Lors de la crise de 2008, de nombreuses voix se sont élevées pour mettre en place une régulation des marchés dérivés coordonnée à l’échelle mondiale. Lors du fameux G20 à Pittsburgh en 2009, les chefs d’états se sont mis d’accord pour que cette régulation ait lieu. Cela s’est traduit par la mise en place du Dodd Frank Act aux Etats-Unis et par l’instauration de l’EMIR (European Market Infrastructure Regulation) à l’échelle européenne qui s’est appliquée à partir du 16 août 2012. Trois ans plus tard, où en sommes nous? Peut-on dire que la loi a fait unanimité, a-t-elle été un succès?
Beaucoup de gens ont critiqué le libéralisme total et l’absence de régulation concernant les CDS, certains y voient même une des causes principales de l’instabilité financière dans laquelle nous vivons actuellement. Faisant référence au risque systémique Warren Buffet a même dit que « Les CDS sont une arme de destruction massive » [1]. Les chefs d’etats Barack Obama et Nicolas Sarkozy ont d’ailleurs fait de la régulation des marchés financiers une de leurs priorités lors de leurs mandats. En ce sens on peut donc voir le passage de la loi comme un succès. Le Dodd Frank Act aux Etats Unis a rencontré une vive opposition de la part de certains républicains américains et même de quelques démocrates prônant le libéralisme comme condition sine qua none pour une économie en bonne santé [2], mais grâce à des circonstances politiques favorables (une majorité démocrate au pouvoir aux Etats-Unis et un enthousiasme palpable ainsi qu’une ouverture au changement et à la restructuration après l’élection d’Obama) la loi a pu être passée avec relativement peu de concessions. C’est également le cas en Europe où il est assez remarquable qu’une loi aussi importante ait pu être acceptée de tous les pays membres (bien qu’il est clair que les 27 n’avaient pas tous la même influence). En général il est très difficile de mettre d’accord les trois grandes puissances économiques européennes que sont l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. De manière très caricaturale les Anglais sont très libéraux tandis que les Allemands souhaitent implémenter de la juridiction partout où c’est possible et les Français eux souhaitent une réglementation et une intervention de l’État significative. En ce sens on peut voir le simple passage de la loi comme un succés et comme une preuve de l’unité du discours des politiciens lorsqu’ils souhaitaient plus de régulation. Le fait qu’une loi comme celle-ci ait pu passer à Bruxelles constitue une preuve qu’elle faisait effectivement une certaine unanimité.
La loi EMIR impose que les dérivés soient compensés centralement par la CCP. Ainsi ce n’est plus les banques ou les actionnaires qui prennent le risque mais la CCP. On peut donc dire qu’on a simplement déplacé le risque depuis les actionnaires vers la CCP. Certains sont critiques envers cela et soulignent que les chambres de compensations constituent une zone de concentration des risques systémiques. Néanmoins il faut tout de même souligner que les chambres de compensations sont relativement robustes, certainement plus que des actionnaires ou que des banques quelconques. On peut donc dire qu’on a atteint une situation plus équilibrée où le risque systémique a tout de même été diminué.
Une autre critique qui est souvent émise sur la loi est qu’elle n’est pas assez restrictive. De nombreux CDS échappent en effet au contrôle de la loi. Celle-ci concerne uniquement les CDS sur indices ainsi que les single names (les plus volatiles). Néanmoins même pour les autres CDS, l’existence de marges bilatérales est imposée. Il existe donc tout de même une certaine régulation. On peut noter par ailleurs qu’il existe une loi différente à l’échelle française qui est assez proche de la loi européenne sur la régulation trading HF et marchés dérivés, un peu plus restrictive sur l’exigence de séparation entre les différents acteurs (bien que du lobbying soit actuellement en cours à Bruxelles pour modifier la loi EMIR sur ce point). On peut sans doute voir la loi européenne comme la loi (à grande échelle) la plus avancée à ce jour, sans doute encore plus que le Dodd Frank Act.
Se pose alors la question principale : qu’en pensent les banquiers et les actionnaires du monde de la finance en général ? Ici, il faut évidemment prendre tout commentaire avec des pincettes car il est dans l’intérêt de tout actionnaire d’avoir le moins de régulation posible pour pouvoir disposer de la plus grande marge de maneuvre possible. Sachant cela, bien qu’il y’ait eu des critiques qui se soient faites entendre il semble que la loi n’ait pas suscité une animosité extrême mais plutôt une sorte de résignation voire même une acceptation. Pour paraphraser un trader que nous avons pu rencontrer [3], la loi « n’était pas un coup politique », « elle a eu les effets qu’elle voulait avoir (elle a diminué le nombre d’acteurs et de spéculateurs sur le marché des CDS) » et « la différence s’est faite sentir ». Ce même trader a ensuite expliqué lorsqu’on lui a demandé si la situation actuelle constituait un juste milieu ou s’il fallait en faire plus, qu’effectivement on pouvait aller plus loin mais qu’il fallait que cela se fasse avec une bonne consultation entre régulateurs et acteurs pour ne pas perturber le bon fonctionnement et la dynamique des marchés.
On peut donc sans doute voir la loi EMIR comme un succès modeste. Elle semble avoir atteint ses objectifs et si ce n’est avoir fait l’unanimité, du moins elle a fait l’unanimité chez les régulateurs et n’a pas rencontré d’opposition sigificative chez les actionnaires et banquiers. Il reste à savoir que les CDS sont des objets financiers en constante transformation et évolution et que si un suivi correcte n’est pas effectué, la loi risque de rapidement devenir obsolète d’autant plus que ces transformations rapides de la nature et de l’utilisation des objets financiers se font justement souvent en réaction face au passage des réglementations.
Sources :
1 : KELLEHER, James B. Buffett’s ‘time bomb’goes off on Wall Street. Reuters. 18 septembre 2008. Disponible sur : http://www.reuters.com/article/2008/09/18/us-derivatives-credit-idUSN1837154020080918 [consulté le 22 avril 2015]
2 : EISINGER, Jesse. A Strategy in The Fight over Dodd-Frank : Go Big, New York Times, 14 janvier 2015, Disponible sur http://dealbook.nytimes.com/2015/01/14/a-strategy-in-the-fight-over-financial-reform-go-big/ [consulté le 03 mars 2015]
3 : Entretien avec Jalal Koubaiti, trader à Londres
Laisser un commentaire