Une loi technique

 

Comme pour tous les règlements européens, la Commission a eu l’initiative du texte de loi EMIR. Des questionnaires très denses ont d’abord été envoyés à tous les acteurs en contact plus ou moins direct avec les produits dérivés, et de tous les bords idéologiques. Il s’agit par exemple de l’ISDA, de la FBF (Fédération Française Bancaire), Finance Watch, les différents états concernés … Les réponses ont permis la rédaction d’un premier jet. Celui-ci est ensuite modifié par les différentes discussions au Conseil et au Parlement. Le texte qui en résulte a été voté par ces deux institutions selon le mode de co-décision et est classé en tant que « RÈGLEMENT (UE) No 648/2012 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 4 juillet 2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux ».

Il a été voté à une large majorité à Strasbourg et d’après l’ex-eurodéputé Jean-Paul Gauzès, c’est le cas de beaucoup d’autres textes de lois de réglementation financière. Par ailleurs, l’homme politique nous assure qu’une petite poignée seulement de députés, donc une infime partie du parlement, « comprend vraiment » cette loi. Bien que Directeur juridique et fiscal de la Banque Dexia, Jean-Paul Gauzès reconnaît avec beaucoup de modestie que des points lui échappent.

Cet apparent consensus d’une part, et l’opacité de cette loi pour les députés d’autre part, résultant de sa complexité et de sa haute technicité, soulèvent le problème du mode d’exercice démocratique. Comment le Parlement peut-il se faire l’écho de l’intérêt général si les termes même du texte de loi apparaissent hermétiques à une part écrasante des députés ? Pourtant cette réglementation a connu des modifications depuis la première proposition. Qui sont donc les acteurs effectifs de ces discussions ?

Afin d’approcher une réponse à ces (inquiétantes) questions, il convient de préciser le pouvoir réel du régulateur financier. A travers la genèse de cette loi et plus généralement, de toutes les lois à caractère très technique, c’est le statut du régulateur qui est interrogé. En effet, seuls les agents qui sont en contact direct avec le produit à réguler (réglementer du point de vue du régulateur), disposent véritablement de l’ensemble des informations à son égard, si bien que toute appréhension en outsider s’avère extrêmement difficile. Ainsi le régulateur, qui se trouve être justement un outsider dans le sens où il ne participe ni n’a participé directement à la manipulation du produit en question, se trouve dans la posture (paradoxale, étant donné la définition communément admise du régulateur) particulière où il réglemente a posteriori d’une réglementation à l’initiative des acteurs.

C’est précisément ce qu’évoque F. Lirzin dans un rapport de la fondation Robert Schuman, un Think tank pro-européen : « la vitesse avec laquelle sont créés de nouveaux produits, et leur complexité intrinsèque, rend quasiment impossible une standardisation simultanée. Le plus souvent, ce sont les banques elles-mêmes qui établissent les normes pour faciliter leur activité et les régulateurs ne font que les approuver. Les marchés ont toujours une longueur d’avance sur les régulateurs : mieux réguler le marché des CDOs n’empêchera pas d’autres marchés de se développer hors du contrôle des régulateurs, comme c’est le cas du marché des CDS actuellement. Une collaboration plus étroite entre régulateurs et acteurs financiers est ici essentielle pour réduire ce retard. Il serait également envisageable de rendre automatique la normalisation de certains produits dès lors que leur volume d’échange devient trop important pour être ignoré. La régulation se concentrerait alors non pas sur ce qui existe déjà, mais sur ce qui est en développement. » [1]

Le vote des députés dépend de deux facteurs majeurs au-delà de leur propre opinion sur le texte : les consignes de votes et les lobbys. Les consignes de votes sont envoyées avant chaque vote ; d’après une euro-député qui a souhaité rester anonyme, environ 90% des députés seraient fidèles à ces consignes. Elles sont écrites par le rapporteur de la loi si celui-ci est membre du parti du député en question, ou du « shadow rapporteur » sinon, ie. le « député qui suit un dossier pour des groupes politiques autres que celui du rapporteur ». [2] Quant aux lobbys, il est difficile d’évaluer leur influence sur le vote des députés.

Sources :

[1] LIRZIN, Franck. L’Union européenne face à la crise financière : quelles réponses ?, Fondation Schuman, Questions d’Europe n°110, 22 septembre 2008. Disponible sur : http://www.robert-schuman.eu/fr/doc/questions-d-europe/qe-110-fr.pdf [consulté le 22 avril 2015]

[2] Commission Européenne, GLOSSAIRE. In Commission Européenne. Union Européenne. Dernière mise à jour le 31 janvier 2012. Disponible sur : http://ec.europa.eu/codecision/stepbystep/glossary_fr.htm [consulté le 20 avril 2015]

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