La pollution des cours d’eau lors du démantèlement des barrages constitue un nœud majeur de la controverse entourant la déconstruction des barrages de la Sélune. Cette question est relativement pénible dans le sens où très peu d’exemples de démantèlements en France permettent de connaître et d’évaluer les conséquences exactes d’un tel acte sur les cours d’eau. Les différents acteurs de la controverse s’opposent sur cette question, et ce sont les différents points de vue que nous allons vous présenter dans cette section.
Beaucoup d’acteurs de cette controverse parlent de sédiments, et de la pollution environnementale liée à leur rejet dans les rivières et les fleuves. Les Amis du Barrages, une association s’opposant activement à l’effacement des barrages de Vézins, nous a affirmé lors d’un entretien téléphonique être très inquiets à propos des conséquences du relâchement dans la nature de ces sédiments, qui se sont accumulés à cause de l’édifice depuis sa construction. Cette inquiétude vient notamment de la pollution de la baie du mont St. Michel en 1993, lors de la vidange de ces barrages, qui reste encore aujourd’hui dans les mémoires de tous les acteurs locaux vivant autour de la Sélune. La quantité de sédiments relâchée était bien plus faible que celle qui le serait dans le cas de l’arasement du barrage aujourd’hui, et les conséquences pourraient alors s’avérer dramatiques pour l’environnement. Une très forte pollution ponctuelle aurait lieu, causé par un rejet brutal de grandes quantités de sédiments pollués. Mais, tout comme en 1993, il pourrait y avoir une pollution à long terme, résiduelle, qui « se transportera au fur et à mesure des crues vers l’aval ».
Le point de vue et les arguments développés par les Amis du Barrages proviennent donc d’une forte crainte de pollution, qui détruirait l’écosystème en place pour de nombreuses années.
Hydrowatt, qui est actuellement un acteur majeur des énergies renouvelables, en construisant notamment des barrages, nous affirme lors d’un entretien à ce sujet : «Les sédiments risquent de se déposer sur les frayères, où les poissons pondent leurs œufs. Par ailleurs, les centrales en aval risquent de récupérer beaucoup de sédiments, détériorant les turbines. On ne peut pas savoir exactement, chaque cours d’eau est différent. C’est donc très difficile à modéliser. Beaucoup d’études sont à faire : économique, écologique, technique, sociale… Elles prennent plusieurs années, mais je ne peux pas vous dire exactement combien car Hydrowatt n’a aucune expérience dans ce domaine ». Le constructeur reconnait lui-même que la pollution est un problème majeur, mais inévitable causé par le piège à sédiment que constitue le barrage. Alors que le démantèlement des barrages poursuit un but de restauration de la nature, favorisant le retour des poissons, comme le saumon, mais également de micro-organismes vivants, le paradoxe veut que la pollution engendrée par la déconstruction des édifices risque de réduire la population vivant dans la Sélune.
Hydrowatt affirme également avoir des craintes quant au démantèlement du barrage. Un paradoxe, quand on sait que le démantèlement du barrage a pour objectif une restauration de l’environnement, alors qu’il risque de causer des problèmes majeurs pour la faune et la flore environnante, et ce durant des décennies. En ce sens, on commence à découvrir l’essence même de la controverse, et des tensions entourant ces barrages.
Il est intéressant de comparer à ces points de vue celui des Amis de la Sélune, association militant en faveur de l’arasement des barrages de Vézins. Les sédiments sont perçus d’une manière totalement différente, non plus comme un problème dans le démantèlement des barrages, mais au contraire comme un retour à la normale, étant donné que la sédimentation normale du cours d’eau a été modifiée par la mise en place de l’édifice. Un exemple français montre que le transit sédimentaire a permis de restaurer le lit de la rivière sur plusieurs kilomètres à l’aval, à raison de 2km/an. Toutefois, conscients de la dangerosité et de la nocivité des sédiments stockés et retenus par le barrage, les Amis de la Sélune souhaitent les traiter avant relâchement, dans des conditions de continuité écologique permettant une restauration de la nature environnante. L’association milite par ailleurs en faveur du démantèlement à cause de la pollution devenue trop importante de l’eau mise en réserve dans les bassins du barrage. En effet, des métaux se sont accumulés, mais également des nitrates et des phosphates, pouvant causer la libération de toxines en réagissant avec des matières organiques. La gestion des sédiments s’avère alors être un objectif majeur dans le projet d’arasement du barrage, à tel point que l’association nous présente le démantèlement comme exemplaire, suite à un engagement fort de l’administration ainsi que des services d’Etat. Citant des exemples expérimentaux à l’étranger et en France, les Amis de la Sélune se défendent de pouvoir ériger cette déconstruction en exemple national, ouvrant la voie à d’autres actions similaires dans l’avenir.
La controverse tient ici sur un manque d’exemples, de références et d’études réalisées sur le sujet. Si les Amis de la Sélune, conscients du risque, affirment pouvoir contrôler et réduire les fuites de polluants dans la rivière, les Amis du Barrage considèrent qu’il n’est pas possible d’estimer le risque, et que ces sédiments relâchés seraient dévastateurs pour l’ensemble de l’écosystème.
A cette preuve par l’exemple, par l’expérimentation, les Amis du Barrage, défenseurs de l’édifice, répondaient lors de l’entretien téléphonique que l’Etat n’avait aucun moyen de savoir comment cette opération allait se passer, et qu’ils allaient devenir les cibles du expérimentation hasardeuse et aléatoire, dont personne ne savait mesurer les risques à l’heure actuelle.