ce n’est pas la seule. Le bénévolat est aussi du travail rémunéré par la reconnaissance. Ce qu’on a répondu c’est qu’on ne remettait pas en question la validation sociale. On préfère parler d’un revenu de base comme politique générative, qui permet de développer des projets qui pourront avoir à terme une validation sociale en aval. Moi personnellement je ne suis pas dans la caricature du tout bénévolat, tout échange gratuit. Je ne pense pas qu’une société où des gens vivent du RDB et d’autres de leur salaire soit souhaitable.

 

De toute façon avec un RDB à 460 euros..

Oui carrément ! Mais il faut savoir que ces 460€ c’est un commencement et qu’il est individuel. A deux on obtient 920€. Dans une petite ville de province, si on vit en couple ou en colocation, on peut s’en sortir sans avoir besoin d’emploi. Il y en a qui vivent plus ou moins déjà du RDB, avec le RSA combiné aux APL souvent. Voilà il faut sortir de la caricature de gens qui vivraient sans jamais avoir d’emploi compris dans le sens de travail qui donne lieu à une rémunération (emploi salarié mais aussi travail indépendant qui est une forme d’emploi lorsqu’il est rémunéré). Donc le RDB est un outil pour développer des projets qui pourront avoir à terme une validation sociale, des projets qui à terme peuvent être « rentables », dans le sens être financés. Donc le RU ne supprime pas la validation sociale des activités, le salaire mais est surtout une politique « générative » comme le dit André Gorz.

 

Comment expliquez-vous qu’il y ait plus d’opposants à gauche qu’à droite ?

A droite ils ne s’y opposent pas car ils ne s’y intéressent pas. Enfin les gens de droite peuvent s’y intéresser uniquement comme reforme du RSA , comme outil pour libéraliser le marché du travail ou alors ils ne s’y intéressent pas. Les gens de gauche ont plus peur et ne sont pas forcement au courant du combat. Déjà les syndicats peuvent potentiellement en avoir peur parce certains imaginent que la défense des individus va, du coup, se faire en dehors du contrat de travail. Ce qui aboutirait à leur faire perdre leur rôle. Moi je pense que l’existence de Revenu Universel (RU) n’enlève rien à la nécessité d’avoir des syndicats et qu’au contraire cela va les renforcer car les individus seront beaucoup plus exigeants dans l’entreprise. Donc je ne pense pas que l’existence de RU change les négociations entre salariés et employés. Il permet aussi de les placer sur la question des conditions de travail, pas uniquement sur la question des salaires . Il peut peut-être permettre des relations moins conflictuelles et plus de partenariat. Il y a aussi une gauche productiviste, là ça ne passe pas du tout… Il y a aussi l’idée que la gauche est censée défendre le travail et comme elle ne fait pas de distinction entre le travail et l’emploi elle se dit que si elle défend le RU ce ne sont plus les travailleurs qu’elle défend. De plus politiquement, je suis pas très fort en sciences politiques, les classes populaires fuient la gauche et vont de plus en plus vers l’extrême droite et peut être que la gauche a peur que ce soit une proposition trop bobo pour l’électorat classique.

 

Il y a aussi le rapport de la commission au plan rendu à Lionel Jospin qui concluait sur l’inéquation culturelle avec la France…

Il y a un choc culturel à passer c’est sûr. Dans la société où l’on vit c’est le travail qui paye. Il faut casser l’identification entre travail et emploi. Cette identification est récente, elle date de la révolution industrielle alors même que l’emploi salarié était le pire statut au 19ème siècle avant que ne se mette en place un système de protection sociale adossé à l’emploi salarié. Le salarié, c’était le prolétaire qui n’avait que sa force de travail pour vivre. Depuis le salariat est devenu un contrat avec lequel vient de multiples protections avec l’institution d’une protection sociale assise sur l’emploi. Ainsi le travail est devenu de plus en plus souvent associé à l’emploi. La crise et la montée en puissance du chômage ont renforcé cette identification entre travail et emploi. C’est lié au discours de culpabilisation des chômeurs ; si vous êtes chômeurs est-ce vraiment parce que vous ne trouvez pas de boulot ou est-ce que vous ne cherchez pas? C’est assez difficile de comprendre comment le travail dépasse l’emploi. On n’est pas encore au clair tous là-dessus mais il y a plein de formes de travail qui dépasse l’emploi. Même les sociologues ne se mettent pas tous d’accord pour savoir ce qu’est le travail.

D’abord il y a le travail indépendant qui n’est pas de l’emploi salarié mais qui est destiné à être rémunéré. Donc si il est vrai que le travail indépendant cherche à être rémunéré, on sait aussi que dans la nouvelle économie qui émerge les revenus des indépendants vont devenir de plus en plus incertains. Le revenu universel permet de lisser les revenus, c’est un filet de sécurité. Il y aussi le bénévolat qui est un travail que, à mon sens, il ne faut pas rémunérer mais encourager. Le RU c’est un moyen de favoriser le bénévolat et non pas de le rémunérer. Il y a aussi le fait que, aujourd’hui, tout une part de la création de richesse, voire de valeur, repose sur des activités que l’on ne saurait forcément si on doit les appeler « travail ». Je parlais plus haut de l’échange de connaissances : quand sur Facebook vous diffusez une vidéo, vous faites circuler l’information et donc c’est une sorte de travail, c’est un travail cognitif. C’est un travail sur lequel les entreprises arrivent à tirer de la valeur, de la rente. C’est un peu le travail de consommateur. Autre exemple : sur les forums de services après vente, ce sont des utilisateurs qui répondent aux questions d’autres utilisateurs. Pour commander un billet d’avion on ne va plus au guichet. On le fait nous mêmes par exemple. Le travail du consommateur est énorme et il permet aux entreprises de réduire énormément leurs coûts.

Il y a le travail domestique qu’on est censé favoriser. Encore une fois il faut faire attention, le RU ne rémunère pas le travail domestique mais il le favorise. On parle de travail domestique mais cela ne concerne pas que le ménage. C’est l »idée que la richesse n’est pas que marchande, on pourrait aussi le dire des loisirs, de l’éducation culturelle, populaire… Certains pensent pense que le RU est un outil qui favorise le retour des femmes au foyer, mais c’est totalement faux. Au contraire, le RDB est un outil au service de la cause féminine. Le revenu de base est censé remplacé aussi le quotient familial. Qui correspond souvent à : monsieur travaille et monsieur a un gros revenu, madame n’a pas d’emploi,. Avec le quotient familial, on va réduire les impôts de monsieur avec le présupposé qu’il va assurer la subsistance de sa femme. Avec le RDB, monsieur ne voit pas son impôt baissé (suppression du cotent conjugal) mais madame a son RDB. Si elle en a marre ou si elle subit des violences domestiques, elle a son RDB pour partir. Elle n’a pas à mendier son revenu. C’est aussi un revenu d’autonomie. Donc ça peut être un outil d’émancipation des femmes. De plus ce n’est pas le revenu qui fait le machisme, c’est la société qui est machiste. Le combat est ailleurs. La critique féministe du revenu de base ne tient pas debout, elle est nulle et non avenue.

 

A quelle échelle faudrait-il instaurer le revenu de base ?

Je travaille plutôt sur le coté national parce que c’est là que se situe le débat sur le système social et fiscal. On a encore un système national. A terme un revenu de base européen serait une bonne chose, mais il serait dur de le mettre au niveau du RSA. Cependant , cela créerait un outil de solidarité entre états. Il y a un article de Philippe Van Parijs dans Le Monde où il dit très bien que le problème de la zone euro c’est qu’on a une monnaie commune sans avoir de budget commun et lorsqu’il y a un pays qui est en crise il n’est pas aidé. Comparons aux états-unis. Lorsqu’un état est en crise le gouvernement fédéral a des outils pour relancer l’économie, des stabilisateurs automatiques. Il y a un afflux des dépenses d’assurance chômage, des investissements. Ces transferts sont énormes. Il y a pas du tout la même chose à l’échelle de l’UE car le budget représente 1% du PIB et surtout ces 1% sont essentiellement dépensés pour la PAC et il n’existe pas vraiment de stabilisateurs automatiques pour faire face aux chocs. Si on avait un RDB européen ça permettrait justement d’organiser des transferts entre les pays pas trop en crise vers les pays en crise. En prenant l’exemple de la Grèce, si il y avait eu un RDB européen elle n’aurait pas subit la crise aussi fortement. Il y aurait eu au moins un flux de revenus qui aurait permis de maintenir un minimum de demande sur place. Il faut définitivement réfléchir à un RDB européen.

 

Différencié selon les pays ?

Politiquement c’est impossible de le faire au même niveau. Aujourd’hui le problème est que, si nous prenons comme exemple l’Allemagne, elle est contre des systèmes qui organisent des transferts permanents de pays vers pays, elle ne veut pas subventionner les pays du Sud. Philippe Van Parijs a travaillé sur un projet d’un RDB d’un même montant pour tout le monde de 200€. Politiquement ce n’est pas faisable. Mais, même si il était dépendant du revenu de chaque pays, ce serait déjà ça. On pourrait penser que, finalement, les pays ne sont ni bénéficiaires, ni contributeurs net puisque que tout le monde financerait autant qu’il reçoit. Mais à long terme, quand il y a un choc sur un pays en particulier comme ça a été le cas pour la Grèce, il va être plutôt bénéficiaire net et cinq ans plus tard quand il y aura de la reprise il sera plutôt contributeur net et ce sera un autre pays (peut-être l’Allemagne) qui sera bénéficiaire net. Cela pourrait être un outil efficace.

 

Comment financeriez-vous le RDB ?

Il y a la proposition de Marc De Basquiat : tout le monde à son revenu de base et le revenu est diminué d’un peu d’impôt, c’est l’impôt négatif.

Il y a une autre vision qui était celle de Yoland Bresson : on déduit du salaire le montant du revenu de base, mais on reçoit 500 euros de revenu de base. Mais il ne faudrait pas que le financement du revenu de base soit assis sur la masse salariale, il faut l’asseoir sur une autre assiette comme celle de la valeur ajoutée. Donc la TVA peut être un bon moyen de financement. Evidemment, il serait mieux de parvenir à ne taxer que les rentes associées à l’automatisation, mais c’est assez difficile politiquement, dans un contexte de mondialisation et de compétition fiscale. La proposition que je viens d’avancer à un gros avantage : elle permet de faire financer un RDB par les secteurs les moins intenses en travail, tous les secteurs industriels où la production est fortement industrialisée et où la masse salariale représente une faible part des coûts de production. La grosse part des coûts ce sont les machines et aussi la publicité. D’ailleurs le prix de vente est rarement associé au coût de production mais plutôt à la position monopolistique de l’entreprise. Ce mode de financement permet beaucoup plus d’imposer tous les produits qui sont intenses en capital. De même on imposerait beaucoup plus tous les secteurs dans lequel l’emploi est victime de la numérisation (Amazon par exemple). Au contraire on imposerait beaucoup moins les secteurs intenses en travail comme les secteurs de services aux ménages (gardes d’enfants, crèches, coiffure, restauration…). Cela permettrait de réduire le prix de tous ces secteurs intenses en travail et donc de favoriser le développement de l’emploi dans ces secteurs.

 

Pourquoi taxer les entreprises et pas directement les dividendes ?

La TVA c’est une taxe sur la consommation. Il y a plusieurs échelle de taxation : la première étape c’est la valeur ajoutée et la suivante on taxe les revenus des individus et parmi ces revenus les dividendes. Une des difficultés c’est que les propriétaires d’Amazon et Google sont souvent à l’étranger. Taxer en économie fermée c’est très simple, les questions de fiscalité sur les revenus du capital dans une économie ouverte c’est beaucoup plus difficile. De plus il y a deux façons d’analyser l’impôt sur les sociétés. On pourrait se dire que taxer les bénéfices va décourager l’investissement. Ce qui est à la fois vrai et faux. C’est vrai si l’impôt sur les sociétés est vraiment élevé, ce qui n’est pas vraiment le cas. C’est faux dans la mesure où l’investissement n’est pas uniquement lié aux perspectives de bénéfice après impôt, il est aussi lié à la demande. Et c’est faux aussi pour toutes les entreprises monopolistiques parce qu’elles s’en fichent d’investir, elles sont déjà en situation de monopole. C’est l’opposition classique entre la vision libérale et la vision keynésienne de l’investissement. Les libéraux reprennent le théorème de Schmidt : « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain », alors que les keynésiens diront que ce ne sont pas les profits qui guident l’investissement, mais la demande effective.

 

Est-ce que vous avez regardé un peu les expériences mises en place à l’étranger et est-ce que vous pouvez en tirer des conclusions?

Je n’ai pas tout regardé. Il y a l’Alaska, la Namibie, l’Inde, l’Iran.. C’est difficile d’en tirer des conclusions. Il y a un article sur l’expérience à Dauphin-ville au Canada mais il s’agit d’un impôt négatif. Je pense qu’il faut différencier les expériences au Nord des expériences au Sud. Au Sud ce sont vraiment des politiques de développement, de lutte contre la pauvreté qui démontrent bien, quand même, que, quand on donne un revenu directement aux individus, ils arrivent beaucoup mieux à rependre leur vie en main. Ils vont investir pour l’avenir. Oui, je pense que l’expérience au Canada est intéressante mais je n’ai pas trop développé ce qu’on pourrait en tirer. En tout cas ce qu’on en tire c’est l’idée que cela ne réduit pas trop l’offre de travail. Et même si cela réduisait l’offre d’emploi ce n’est pas si mal puisque l’un des objectifs est d’encourager des formes de travail qui sont en dehors des emplois.

Je reviens un peu sur la distinction entre travail/activité/emploi. L’un des pièges c’est de faire croire que le revenu de base encourage l’idée de ne rien faire, de travailler moins. Certains présentent le revenu de base comme un moyen d’accéder à une société de l’activité et non pas du travail. C’est un piège car on va penser que le RDB est un outil au service des « branleurs ». Au contraire ce qu’on souhaite c’est un RDB pour se réapproprier le travail, l’un des gros enjeux c’est de changer le sens du mot travail et de dire que le RDB c’est un outil pour travailler mieux, dans de meilleures conditions, pour faire les choses qui nous plaisent, pour s’investir dans des projets.

 

Est-ce que vous pensez que dans un futur proche il y aura des dynamiques qui pourraient aller vers l’instauration d’un RDB ?

On va organiser un débat au Sénat. Il y a les primaires du PS en juin où il existe déjà 4 ou 5 motions qui poussent à aller dans le sens du RDB. On a été approché par quelqu’un au PS pour organiser un débat au sénat le 19 mai. Nous espérons que c’est un bon moyen pour lancer le processus. On espère avoir une bonne couverture médiatique. Dans ce débat là ce qu’on va avancer…Déjà il ne faut pas aborder le RDB comme une politique sociale, sinon autant faire un impôt négatif et de plus, à mon sens, ce n’en est pas une. On a décidé de partir vraiment, d’une part, du choc de l’automatisation et d’autre part des bouleversements du travail. Mais il y aura bien entendu différentes propositions de revenu de base qui seront développées. Ce qu’on va bien mettre en évidence c’est déjà l’idée de partir du RSA, car on n’ aura pas un RDB directement à 800€.