Difficultés de la lutte

Hans Rietveld souligne qu’il n’existe pas de solution miracle dans la lutte contre le paludisme. Il n’y a pas de solution simple à cette maladie. Une combinaison de plusieurs outils performants et qui ont fait leur preuves doit être utilisée : insecticides, moustiquaires, diagnostiques, médicaments, surveillance, prévention en tout genre… Néanmoins, chaque région est soumise à des contraintes différentes, les populations touchées par le paludisme ont des niveaux de vie différents et les systèmes de santé sont très variables d’un pays à l’autre. Il n’existe donc pas de solution unique et parfaite. C’est ce qui fait toute la difficulté de la lutte contre le paludisme. Paul Reiter confirme cette analyse : le paludisme est une maladie complexe et multifactorielle. Il est donc presque impossible de l’isoler pour étudier l’influence d’un unique facteur. Par exemple, le Sud de l’Europe était touché par le paludisme au début du 19e siècle, puis celui-ci a progressivement disparu. Certes, des progrès sanitaires importants ont été réalisés mais cette disparition de la maladie n’est pas du tout due à un changement de température. Vincent Robert ajoute que la vie des moustiques transmetteurs est intimement liée à celle des humains. Les moustiques s’adaptent au rythme de leurs proies, ils s’adaptent à l’habitat de l’homme.

Une autre difficulté mise en avant par le docteur Soulaman est la lassitude des gens devant une lutte qui n’aboutit pas. Des milliards de dollars sont investis chaque année, des progrès sont faits mais les résultats sont souvent décevants. Les populations frappées sont souvent pauvres et de nombreux acteurs commencent à se lasser d’une lutte qui n’en finit pas.

Ensuite, se pose le problème du financement. Il est principalement mis en avant par l’OMS : 5100 millions de dollars US seraient nécessaires pour lutter efficacement contre la maladie. Ces chiffres sont annoncés par l’OMS. Plusieurs acteurs trouvent qu’il faudrait davantage de transparence et que le détail de ce budget manque de précision. Le docteur Margaret Chan, Directeur général de l’OMS explique : « Nous disposons d’outils efficaces et nos stratégies fonctionnent. Mais il nous faut encore parvenir à faire bénéficier beaucoup plus de personnes de ces outils si nous voulons pérenniser ces acquis. » La générosité de la communauté de donneurs internationaux est ainsi primordiale dans la lutte contre le paludisme. Vincent Robert affirme que « Bill Gates a beaucoup donné sous la pression de lobbies américains. Le Programme du président américain et l’Union Européenne ont aussi été contributeurs. Ces fonds ont été répartis entre les différents programmes. Les services nationaux de chaque pays africain ont ainsi gagné en moyens et en efficacité. » Mais l’origine des fonds pose de nouveaux problèmes. Les choix d’investir dans tel ou tel moyen de lutte peuvent alors se retrouver biaisés. C’est ce que défend Frédéric Simard, membre de l’IRD : « La répartition de l’argent dépend de l’origine des fonds : quand Bill Gates dit « Ma priorité c’est ça », tout le monde suit le pognon, que ce soit la bonne ou la mauvaise solution, et l’OMS n’a d’autre choix que d’emboîter le pas ». Il semble que les donneurs choisissent directement comment investir leurs dons sans se reporter aux experts. Cette vision assez négative est nuancée par la position de Vincent Robert. Il nous explique en effet qu’ « il y a une vraie coordination, la stratégie est simple. Tout le monde est d’accord là-dessus, nous sommes dans un cycle positif actuellement, il n’y a pas de problème car ça marche bien et quand ça marche bien, chacun sait ce qu’il faut faire donc pour le moment, ça roule ».

Développement de résistances

Le développement de résistances est un autre point crucial dans la lutte contre le paludisme. Le virus mute et évolue en permanence. Les médicaments sont efficaces quelques années mais des résistances se développent rapidement. Après plusieurs décennies de grandes difficultés, la recherche a montré que l’usage de la tri-thérapie était plus efficace et surtout elle limitait l’apparition de résistances. Il y a quelques années , l’OMS a ainsi interdit l’usage de médicaments seuls. L’objectif étant d’empêcher à moyen terme le développement des résistances. Cette stratégie est approuvée par tous les acteurs sauf par certains vendeurs de médicaments. Des entreprises plus ou moins légales de production et/ou vente de médicaments basées en Inde ou dans les pays limitrophes continuent de distribuer des médicaments interdits. Ils font de nombreuses victimes et contribuent à développer les résistances. Frédéric Simard ajoute par ailleurs que l’OMS ne peut donner de directives fermes aux pays concernés, de peur d’être accusée d’ingérence.

La rentabilité des laboratoires pharmaceutiques est un des freins majeurs dans la recherche d’un vaccin. On ne peut forcer les entreprises privées à investir dans un domaine qu’elles ne considèrent pas rentable. Les médicaments sont chers à développer, leur production peut être coûteuse, les populations ciblées sont pauvres et ne peuvent donc pas s’offrir de traitement. Tous ces éléments ralentissent la recherche de moyens plus performants. Certains chercheurs comme Vincent Robert affirment qu’ « il y a bien pire. Certaines maladies comme la drépanocytose sont complètement négligées. Le paludisme n’est pas abandonné par les laboratoires pharmaceutiques. » Néanmoins, la presse laisse penser que les laboratoires pharmaceutiques s’investissent très peu et ne s’engagent qu’en deçà de leurs moyens. Une solution pour stimuler l’activité de ces entreprises est avancée par Hans Rietveld de Novartis : « Il y a un moyen de pousser les entreprises à s’engager et à s’impliquer dans la lutte contre le paludisme. Il faut s’assurer qu’il y a un partage juste et équitable des risques pris par les laboratoires pharmaceutiques et les donneurs (risques liés au développement de nouveaux produits, à leur production et à leur vente). On pourrait aussi reconnaitre de manière publique les entreprises qui sont actives dans la lutte contre le paludisme. La FDA (Food and Drug Administration) des Etats-Unis a démarré un programme pour inciter les entreprises à investir en recherche et développement dans certaines maladies quelque peu abandonnées comme le paludisme ou Ebola. Si un nouveau médicament est découvert, développé avec succès et approuvé par la FDA, l’entreprise pourrait alors recevoir un permis de passer en priorité devant tous les concurrents lors du développement d’un autre médicament. La FDA statuerait alors quatre mois plus rapidement qu’habituellement sur ce nouveau médicament, permettant ainsi à l’entreprise un accès au marché bien plus rapide. »

 

Responsabilité de l’homme…