La décroissance, un horizon inéluctable ?
La décroissance, un horizon inéluctable ?
Chronologie de la partie :
La critique du capitalisme par les décroissants
Les décroissants servent-ils les intérêts d’un Nord jaloux de ses privilèges ? Les tenants de la croissance sont-ils aliénés par un ethnocentrisme aveuglant qui les poussent vers toujours plus de développement ? L’idée de croissance économique doit-elle et peut-elle être universelle ?
Le point de vue des économistes du développement
Pour Sylvie BRUNEL et Claude ALLEGRE, décroissance et développement durable ont un côté égoïste de la part des pays développés. Pour Claude Allègre, il n’est pas question d’empêcher les Indiens ou les Chinois de se développer, en imposant des critères écologiques, qu’ils ne sont pas en mesure de respecter. Il serait même immoral d’appeler au boycott des produits chinois, supposés trop polluants.[1]
Pour Sylvie BRUNEL, le développement durable et la décroissance sont des instruments d’oppression des pays riches sur les pays pauvres : « Aujourd’hui, le développement durable tel qu’il est promu est une machine à exclure les pauvres […] au nom de la nature, au nom de l’avenir de la planète, on sacrifie une partie de l’humanité » [2]. Les classes bourgeoises des pays développés, feignant de protéger l'environnement, souhaiteraient en fait empêcher les pays dits « sous-développés » d'emprunter le même chemin économique que les pays occidentaux. Sylvie BRUNEL en veux pour preuve que les mouvements de développement durable et de décroissance sont nés dans l'affolement des années 1970 face à la montée de la population du Tiers Monde.
Les mêmes arguments pour une thèse inverse…
Pour les objecteurs de croissance, qui rejette toutes ces accusations, c’est l’idée même de croissance qui est imposée par les pays développés qui s’en servent, peut-être inconsciemment, pour satisfaire leurs penchants ethnocentristes, et imposer au reste du monde leur modèle de société :
Gilbert RIST, professeur à l’Institut des Hautes Etudes Internationales et du Développement de Genève, voit dans le point IV du discours de Truman du 20 janvier 1949, dans lequel il présentait les grandes lignes de la politique extérieure américaine, la naissance de l’idéal de croissance comme bien universellement enviable par l’humanité [3]. C’est à cette occasion que Truman déclara qu’il fallait « lancer un nouveau programme qui soit audacieux et qui mette les avantages de notre avance scientifique et de notre progrès industriel au service de l'amélioration et de la croissance des régions sous-développées. Plus de la moitié des gens de ce monde vivent dans des conditions voisines de la misère. Leur nourriture est insatisfaisante. Ils sont victimes de maladies. Leur vie économique est primitive et stationnaire. Leur pauvreté constitue un handicap et une menace, tant pour eux que pour les régions les plus prospères. Pour la première fois de l'histoire, l'humanité détient les connaissances techniques et pratiques susceptibles de soulager la souffrance de ces gens. » Après le choc de la seconde guerre mondiale, née dans la souffrance et la pauvreté du peuple allemand d’après la première guerre mondiale, la communauté internationale, menée par les Etats-Unis, a pour la première fois, tourner les yeux vers les pays pauvres.
C’est ce qui permet à Serge LATOUCHE, théoricien de la décroissance, d’affirmer que le développement économique est imaginé à l’aune des théories occidentales. Il n’y a pas même de mot capable de traduire une telle idée dans les langues des cultures animistes. En fait, Serge Latouche se réclame d’une conception de la culture proche du Volksgeist, c’est-à-dire de la culture d’un peuple, déterminée par des coutumes et une histoire particulière. Dans sa conception, il revendique, contre l’universalisme affiché du modèle de croissance, des formes différentes de développement plus proche des coutumes des peuples locaux, et fustige la dictature de la croissance, imposée par des institutions largement dirigées par les pays riches, comme le FMI. « Ces valeurs occidentales sont précisément celles qu’il faut remettre en question pour trouver une solution aux problèmes du monde contemporain et éviter les catastrophes vers lesquelles l’économie mondiale nous entraîne. » [4]
De façon plus pragmatique, Serge LATOUCHE affirme que la planète ne pourrait supporter que le monde entier vive au rythme américain : « Théoriquement reproductible, le développement n’est pas universalisable. D’abord pour des raisons écologiques : la finitude de la planète rendrait la généralisation du mode de vie américain impossible et explosif. »[4]
C’est ce qui attise les critiques d’ethnocentrisme, voire même de racisme à son égard : pour Sylvie BRUNEL, il est scandaleux de refuser le confort dont peut jouir le monde développé au reste de l’humanité, et cela relève presque d’un sentiment néocolonial d’un peuple européen qui ne supporterait plus de ne pas conserver son avance sur le monde anciennement colonisé.
Pour J-M HARRIBEY, économiste et penseur proche des décroissants, le principal défaut des dirigeants des pays du Nord comme du Sud, est de n’avoir pas su dissocier croissance économique, qu’il compare à une drogue, et développement humain, et de vouloir appliquer sans plus de réflexions, des recettes universelles à des cas particuliers. Mais, s’il déplore « L’incapacité à penser l’avenir en dehors du paradigme de la croissance économique permanente »[5], il s’offusque devant la position de certains objecteurs de croissance et récuse « l’idée que l’extrême pauvreté renvoie à une simple projection des valeurs occidentales ou à un pur imaginaire. »8 S’il rejoint Serge LATOUCHE sur l’idée que la croissance est colportée par les pays développés et érigée en seule solution à la pauvreté dans le monde, il déplore le manque de clarté de ce dernier : « Subsiste une terrible ambiguïté : les populations pauvres peuvent-elles accroître leur production ou bien les sociétés de « non-croissance » doivent-elles rester pauvres ? « [5]
[1] ALLEGRE C, « Réussir la croissance verte », octobre 2009, conférence pour le site www.nonaladecroissance.com
http://www.nonaladecroissance.com/en-video/article/claude-allegre-reussir-la
[2] BRUNEL S. (2009), « A qui profite le développement », entretien avec Agoravox.
http://www.dailymotion.com/video/x5tt1o_sylvie-brunel-a-qui-profite-le-deve_news
[3] Discours du 20 janvier 1949 de Truman, cité dans « l’Invention du développement » de Gilbert Rist.
[4] Serge LATOUCHE, Le Monde Diplomatique, mai 2001, « En finir une fois pour toute avec le développement » http://www.monde-diplomatique.fr/2001/05/LATOUCHE/15204
[5] J-M HARRIBEY, le Monde Diplomatique, juillet 2004, « Développement ne rime pas forcément avec croissance. »
http://www.monde-diplomatique.fr/2004/07/HARRIBEY/11307#nh21
La croissance économique au secours des pays pauvres ?
LA CONTROVERSE
• La croissance économique au secours de la croissance démographique
• Qui de la croissance ou de la décroissance est au service de l’éthnocentrisme européen
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