Conséquences sur la ville et ses citoyens

contro-pieto/ juin 1, 2017/ Non classé

Cette page vous propose de voir les conséquences sur les automobilistes et aussi sur la ville, l’urbanisme.

En fermant plus de trois kilomètres à la circulation, la piétonnisation des berges rive droite a fortement impacté la ville dans son ensemble. Les automobilistes, la ville et son urbanisme ont été les principaux touchés. Depuis cette fermeture, le temps de trajet et le parcours des automobilistes ont été modifiés et la question des alternatives à la voiture est posée. Les modes de déplacements urbains et la vision qu’ils occupent dans la ville et son urbanisme sont aussi touchés. Enfin, on peut noter une valorisation du patrimoine de la capitale.

Pour les automobilistes

Les automobilistes ont une place centrale au sein de la controverse. En effet, la fermeture des berges rive droite à Paris les impacte directement. Il est ici nécessaire de prendre en compte les automobilistes parisiens comme ceux venant d’en dehors de Paris, qui utilisaient la voie Georges Pompidou pour traverser la ville.

Deux types d’acteurs entrent donc en compte ici : les automobilistes parisiens et les automobilistes franciliens. Cette distinction est importante puisque les Franciliens n’ont parfois d’autre choix que de prendre leur voiture, tandis que les parisiens ont un accès facilité aux transports en commun. Ainsi, la piétonnisation des berges rive droite semble plus toucher les Franciliens, qui utilisaient chaque jour la voir Georges Pompidou pour traverser Paris.

La première conséquence pour ces deux types d’automobilistes est un allongement du temps de parcours. Celui-ci est particulièrement marquant lors des heures de pointe. Ainsi, le premier rapport de l’IAU[1] (Institut d’Aménagement et d’Urbanisme d’IDF) publié le 10 octobre 2016 notait qu’il fallait

« environ 3 minutes et demi de plus pour parcourir les 2,6 kilomètres entre les Tuileries et Châtelet le matin et 9 minutes le soir » en septembre 2016 par rapport à septembre 2015. 

L’augmentation du temps de trajet est donc significative. Le graphique ci-dessous, tiré du même rapport, montre bien la hausse du temps de trajet entre 2015 et 2016. Par exemple, aux alentours de 17h30, il fallait 18 minutes pour aller de la Concorde à l’Hôtel de Ville, contre un peu moins de 8 minutes un an plus tôt.

 

Cette hausse du temps de trajet est principalement due au report de circulation sur les grands axes de la capitale. La fermeture des berges rive droite a effectivement amené les automobilistes à choisir d’autres itinéraires. Les principaux axes de report sont, d’après ce même rapport, les quais hauts rive droite, le Boulevard Saint-Germain, les Grands Boulevards, le Boulevard des Invalides, le Boulevard de Sébastopol et le périphérique Sud. Néanmoins, si ces axes sont ceux privilégiés, il ne faut pas oublier que d’autres axes peuvent servir d’axes de report. L’absence de capteurs sur l’ensemble des routes de la capitale ne permet pas de tout comptabiliser. De même, il est nécessaire de prendre en compte les travaux tels que ceux de la Samaritaine, qui peuvent impacter la circulation.

Néanmoins, la Mairie de Paris indique qu’entre février 2016 et février 2017 le trafic a baissé de 25,7% aux heures de pointe du matin. Ce chiffre comprend les quais hauts et bas rive droite, ainsi que le boulevard Saint-Germain[2]. Cette baisse laisse entendre un changement des comportements et une adaptation des automobilistes. Presque un an après la fermeture officielle des berges rive droite, la Mairie de Paris voit donc les effets attendus émerger.

Si cette hausse du temps de parcours peut être assimilée à une diminution du confort des automobilistes, elle pose aussi des questions quant aux véhicules d’intervention. Ces derniers se trouvent effectivement coincés dans le trafic et ont parfois quelques minutes de retard sur les lieux d’intervention. Mais le temps perdu est parfois très important lors d’interventions urgentes ou graves. Pour pallier ce problème, la Marie a gardé la possibilité pour les véhicules d’intervention de passer par les quais bas rive droite en cas par exemple d’attaque terroriste multisite.

Cette hausse du temps de trajet a en outre des conséquences économiques pour les professionnels. Les artisans ou entrepreneurs localisés en proche banlieue renoncent à des chantiers parisiens car le temps passé en voiture représente une perte de chiffre d’affaire. Certaines entreprises ont donc vu leurs marges diminuer[3]. Le bruit de la circulation et la pollution désincitent les passants à s’arrêter en terrasse et fait baisser leur chiffre d’affaire de ces lieux.

Selon un membre LR au Conseil de Paris, cette conséquence touche de même les cafés implantés quais hauts rive droite.

Enfin, certains acteurs déplorent la non mise en place d’alternatives qui auraient pu favoriser une fluidification du trafic. Des projets d’allongement de certaines lignes de transports en commun ou le projet du Grand paris Express ne seront mis en place que dans les années à venir. Ainsi, au lieu de synchroniser ces mesures, la Mairie de Paris a d’abord fermé les berges rive droite. Cela crée donc un autre point de débat concernant la concertation des différents acteurs. L’allongement de la ligne de bus 72 et du RER E devraient, à terme, aider à diminuer la circulation dans la capitale. Mais en attendant, la saturation des lignes existantes n’incite pas les automobilistes à troquer leur voiture contre les transports en commun. Ainsi, le contre-projet soumis par le groupe LR (Les Républicains) au Conseil de Paris avait comme horizon l’année 2020. Cet horizon temporel permettait à ces alternatives d’être mises en place et aux automobilistes de s’adapter à la fermeture de la voie Georges Pompidou.

Sur la Ville et l’urbanisme

La fermeture des voies sur berge rive droite a aussi eu des conséquences sur la ville de Paris et son urbanisme. La fermeture d’axes aux voitures représente un enjeu contemporain pour diverses villes. Au-delà de s’inscrire dans une volonté environnementale, la piétonnisation permet de changer la vision de la voiture et de revaloriser le patrimoine urbain.

La fermeture des berges opère effectivement un changement de mentalité concernant la place de la voiture et des piétons au sein de la ville. La piétonnisation d’anciens axes routiers met les piétons et cyclistes au cœur de la circulation. Après une « longue domination de l’automobile »[1] vient donc le tour des modes de circulation doux. Les piétons ont donc une place désormais plus importante, contrairement aux rues où les espaces qui leur sont réservés sont parfois trop faibles par rapport à leur nombre. Par exemple, certaines rues ont des trottoirs très étroits. Les piétons sont alors défavorisés. La cohabitation entre piétons et voitures est donc parfois inéquitable. La piétonnisation d’espace ne rend pas ces situations plus équitables puisque ce sont alors les voitures qui sont défavorisées. Mais cela permet de rendre une plus grande place aux piétons dans la ville. Ce changement de mentalité s’accompagne d’une volonté environnementale : laisser une plus grande place aux piétons transmet aussi une volonté de réduire la pollution. Transparait alors une favorisation des modes de déplacements doux au détriment du véhicule polluant.

Néanmoins, cette « longue domination de l’automobile » ne correspond pas au point de vue d’un spécialiste d’histoire urbaine et d’histoire de la mobilité, pour qui « l’automobile s’est intégrée à la ville et la ville a intégré l’automobile sur un siècle ». Ainsi, la voie express Georges Pompidou se verrait attribuer un poids beaucoup plus lourd que ce à quoi elle a réellement contribué. De même, le terme de domination semble peu pertinent puisque ville et automobile se sont embrassées dans un processus commun.

« l’automobile s’est intégrée à la ville et la ville a intégré l’automobile sur un siècle »

Outre la plus grande place laissée aux modes de déplacements non polluants, la piétonnisation s’inscrit dans une volonté de reconquête des espaces. Dans une ville congestionnée et dense, la réappropriation des espaces semble être un enjeu important. Un membre du groupe LR au Conseil de Paris nous parlait du « besoin des habitants d’avoir de nouveaux espaces de respiration en permanence », qu’il fallait néanmoins doser avec d’autres facteurs. La prise d’assaut des berges rive droite dès les beaux jours montre que les Parisiens cherchent dans leur ville des lieux de respiration où leur place ne sera pas réduite face à la voiture.

« besoin des habitants d’avoir de nouveaux espaces de respiration en permanence »

Là encore, le terme de reconquête peut sembler mal venu : il s’agirait plutôt d’une évolution de la ville, de la construction d’une « toute autre ville » selon l’historien que nous avons rencontré. Ce serait donc moins une « reconquête » qu’un nouveau modèle de la ville que Paris construit ici.

Cette vision, comme l’indique l’article de Cédric Fériel, n’est cependant pas nouvelle. Selon lui, cette dernière émergea dans les années 1970 dans plusieurs pays tels que l’Allemagne ou les Etats-Unis. Pour nous recentrer sur notre sujet, nous pouvons prendre l’exemple de l’automobilisation des berges rive droite. En 1964, lorsque le projet de la voie Georges Pompidou fut présenté, les Parisiens n’y étaient pas, pour certains, favorables. Qualifiées par une jeune femme comme l’endroit où aller « lorsque l’on veut se reposer », où « on respire, on est tranquille »[2], les voies sur berges étaient déjà considérées comme un lieu paisible et respirable. Cette reprise des espaces semble donc importante pour les Parisiens, à la recherche de calme dans la ville.

Cette reconquête des berges s’inscrit aussi dans une volonté de la Mairie d’offrir un « paysage nouveau réconciliant la ville et son fleuve, dans le respect de l’inscription du site au patrimoine mondial »[3]. Les berges de la Seine sont inscrites au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1991. La réappropriation des berges s’inscrit donc aussi dans la préservation de ce lieu.

Offrir un « paysage nouveau réconciliant la ville et son fleuve, dans le respect de l’inscription du site au patrimoine mondial»

Toutefois, cette récente présence des berges de Seine dans le patrimoine de l’UNESCO montre, selon l’historien de la mobilité, à quel point la ville de Paris a « inventé le caractère touristique des quais de Seine, qui ont toujours été utilitaires ».

Outre le patrimoine mondial de l’UNESCO, la fermeture des berges rive droite impacte l’ensemble du patrimoine de la ville. Avec la diminution de la pollution attendue, les bâtiments de l’ensemble de la capitale seraient moins dégradés. En effet, la pollution dégrade les façades des bâtiments et entrainent des coûts supplémentaires pour la ville. Les coûts de nettoyage des façades seraient alors amenuisés.  Cela procurerait aussi une meilleure qualité visuelle pour les passants.

Ce dernier point nous amène à un nouvel impact pour la ville : l’attractivité. Fermer une aire à la voiture augmente l’attractivité de la ville. Cela peut être un point positif pour l’économie parisienne. Nicolas Ledoux[4], économiste et urbaniste, disait ainsi que les bâtiments et quartiers piétonnisés prennent de la valeur. Cette affirmation est confirmée par une étude scientifique menée à Hong-Kong[5]. Celle-ci montre que sur 10 ans, les bâtiments situées dans une rue entièrement piétonnisée ont vu leur valeur croitre de 80%, contre 56 sur une rue partiellement piétonnisée. La piétonnisation rive droite permettrait donc d’augmenter la valeur de ce lieu, notamment des bâtiments alentours.

Cette augmentation de la valeur immobilière amènerait cependant à de plus fortes discriminations au sein de la ville : l’hypercentre deviendrait encore plus discriminatoire pour l’accès au logement, ce qui diminuerait une fois de plus la mixité sociale au sein de la capitale.

La piétonnisation rend la ville attractive aussi par le dynamisme qu’elle apporte. Depuis la fermeture des berges rive droite, des aménagements ont été faits. Le 2 avril 2017 a été inauguré le parc «Rives de Seine » par Anne Hidalgo. Ce parc offre de multiples activités pour tous les âges. Les plus jeunes peuvent jouer sur des aires de jeux qui leur sont dédiés ; tandis que les autres peuvent se balader à vélo, faire du sport grâce aux équipements ou bien se détendre en buvant un verre. D’autres animations peuvent encore être mises en place comme des food trucks ou des stands éphémères. La piétonnisation des voies sur berges donne donc à la ville un nouvel élan. Les piétons et cyclistes peuvent alors profiter d’un nouveau terrain et d’aménagements tout en rendant l’espace dynamique, de par la fréquentation et les activités proposées.

Ce type d’infrastructures peut en revanche poser certains problèmes : ce sont les parisiens qui, au travers de leurs impôts, paieront pour ce genre d’infrastructures, ainsi que pour les aménagements de transports en commun. La piétonnisation des berges rive droite, en plus d’augmenter la valeur immobilière comme nous l’avons vu, peut aussi augmenter le coût social de la vie à Paris et intensifier le manque de mixité sociale dans l’ensemble de la ville.

[1] FERIEL, C. (2013), « Le piéton, la voiture et la ville. De l’opposition à la cohabitation », Métropolitiques. [En ligne]. [Consulté le 20 mars 2017]

[2] Franceinfo. L’opposition à la circulation des voitures sur les voies de berges – franceinfo: [2’22’’] [Vidéo en ligne]. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=agfSom7Q3u8. [Consulté le 5 avril 2017]

[3] Conseil de Paris (2016), Conseil Municipal, Extrait du registre des délibérations, séances des 26, 27 et 28 septembre 2016, Paris, 14p. Consulté le 12 avril 2017. Disponible sur : http://a06.apps.paris.fr/…/plugins/solr/modules/ods/DoDownl…

[4] BLIN S., « Piétonnisation des berges de Paris : et maintenant ? », Libération, publié le 2 octobre 2016

[5] YIM YIU, C. (2011), « The impact of a pedestrianisation scheme on retail rent: An empirical test in Hong Kong », Journal of Place Management and Development, vol. 4, n°3, pp. 231-242. [Consulté le 15 mars 2017]