Concertation des différents acteurs
Avant toute chose, il parait nécessaire de préciser ce qu’entendent les acteurs par le mot concertation. En effet, ce travail de définition est indispensable car il met en exergue la manière dont chaque acteur concerné caractérise la réalité.
D’après le dictionnaire Larousse, le mot concertation signifie : « Pratique qui consiste à faire précéder une décision d’une consultation des parties concernées. » tandis que le mot consultation est défini comme l’« action de consulter quelqu’un, de lui demander son avis. ». Or nous allons voir que cette définition des mots concertation et consultation n’est pas unanimement partagée par les acteurs de la controverse.
Les Républicains commencent par dénoncer le manque de concertation en affirmant que le projet de piétonnisation a été mené à la hâte. Ils en concluent donc qu’il n’a pas été élaboré en concertation avec tous les acteurs qui sont impactés de près ou de loin par ce projet. C’est notamment pourquoi Nathalie Kosciusko-Morizet affirme qu’il a été mené « sans concertation et dans le mépris des élus et des habitants de banlieue »(1).
« sans concertation et dans le mépris des élus et des habitants de banlieue »[1]
Un membre LR au Conseil de Paris, nous a également confié, lors de l’entretien que nous avons effectué avec lui, que ce projet a été mené de manière précipitée, « sans étude d’impact qui [leur] semblait suffisamment solide » [2] . Il regrette également qu’aucun débat n’ait été organisé au terme de la période d’expérimentation de 6 mois qui a pris fin le 18 avril 2017. Il soutient en effet qu’un débat aurait dû avoir lieu afin de discuter « sereinement des impacts, du bruit, de la pollution, de la circulation etc. ». Il indique également que Les Républicains membres du Conseil de Paris ont demandé qu’un débat ait lieu mais que cela leur a été refusé pour le moment.
Comme le montrent les propos tenus par le membre LR au Conseil de Paris, Les Républicains soulignent en permanence leur attachement à la concertation, notamment à travers leur contre-projet et leurs recours devant le tribunal administratif. Ce membre LR explique en effet qu’ils ont bâti un contre-projet qu’ils ont tenté de soumettre au débat public en intéressant la presse. Toutefois, leur tentative n’a pas été concluante car, en tant que groupe d’opposition, il est très difficile « de faire exister ce contre-projet ».
Il est très difficile « de faire exister ce contre-projet »
Il considère également que la bataille juridique qui a opposé la Mairie de Paris et l’opposition visait principalement à se demander si la maire de Paris pouvait décider seule de fermer un axe qui intéresse l’ensemble de la métropole et non seulement Paris. Il estime que même si le juge n’a pas approuvé leur argumentaire, cela a été un moyen comme un autre pour que la presse s’intéresse au contre-projet.
Par ailleurs, la preuve ultime de ce manque de concertation réside, d’après les Républicains, dans la non prise en compte par Anne Hidalgo de l’avis défavorable rendu par la commission d’enquête le 22 août 2016.
Enfin, ils invoquent également que l’avis des maires de banlieue n’a pas été pris en compte alors même que le report de la circulation dans la capitale aura des conséquences sur le trafic automobile en banlieue, et cela sûrement au-delà des prévisions de la Mairie de Paris.
Ce sont d’ailleurs les maires de la banlieue parisienne qui ont souligné ce manque de concertation. Ces derniers, comme différentes associations , ont demandé que les décisions concernant ce projet soient prises avec la région. En effet, si l’on prend en compte les impacts sur le trafic routier, toute la région Ile-de-France est concernée et non plus seulement les quelques arrondissements qui subissent ou profitent de la piétonnisation en première instance.
Le membre LR au Conseil de Paris pointe lui aussi ce manque de concertation des habitants de la couronne. Il estime que ces derniers ont été très peu informés du projet et n’ont donc pas pu se saisir du sujet, d’autant plus qu’ils « n’avaient même pas les moyens de s’exprimer » en raison de la superficialité des débats publics. Il qualifie ces débats publics de superficiels en ce qu’ils font intervenir toujours les mêmes professionnels de la consultation publique et ne donnent pas la parole aux parisiens et aux habitants de la banlieue parisienne.
Ainsi, nous pouvons en déduire que les élus Républicains et les maires de banlieue affirment que le projet n’a pas été le fruit d’une concertation puisqu’ils n’ont pas été impliqués dans le processus de décision. Ce n’est pas donc tant le fait de ne pas avoir été consultés qu’ils critiquent mais bien le fait que leur avis n’ait pas été pris en compte.
Il s’avère que la mairie de Paris a une vision différente de la notion de concertation. En effet, la Mairie de Paris, notamment Christophe Nadjovski, conteste le manque de concertation en soulignant que la mesure a été présentée aux maires de la métropole en septembre 2015 et qu’une réunion métropolitaine a eu lieu en juillet 2016. Il considère donc que les élus républicains et les mairies de banlieue font preuve de mauvaise foi, d’autant plus qu’un seul maire est venu lors de la réunion de présentation.
Le mot concertation recouvre donc pour la mairie de Paris des réunions formelles de présentation du projet dont les avis des personnes consultées n’influent pas sur le projet[3]. Par conséquent, la Mairie de Paris réfute l’absence de concertation puisqu’elle estime qu’elle a consulté les acteurs politiques en leur présentant le projet.
De plus, Christophe Nadjovski considère qu’il est impossible de reprocher à la Mairie de Paris d’avoir mené ce projet à la hâte et sans concertation : « La piétonnisation est un engagement de la maire de Paris aux Municipales de 2014, personne n’a donc été pris par surprise, ce projet est connu depuis très longtemps. ».
« La piétonnisation est un engagement de la maire de Paris aux Municipales de 2014, personne n’a donc été pris par surprise, ce projet est connu depuis très longtemps. »
Pour la Mairie de Paris, les élections municipales ont donc bien donné lieu à une concertation avec les citoyens, contrairement à ce que dénoncent Les Républicains.
Le membre LR au Conseil de Paris réfute toutefois cet argument en soulignant qu’une élection municipale n’est pas un référendum sur un projet, d’autant plus que les gens ne votent pas pour la totalité d’un programme. Il précise d’ailleurs que celui de la Maire de Paris était « assez flou sur ce projet » et ne prévoyait pas du tout une fermeture de la berge rive droite mais seulement « une reconquête des sites ». Il ajoute que le caractère flou du projet n’a pas permis aux parisiens d’être suffisamment informés sur ce dernier et donc de se prononcer en faveur ou contre ce projet. Enfin, il remarque que les personnes n’habitant pas dans Paris ne pouvaient prendre part à ce débat lors des municipales, débat qui n’a d’ailleurs « pas vraiment été au cœur des sujets des municipales. ».
Débat qui n’a d’ailleurs « pas vraiment été au cœur des sujets des municipales. »
Ce manque de consultation et de participation des citoyens est contesté par la Mairie de Paris qui a mis en place des réunions citoyennes et des enquêtes pour recueillir l’avis des locaux sur ce projet. La mairie de Paris considérait en effet qu’une concertation citoyenne était indispensable pour répondre aux besoins et aux demandes des citoyens mais aussi pour avoir un avis au plus proche de la situation.
Nous pouvons donc observer que la mairie de Paris répond aux attaques des Républicains et des maires de banlieue en expliquant que des concertations ont eu lieu, en ce sens que la mesure a été présentée aux Maires de la métropole, qu’une réunion a été organisée, que les citoyens ont été consultés, et que ce dossier relève de la seule compétence de la ville de Paris.
Enfin, Anne Hidalgo estime que l’avis défavorable rendu par la commission d’enquête est purement consultatif. Elle ne perçoit donc pas le fait de ne pas le prendre en compte dans le processus de décision comme un indice d’un manque de concertation. Notons que la commission d’enquête a elle-même nuancé son avis défavorable à la page 80 du rapport[4] d’enquête publique puisqu’elle estime « ne pas être à ce jour à même de se prononcer valablement sur l’intérêt public du projet (…) ». Il est toutefois intéressant de remarquer que l’opposition fait fi de cette nuance et insiste sur le fait que la non-prise en compte de l’avis défavorable de la commission d’enquête par la maire de Paris reflète le manque de concertation sur le projet de piétonnisation.
C’est donc bien une définition différente du mot « concertation » qui est à l’origine de la confrontation des élus de droite, des maires de banlieue et de la Mairie de Paris sur l’absence ou non de concertation sur le projet de piétonnisation. En effet, Anne Hidalgo et la Mairie de Paris estiment que la concertation signifie seulement présenter le projet ou demander l’avis des autres acteurs politiques sur celui-ci mais n’implique pas de le prendre en compte dans le processus de décision. A l’inverse, les élus Républicains perçoivent la concertation comme le fait de prendre en compte les avis qu’ils émettent sur ce projet et donc de voir ce dernier évoluer en fonction de leurs avis.
[1] CNEWS, Le Conseil de Paris approuve la piétonnisation des berges de Seine rive droite. [Vidéo en ligne]. [1’23’’]. Disponible sur : https://youtu.be/xSbopSFQ5gY [Consulté le 22/05/2017]
[2]Entretien réalisé avec un membre Les Républicains du Conseil de Paris, 15 mai 2017.
[3]GAIRAUD M-A, « Anne Hidalgo-Valérie Pécresse : la guerre froide », Aujourd’hui en France Paris, publié le 24 octobre 2016.
[4] Mairie de Paris (2016), Rapport d’enquête – Enquête publique – projet d’aménagement des berges de seine rive droite a paris – du mercredi 8 juin 2016 au vendredi 8 juillet 2016 inclus, Paris, 104 p.