Au vu des risques éventuels des nanoparticules (cf. Les nombreux risques sanitaires), même si ces derniers ne sont pas encore consensuels (cf. Une preuve scientifique discutable), il est naturel de se demander quelles sont les réglementations en vigueur qui permettent d’encadrer et de définir l’utilisation de ces substances. Permettent-elles d’assurer un bon suivi des nanomatériaux, et de donner assez d’informations au consommateur pour qu’il puisse choisir ce qu’il consomme ? La transparence de leur utilisation dans la chaîne de production est-elle garantie ?
Pour se construire un avis sur la question, il est nécessaire d’examiner la législation en rapport avec ce sujet, à la fois au niveau français et au niveau européen. Ces tentatives d’encadrement se concentrent sur deux éléments clés : le suivi et la déclaration des quantités de matériaux utilisés d’un côté, et l’étiquetage des produits de grande consommation contenant dans leur composition ces substances, de l’autre. Mais ces réglementations présentent des failles qui empêchent la bonne traçabilité des nanomatériaux utilisés et la transparence de leur utilisation vis-à-vis du consommateur, objectif pourtant à la base de ces réglementations.
Que se passait-il avant 2011?
Jusqu’en 2011, aucune définition ou mesure particulière n’était prise à l’égard des nano-substances. Celles-ci entraient dans le cadre du règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) établi par l’agence européenne des produits chimique (ou European CHemicals Agency, ECHA) pour la simple raison que ce règlement s’applique à tout matériau obéissant à la définition générique et trop vaste de “substance” [6]. Ce règlement avait été publié en 2006 et obligeait les industriels européens à déclarer les substances qu’ils importaient à partir de 1 tonne par an et par producteur, et à produire un rapport sur la sécurité de ces substances à partir de 10 tonnes importées et utilisées par an [7]. Ainsi, il fallait avoir importé au moins une tonne de la substance en question pour que le règlement s’applique.
Cependant, la nature extrêmement réactive des nanoparticules rend les quantités nécessaires bien moindres. En France par exemple en 2015, 70.7% des déclarations de nano-substances était en-dessous de ce seuil de 1 tonne [4]. De plus, ce règlement donnait aux industriels le rôle premier dans l’évaluation des substances qu’ils utilisent, chose qui prête à réflexion si on considère les atouts économiques que ces substances leur octroient… Et tel qu’il était écrit auparavant, ce règlement empêchait un pays membre de maintenir une législation plus exigeante [7]. Ainsi, ce règlement était complètement obsolète en ce qui concerne le traçage des nanomatériaux qui passent à travers les mailles du filet pour se disperser dans nos produits sans aucun contrôle. C’est pourquoi la commission européenne a vu la nécessité de créer des règles législatives spécifiques aux nanomatériaux pour davantage protéger les consommateurs.
La France est en effet le premier pays européen à considérer les nanoparticules comme suffisamment dangereuses pour mettre en place une réglementation spéciale. Il s’agit de la loi Grenelle II, qui est venue modifier le code de l’environnement en 2010 pour y inclure une mention spéciale pour les nanomatériaux.
Mise en place du registre R-Nano, un pas en avant…
En vertu du nouveau code de l’environnement (et plus précisément des articles 523-1 à 523-5), toute entreprise basée en France qui importerait, fabriquerait ou distribuerait des substances à l’état nanoparticulaire, doit se déclarer auprès de l’Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). À ce stade là, la définition adoptée pour les substances à l’état nanoparticulaire est la suivante:
substance [telle que définie par le REACH], fabriquée intentionnellement à l’échelle nanométrique, contenant des particules, non liées ou sous forme d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dont une proportion minimale des particules, dans la distribution des tailles en nombre, présentent une ou plusieurs dimensions externes se situant entre 1 nm et 100 nm..
Décret n 2012-232 du 17 février 2012[1]
A ce moment-là, le seuil de 50% de nanoparticules n’avait pas encore été instauré (cf. La définition même d’une nanoparticule et d’un nanomatériau).
En application de cette loi, le registre R-Nano a été mis en place dès le 1er janvier 2013[2]. Ce registre en ligne est géré par l’ANSES. Il a pour but de lister tous les organismes qui sont concernés par l’article 523 du code de l’environnement. Ainsi, les entreprises qui importent, fabriquent ou distribuent plus de 100 grammes de substances à l’état nanoparticulaire par an doivent se déclarer auprès de l’ANSES [3].
Le registre R-Nano semble être un bon moyen de pouvoir exercer un suivi de la circulation des nanoparticules en France. En effet, le seuil minimal étant fixé à 100 grammes par an, ce registre sera donc forcément plus efficace que celui fixé précédemment par le règlement européen REACH (au moins 1 tonne par an).
Les articles 523-1 à -5 du code de l’environnement réclament aussi que les entreprises devant se déclarer transmettent toutes les informations concernant les risques et problèmes de toxicité qu’elles ont à leur connaissance vis-à-vis des nanoparticules qu’elles utilisent. D’une part, cela permet de forcer l’entreprise à s’informer des risques et dangers des produits qu’elle utilise, et d’autre part cela permettra à l’ANSES d’agir plus rapidement en cas de danger pour la population (arrêt de la chaîne de production, informations précises sur les risques encourus).
Le registre R-Nano est donc une bonne initiative de la part de l’État français, car elle permettra d’agir rapidement s’il y a un quelconque problème avec les nanoparticules. Ce registre peut sembler assez restrictif vis-à-vis des entreprises, surtout qu’il reste sans précédent au niveau européen. Bien que la France puisse sembler alarmiste au niveau des nanoparticules, d’autres pays l’ont suivie et ont mis en place un registre semblable, comme le Danemark ou la Belgique en 2016 [4].
Les limites du registre critiquées
Le registre R-Nano présente tout de même quelques limites importantes. Tout d’abord, la déclaration se fait en début de chaîne de production : il n’y a donc aucune information quant à la destination des nanoparticules importées et à la nature des produits dans lesquels elles seront disséminées. Cette information nous a été confirmée par Mme Merten-Lentz, avocate spécialisée dans la loi alimentaire européenne, avec qui nous avons eu un entretien :
En pratique, la production des aliments s’insère dans une dynamique complexe. La chaîne alimentaire est très longue ; dans la confection d’un aliment suivant une recette par exemple, il faut de nombreux ingrédients qui proviennent de nombreuses entreprises. Elle repose donc sur la confiance et la totale transparence : les industriels doivent se communiquer les informations sur leurs produits et ne fournir que des ingrédients sûrs.
Katia Merten-Lentz (entretien), avocate spécialisée dans la loi alimentaire européenne.
L’autre limite du registre R-Nano, d’après M. Éric Gaffet, repose sur le fait que seules les substances destinées à être émises au cours de leur durée de vie doivent être signalées :
C’est ce qui est inscrit par exemple sur le registre R-Nano, où les industriels doivent déclarer leurs produits. Ainsi, les substances à déclarer ne sont que celles qui sont susceptibles d’émettre des nanoparticules, et pas toutes celles qui en contiennent, ce qui restreint encore la définition. Or, les aliments a priori n’en émettent pas (seuls les produits comme les sprays peuvent en émettre) : ils échappent donc à cette restriction.
Éric Gaffet (entretien), chercheur au CNRS et ancien président des comités d’experts de l’Anses sur les nanoparticules
Ainsi, on voit bien qu’il reste des améliorations à faire quant à la législation qui règlemente les nanoparticules en France.
Il va sans dire que devant la popularité grandissante des nanoparticules et substances nanostructurées auprès des industriels (un marché de produits de 200 milliards d’euros en 2009 d’après la Commission européenne) [5], et le début du foisonnement d’études toxicologiques sur le sujet depuis 2006, la Commission européenne a dû s’approprier le sujet depuis 2007 en saisissant l’EFSA (European Food Space Agency) pour faire des recherches sur ces substances. Elle en a déduit la nécessité de faire encore plus de recherches pour caractériser ces substances, ce qui est difficile (cf Une preuve scientifique discutable). Cependant, pour pouvoir appliquer une quelconque loi, il fallait d’abord que la Commission européenne admette une définition “officielle” pour ces substances.
2011 : L’arrivée de la définition et de l’étiquetage… non appliqué
Notons tout de même que l’établissement de cette définition aura causé du fil à retordre à la Commission qui a admis dans le règlement (CE) No 1223/2009 de 2009 la difficulté d’arriver à trouver un consensus là dessus (et à juste titre, cf La définition même d’une nanoparticule et d’un nanomatériau). C’est finalement en octobre 2011 que la Commission européenne approuve la définition européenne qui sera utilisée dans tous les documents législatifs futurs et par rétrospection dans le règlement REACh de l’ECHA. Vous pouvez retrouver la définition complète sur la page définition, mais le critère important ajouté à ce moment-là par la Commission était le seuil minimal de 50% en distribution massique de nanoparticules pour pouvoir considérer qu’un matériau est un nanomatériau. La Commission justifie ce taux élevé en écrivant:
Étant donné le grand nombre de matériaux susceptibles de correspondre à [un seuil plus bas] et la nécessité de configurer la portée de la définition de manière à ce qu’elle se prête aux exigences d’une démarche de réglementation, il convient que ce seuil soit fixé à un niveau plus élevé.
Recommandation de la Commission Européenne du 18 octobre 2011 relative à la définition des nanomatériaux [11]
Quelques jours plus tard, apparaît le règlement de l’Union européenne No 1169/2011, et avec lui renaissent les espoirs des scientifiques et organismes civils qui plaident pour l’amélioration du suivi des nanosubstances (comme Agir pour l’Environnement). En effet ce règlement impose que toute substance correspondant à la définition adoptée quelques jours plus tôt soit étiquetée de manière spécifique :
Tous les ingrédients qui se présentent sous forme de nanomatériaux manufacturés sont indiqués clairement dans la liste des ingrédients. Le nom des ingrédients est suivi du mot «nano» entre crochets.
Règlement (UE) No 1169/2011 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011 [12]
Ce règlement n’est pas correctement appliqué et ceci est principalement dû à la définition imprécise sur laquelle il se base.
Le malentendu de la définition implique la non-application du règlement sur l’étiquetage
En effet, d’après les scientifiques, le défaut vient de la définition adoptée. En commentaire sur le seuil de 50% adopté dans cette définition Mme Marano, professeur émérite de toxicologie et membre du Haut Conseil de la santé public, s’exclame :
En effet, les industriels ont fait du lobbying pour avoir cette définition de 100nm et surtout de 50% de NPs (nanoparticules) ayant cette dimension dans l’additif. . Ils se débrouillent pour avoir seulement 10 à 30%. Donc à partir de cette définition ils disent qu’il ne s’agit pas d’un nanomatériau selon la définition de l’UE. Grace à cela, alors que l’étiquetage nano est obligatoire pour les aliments, les produits ne sont pas étiquetés car entrant dans le cadre de la définition européenne.
Francelyne Marano (entretien), professeure émérite de toxicologie et membre du Haut Conseil de la santé public
Ainsi il s’avère que le taux de 50% est trop élevé pour les utilisations industrielles, ce qui permet aux grands groupes de se dispenser d’étiqueter, rendant ce règlement lui aussi insuffisant. L’information n’arrive donc pas au consommateur qui consomme des produits avec nano-additifs sans s’en rendre compte. C’est précisément cela qui a scandalisé Agir pour l’environnement (qui a détecté en 2016 des nanoparticules dans des produits non étiquetés).
2015 : La modification du règlement Novel-Food, un meilleur encadrement pour les nanoparticules ?
2015 est une année qui a permis d’établir un meilleur cadre pour le contrôle des nanoparticules. La formation de ce cadre est passée par la modification du règlement Novel-Food. Celui-ci est un règlement européen mis en place en 1997 qui concerne les nouveaux aliments. La désignation « nouvel aliment » s’applique à tout aliment qui n’était que peu consommé en Europe avant 1997. Cela comprend par exemple les organismes génétiquement modifiés, les aliments exotiques et autres… mais ne prenait pas en compte avant 2015 les nano-additifs alimentaires [9].
Cette réglementation a justement été modifiée en 2015 pour inclure les aliments contenant des nanomatériaux manufacturés [10], selon la définition donnée en 2011 (cf La définition même d’une nanoparticule et d’un nanomatériau. D’après ce règlement, chaque nouvel aliment qu’une entreprise veut mettre sur le marché doit être déclaré à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). L’EFSA réalise alors des tests pour s’assurer de la non-toxicité des aliments. Plus encore, dans le cas où ce sont des aliments contenant des nanomatériaux manufacturés (donc des nanoparticules), l’EFSA doit procéder à des tests spécifiques des nanomatériaux manufacturés. Finalement, si l’aliment ne présente pas de risques de toxicité, elle donne l’autorisation de mise sur le marché du nouvel aliment.
D’après Mme Merten-Lentz, ce cadre est suffisant et permettrait de mettre le consommateur en confiance. Pour elle, la réglementation n’est pas bloquante, au contraire : elle devrait permettre de rassurer, puisqu’elle existe et contrôle l’utilisation des nanoparticules. Des produits sont autorisés officiellement, et cela devrait être rassurant.
Cette modification de la réglementation entrera en application le 1er janvier 2018 : il est pour l’instant impossible d’estimer son efficacité au niveau européen.
En conclusion, il s’avère que la chaîne d’informations entre le producteur des nanomatériaux et le consommateur est difficile à contrôler et à encadrer, si bien que les législations mises en place à ce jour ne permettent pas d’en suivre l’évolution étape par étape et ne transmettent qu’une donnée fragmentaire et incomplète au consommateur en bout de chaîne. Néanmoins, si la transparence totale est encore un objectif à atteindre, les hommes de lois considèrent que ce qui a été accompli jusqu’à présent est plutôt satisfaisant, voire suffisant. Pour Mme Lentz, le problème n’est pas législatif :
Le principal problème réside dans le fait que ce sujet est très anxiogène et effraie le consommateur. Les médias ont par ailleurs beaucoup parlé de ce sujet, en attisant ces craintes.
Katia Merten-Lentz (entretien), avocate spécialisée dans la loi alimentaire européenne.
Les associations et les études scientifiques exagèrent-elles vraiment la gravité de la situation des nanoparticules et leurs effets? Seul l’avenir nous le dira…
[1] Legifrance (2012), Décret n° 2012-232 du 17 février 2012 relatif à la déclaration annuelle des substances à l’état nanoparticulaire pris en application de l’article L. 523-4 du code de l’environnement [en ligne]. Disponible sur https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=2F81EEED5C3810EBCD86F28A1C9C8271.tpdila13v_2?cidTexte=JORFTEXT000025377246idArticle=LEGIARTI000025378221&dateTexte=20120219&categorieLien=cid#LEGIARTI000025378221 [Consulté le 18/06/2017]
[2] Avicenn, R-Nano.fr Déclaration des substances à l’état nanoparticulaire [en ligne] disponible sur https://www.r-nano.fr/ [Consulté le 18/06/2017]
[3] Direction de l’information légale et administrative (2015), Déclaration en ligne des substances à l’état nanoparticulaire (R-Nano) [en ligne], in service-public-pro.fr. Disponible sur https://www.service-public.fr/professionnels-entreprises/vosdroits/R31565 [Consulté le 18/06/2017]
[4] Direction générale de la prévention des risques. (2016). Éléments issus des déclarations des substances à l’état nanoparticulaire, 237 pages. Disponible sur http://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2016-11%20-%20Rapport%20R-nano%202016.pdf [Consulté le 18/06/2017]
[5] Commission Européenne (2012). Nanomatériaux: une approche de la sécurité au cas par cas pour des technologies innovantes [en ligne], in Commission européenne base de données des communiqués de presse. Disponible sur http://europa.eu/rapid/press-release_IP-12-1050_fr.htm [Consulté le 18/06/2017]
[6] INERIS. REACH et les nanomatériaux [en ligne], in Service national d’assistance règlementaire REACH. Disponible sur http://reach-info.ineris.fr/focus/reach-et-les-nanomat%C3%A9riaux [Consulté le 18/06/2017]
[7] Desmoulin S. La nouvelle réglementation communautaire des substances chimiques au service du développement durable: Avancées et limites du règlement REACH, 18 pages. Disponible sur http://www.cnrs.fr/inc/recherche/docs/desmoulin.pdf [Consulté le 18/06/2017]
[9] Journal officiel de l’Union Européenne (1997, 27 janvier) RÈGLEMENT (CE) N°258/97 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, 6 pages. Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31997R0258&from=FR [Consulté le 18/06/2017]
[10] Journal officiel de l’Union Européenne (2015, 25 Novembre) RÈGLEMENT (UE) 2015/2283 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 novembre 2015, 22 pages. Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32015R2283&from=FR [Consulté le 18/06/2017]
[11] Journal officiel de l’Union Européenne (2011, 18 Octobre) RECOMMANDATION DE LA COMMISSION du 18 octobre 2011 relative à la définition des nanomatériaux, 3 pages. Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32011H0696&from=FR [Consulté le 18/06/2017]
[12] Journal officiel de l’Union Européenne (2011, 25 Octobre) RÈGLEMENT (UE) N 1169/2011 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 25 octobre 2011, 46 pages. Disponible sur http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:304:0018:0063:fr:PDF [Consulté le 18/06/2017]