Nous le savons, seul un nombre relativement restreint d’études ont été réalisées concernant le démantèlement des barrages et ses conséquences, notamment car c’est une question nouvelle qui vient entretenir le débat sur l’écologie et l’environnement. On voit globalement apparaître cette problématique dans les centres de recherches à partir des années 2000, alors qu’elle était auparavant un sujet très peu discuté, comme on peut l’observer dans le graphique, représentant les publications concernant ce sujet par année.
L’impact environnemental du relâchement des sédiments dans les cours d’eau est donc relativement difficile à évaluer. La difficulté majeure réside dans le fait que, contrairement à d’autres constructions ou technologies, chaque barrage possède ses caractéristiques propres et sa configuration unique, et en ce sens, il est extrêmement difficile d’ériger les résultats expérimentaux et empiriques concernant un barrage particulier en généralité applicable à n’importe quel autre. Il est alors seulement possible de supposer des résultats, d’affirmer que telle ou telle conséquence est probable car les configurations environnementales sont proches. Par ailleurs, très peu d’étude concernant ce sujet ont été réalisées en France, et la majorité des chercheurs s’y intéressant se trouvent actuellement aux Etats-Unis, malgré le caractère général de certains sujets d’études. Il est donc nécessaire de prendre en compte cet élément, et de replacer dans son contexte chacune des études qui ont été réalisées. Cet avertissement sert simplement à mettre en garde contre des conclusions trop hâtives, faisant pencher la balance d’un côté ou de l’autre, en faveur ou contre le démantèlement des barrages de la Sélune. C’est dans cet esprit que les résultats suivants vous sont présentés.
Les cas d’étude les plus simples sont probablement les petits barrages, puisque les coûts d’installation mais aussi de démantèlement sont moins importants, et qu’ils sont ainsi plus modulables, rendant leurs études plus courantes. Un article scientifique (Source : W. DOYLE Martin, H. STANLEY Emily, H. ORR Cailin, al. Stream ecosystem response to small dam removal: Lessons from the Heartland. Geomorphology, 2005, Volume 71, Issues 1-2, pp 227-244. ISSN: 0169-555X) synthétise toute une série d’article réalisées suite au démantèlement de petits barrages, examinant notamment dans quelle mesure sont affectés les végétaux, poissons, micro-organismes, ou encore la dynamique des sédiments. Comme nous les savions, les résultats sont extrêmement variables en fonction des barrages. Les rythmes de récupérations vont dépendent des espèces, et peuvent aller de quelques mois à plusieurs décennies. Les sédiments affectent très différemment les écosystèmes en fonction d’un nombre incalculable de paramètres. Ces écarts sont très variables et dépendent principalement de deux points : La sensibilité des organismes particuliers, mais également les caractéristiques de démolition du barrage. On peut toutefois noter grâce à cette étude que deux parcours principaux se dégagent pour les démantèlements de barrages :
- Les écosystèmes peuvent, bien que cela soit rare, retrouver leur configuration initiale, précédent la construction du barrage. Lorsque cela est vérifié, les délais sont généralement très longs, car les sédiments sont arrachés et emportés par l’eau durant de nombreuses années, polluant ainsi la rivière en continu, détruisant poissons et tout organisme qui pourrait tenter d’y vivre. Les durées d’écoulement de ces sédiments étant importantes, un retour dans la configuration initiale est très peu probable.
- Les écosystèmes ne retrouvent pas leur configuration initiale. Les dommages causés par les barrages à long terme sont irréversibles pour l’environnement. De nombreuses espèces n’arrivent pas à s’implanter de nouveau, car les sédiments se déposent dans des frayères, dans lesquelles les poissons pondent leurs œufs.
L’impact des sédiments est alors un facteur imprévisible. Il faut faire une étude longue et couteuse sur chaque cas d’étude, et les résultats ne se présentent que sous forme de « probabilité ». On peut généralement envisager un scénario plus probable que les autres, en fonction du degré de pollution, de la quantité de sédiments déposés etc. Bien que difficiles à calculer, ces paramètres peuvent se déduire de l’industrie présente en amont, des exploitations agricoles ou de tout autre cause d’une éventuelle pollution des eaux.
Certaines études se focalisent sur un aspect particulier de la régénération de l’environnement. Une espèce de poisson peut être renseignée comme étant le signe d’un flux sain de l’eau dans la rivière. Dès lors, ces études considèrent l’écosystème comme restauré dès que ladite espèce est elle-même réimplantée. Les auteurs de cette étude critique cette conception, et lui préfèrent une étude plus poussée, considérant que la restauration de l’écosystème tout entier est un objectif plus souhaitable.
D’autres articles tentent de traiter d’un cadre plus général du démantèlement du barrage, que l’on pourrait notamment appliquer aux barrages de la Sélune pour tenter de déterminer les conséquences du relâchement des sédiments dans la Sélune. C’est notamment le cas de l’article que je vais vous présenter, qui, de manière très sérieuse, tire des conclusions relativement intéressante à propos de l’arasement des barrages (source : BUSHAW-NEWTON Karen L., HART David D., PIZZUTO. James E., al. An integrative Approach Towards Understanding Ecological Responses To Dam Removal: The Manatawny Creek Study. JAWRA Journal of the American Water Resources Association, 2002, Volume 38, Issue 6,pp 1581–1599. ISSN: 1093-474X). Cet article permet d’appliquer une méthode rigoureuse à chaque barrage, afin d’estimer les risques liés aux sédiments lors de son démantèlement. Voici ce qu’il préconise :
Si vous pensez démanteler le barrage
- Connaitre l’histoire du bassin versant et le but du barrage (par exemple l’industrie lourde ou électrique, présence d’une scierie, etc.). Ce sera utile pour évaluer la probabilité que les contaminants soient présents dans les sédiments du bassin de retenue. Cela permettra également de répondre à toutes les préoccupations sociales ou historiques que les citoyens peuvent avoir.
- Connaitre l’utilisation actuelle du bassin versant (par exemple urbaine / suburbaine, industrielle ou agricole). Cela aidera également à évaluer la probabilité que les contaminants soient présents dans le bassin de retenue.
- Faire l’inventaire des autres facteurs de stress potentiels sur l’écosystème (par exemple, les sources de pollution, le développement urbain, d’autres barrages, etc.).
- Noter l’état du barrage. Y a-t-il un risque que des polluants supplémentaires se déversent lors de l’arasement de celui-ci?
- Faire des observations préliminaires sur l’état du cours d’eau. Voici quelques exemples de questions auquel il faut répondre: y a-t-il une accumulation excessive d’algues dans le bassin de retenue (étang) ou dans les régions en aval du barrage? Les oies restent-elles dans la zone ? Dans quel état sont les rives de la rivière ? Ces questions permettent d’évaluer la pollution actuelle due aux sédiments accumulés, tout en observant la capacité de l’écosystème à s’y adapter.
- Organiser des réunions avec toutes les parties prenantes. La communication avec toutes les parties intéressées aidera à prévenir tout malentendu.
- Envisager l’enlèvement du barrage dans le cadre d’un plan de gestion des bassins hydrographiques. Comment l’enlèvement du barrage peut-il potentiellement affecter le reste du bassin versant? Il faudra nécessairement prévoir un plan de traitement des sédiments, mais il faut savoir quelle importance aura ce plan.
- Bien décider si l’enlèvement du barrage est la meilleure option compte tenu des évaluations ci-dessus. Dans certains cas, l’enlèvement du barrage n’est peut-être pas la meilleure option pour restaurer le cours d’eau. Par exemple, si l’eau en amont du barrage contient des sédiments gravement contaminés, alors l’enlèvement du barrage pourrait causer d’énormes impacts sur l’environnement en raison du transport en aval de ces contaminants. Chaque enlèvement de barrage doit être évalué sur une base individuelle.
Si vous décidez de démanteler le barrage
• Noter tous les problèmes d’infrastructure potentiels (par exemple, des ponts, des chaussées, des tuyaux, murs de soutènement) et aviser les autorités appropriées (par exemple, chemin de fer, entreprises, l’État, les services publics).
• Élaborer un programme de surveillance pour détecter les changements écologiques importants associés à l’enlèvement du barrage. Planifier un programme qui débutera avant l’enlèvement et qui continuera après. En menant un programme de surveillance, vous aurez un dossier des changements qui ont lieu après l’enlèvement du barrage. Il vous donnera également une indication de la vitesse à laquelle ces changements ont eu lieu. Pour les espèces de poissons, les changements peuvent être rapides, mais pour d’autres paramètres écologiques tels que la formation d’un canal ou de la végétation riveraine, les changements peuvent se produire très lentement (années ou décennies). Certaines suggestions sont fournies ci-dessous, bien que chaque programme doive être adapté au bassin spécifique et au budget.
- Premièrement, faire des comparaisons en amont et en aval (sites choisis en écoulement libre et biefs aménagés).
- Deuxièmement, regarder les différents éléments suivants des écosystèmes :
(A) Analyses physique et taille de grains de sédiments, température, contrôle des canaux (transversaux et longitudinaux)
(B) Analyse des produits chimiques constitutifs des éléments nutritifs (nitrates, chlorophylle etc.)
(C) Analyse biologique des algues, des moules, des macros invertébrés, des poissons (des espèces migratrices sont-elles présentes, et si oui, à quel moment se produit la migration ? Ces espèces sont-elles menacées ?)
• Mettre en place des stations de photos (de marqueurs faits avec des petits points de peinture de marquage professionnel) dans le bassin de retenue et en aval afin de documenter les variations temporelles. Il s’agit d’un moyen peu coûteux de suivre quelques-uns des changements physiques et biologiques qui se produisent après l’enlèvement.
• En ce qui concerne les contaminants sédimentaires, être en mesure de répondre aux questions suivantes:
(A) Quels contaminants peuvent éventuellement se retrouver dans les sédiments, connaissant l’historique industriel de la région et son exploitation actuelle ?
(B) Les concentrations de contaminants dans le bassin sont-elles élevées de l’amont par rapport à l’aval?
(C) Y a-t-il des quantités importantes de sédiments à grains fins dans le bassin qui seront libérés lors de l’enlèvement du barrage, transportant ainsi des contaminants dans les zones en aval?
• Organiser des réunions avec les intervenants afin de s’assurer que tout le monde comprend ce qui va se passer pendant et après le déménagement.
• Bien décider si l’enlèvement du barrage est toujours la meilleure option, compte tenu des résultats des évaluations ci-dessus.
Après effacement du barrage
• Continuer de tenir au courant les parties prenantes sur le processus de démantèlement du barrage et sur les échéanciers.
• Poursuivre les efforts de surveillance écologique. A noter également l’état des berges. S’assurer que les plantes commencent à repousser sur les berges, et contrôler par ailleurs les dépôts de sédiments qui pourraient gêner.
Tous les résultats recueillis pourront évidemment servir lors de démantèlements futurs, et ils constitueront une base de données précieuse pour des chercheurs et scientifiques ayant besoin d’information sur le sujet.