Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Entretien avec Jean-Michel Frodon

1) Compte-rendu

1. Généralités sur le cinéma….

  • Le cinéma est une activité qui a besoin de beaucoup d’argent pour fonctionner
  • Le cinéma est multidimensionnel : il touche aussi bien au loisir, à la culture, à la technologie, à l’esthétique, à l’économie.
  • L’économie du cinéma doit donc être appréhendée par rapport à ces dimensions et jamais de manière isolée peuvent le faire certains économistes
  • Prospérité d’ensemble du cinéma français mais des inégalités qui tendant à s’accroître.

2. … français en particulier

  • Le cinéma français va toujours beaucoup mieux qu’à l’étranger
  • Le cinéma français est basé sur la mise en relations de trois types de rapport : le rapport économico-professionnel, le rapport administratif et politique, enfin le rapport culturel (festival, presse…)

 3. Concernant le CNC

  • Le CNC joue un rôle très important dans le système de financement du cinéma.
  • Mais attention il ne s’agit pas d’un mécanisme qui distribue l’argent de l’État mais qui organise les circulations d’argent au sein du monde du cinéma
  • Il existe 4 sources principales d’apport d’argent au cinéma:

1° Les tickets de cinéma. Cela correspond à la taxe spéciale additionnelle : 11% du prix du ticket est réservé à un fond

2° Les obligations des chaînes de télévisio

3° Les éditeurs vidéo

4° Les fournisseurs d’accès à internet

  • Il existe deux mécanismes de redistribution de l’argent du CNC :

1° Le soutien automatique : soutien généré par la propre activité du film mais qu’il faut réinvestir obligatoirement dans un autre film

2° Le soutien sélectif : commissions professionnelles qui décident à quelle proportion de subvention le film a le droit (ou pas). La commission la plus importante est celle de l’avance sur recettes. Il s’agit d’un système imparfait car pas à il y a une part d’arbitraire. Pour éviter cela, cette commission change tous les ans.

5. Au sujet de l’impact de la télévision sur le cinéma

  • À l’arrivée de la télévision, le cinéma a perdu une grande partie de son public. La France a su trouver une réponse efficace par le biais d’une régulation qui n’autorisait pas les télévisions à diffuser les films quand elle le souhaitait et en obligeant les chaînes TV à passer à participer au financement des films.
  • Les chaînes de télévision sont des acteurs très important dans l’économie du cinéma.
  • Il y a aujourd’hui de moins en moins d’émissions consacrées au cinéma à la télévision

6. Au sujet du salaire des acteurs

  • L’impact de la tribune de Maraval malgré les apparences a été minime malgré l’agitation médiatique que cela a causé.
  • Maraval a pointé du doigt les cachets mirobolants de certains acteurs mais qui ne sont en réalité qu’un groupe à part. Les mesures prises en conséquence n’auront donc pas d’impact
  • Le réel problème à traiter était plutôt la transparence des comptes du cinéma, mais l’ensemble de la profession s’oppose aux projets de réformes à ce sujet.

7. Concernant le rapport Bonnell

  • Le rapport Bonnell sépare l’économie du reste et donc ne prend quasiment pas en compte la singularité des films et fait comme si ils étaient tous pareils.
  • Le rapport Bonnell en s’intéressant à des mesures pouvant améliorer la distribution permet de relancer la question de la surproduction. Question centrale étant donné qu’elle a doublé en 15 ans.

8. Concernant la délocalisation

  • Pour éviter la délocalisation pendant le tournage et la période post-production il a fallu conditionner l’attribution des aides.
  • Un facteur important de tournage en France que sont les aides régionales.
  • Le crédit d’impôt est un aménagement fiscal aménagé par l’État français pour éviter la délocalisation.

 

2) Verbatim

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Bonjour Monsieur. Tout d’abord, je vais vous expliquer plus en détail ce que nous faisons. Dans le cadre du cours de controverses dispensé aux Mines nous devons nous pencher sur une controverse contemporaine – nous avons choisi de travailler sur le financement du cinéma. A l’issue de cela, nous mettrons en place un site internet – un blog – dans lequel nous tenterons d’expliquer en premier lieu la controverse avec ses acteurs, ses débats internes, les solutions apportées par certains, mais aussi –si nous y parvenons- à dégager des issues à cette controverses.

Alors, tout d’abord je vais vous donner l’intitulé exact du sujet sur lequel nous travaillons qui est “le financement du cinéma” : à quoi cela vous fait-il penser ?

Alors oui, le cinéma est une activité où l’argent occupe une place essentielle, une activité qui a besoin d’argent en quantité importante. Il ne faut cependant jamais la considérer comme indépendante d’autres questions, ne pas l’isoler. Ce qui est passionnant avec le cinéma c’est la manière dont il mélange des dimensions extrêmement variées : une dimension de loisir, une dimension de culture, une dimension de technologie, une dimension esthétique, une dimension d’économie et le plus important à mes yeux est de garder toutes ces choses là ensembles. L’économie du cinéma est un vrai sujet, mais c’est un sujet d’autant plus intéressant et qu’on traite d’autant mieux quand on le connecte avec d’autres approches et pour moi c’est toujours un sujet d’intérêt passionnant, mais aussi d’agacement de voir que des économistes, à propos du cinéma, appliquent des schémas généraux. Ils ne écrivent des choses erronées – à peu près toutes les mêmes d’ailleurs depuis 50 ans – car appliquent des schémas généraux à un domaine où l’on doit mélanger des données diverses avec d’autres paramètres pour bien comprendre justement toutes ces données chiffrées, statistiques.

Alors pour vous quelle est la place du cinéma français en ce moment, bonne phase, mauvaise phase?

D’une manière générale le cinéma français est très prospère de nos jours, en revanche il existe des inégalités importantes qui tendent à s’aggraver. Donc il faut à la fois se réjouir de cette prospérité d’ensemble et s’inquiéter du fait que cette prospérité d’ensemble a lieu au prix d’une crise intérieure du cinéma français qui est plutôt entre ses différentes constantes qui elles sont très inégalitaires.

En parlant d’inégalités vous parlez du cinéma d’auteur ou encore des films à petit budgets ?

Lorsque l’on dit le cinéma français on parle de la production des films français mais là aussi c’est une erreur car il ne faut pas séparer production et diffusion des films. J’aurais plutôt tendance à dire d’ailleurs le cinéma en France que le cinéma français – c’est à dire la vie du cinéma dans ce pays qui n’est pas fait que de cinéma français – mais qui repose sur la santé des salles de cinéma, qui repose sur ce que l’on voit ou ce que l’on ne voit pas à la TV, qui repose sur les journaux qui parlent de cinéma, c’est tout ce qui fait le rapport que l’on a au cinéma et il y a des choses vraiment mieux que à peu près partout dans le monde. Il y a aussi une autre dimension intéressante qui est que, de manière générale, tout ce qu’on peut dire sur le cinéma français c’est que pratiquement tous les sujets dans tous les angles d’approche dès que l’on compare le cinéma français avec l’étranger c’est toujours mieux en France qu’ailleurs. C’est à dire que quand on critique ou qu’on s’inquiète devant des étrangers ils nous regardent d’un air de dire si chez nous ça allait comme chez vous on serait déjà bien contents.

D’accord et donc pour vous quelles sont les choses à faire amener pour que ces écarts s’affaiblissent ?

Le cinéma en France fonctionne depuis très longtemps, pour en faire l’histoire même si ce n’est pas notre sujet aujourd’hui, pour au moins depuis la fin des années 50. Ainsi, plus d’un ½ siècle se maintient sur la solidarité, l’interrelation de 3 grandes forces très différentes : un rapport économico-professionnel, c’est l’économie au sens classique, une économie avec professionnels, des producteurs, des exploitants et tous les gens qui fabriquent les films, etc.., un rapport politique et administratif, un rapport de l’intervention de l’administration française et enfin un rapport culturel, qui est tout un environnement favorable au cinéma qui se traduit par des festivals, par la presse, par l’enseignement du cinéma à l’école, à la fin par des dizaines de milliers de gens qui travaillent sur ça tous les jours quoi, c’est énorme même si c’est moins évident car un peu masqué. La santé du cinéma en France dépend de la bonne cohésion de ces trois dimensions là.

Donc vous nous avez parlé de la politique et des administrations, pour vous quel est le rôle de l’Etat et du ministère de la culture dans le cinéma?

Le rôle de l’Etat, du ministère de la culture et plus précisément du CNC qui est la direction au sein du ministère de la culture chargé du cinéma : une direction unique au sein de l’administration française car elle est la seule qui est quasiment cogérée avec les professionnels du secteur contrairement aux organismes chargés des arts plastiques, du théâtre, etc. Le CNC joue un rôle décisif dans l’économie, le financement du cinéma, cependant il a un rôle non pas de financeur mais d’organisateur des circulations d’argent dans le secteur du cinéma. A l’aide de l’argent du secteur du cinéma et de l’audiovisuel il solidifie l’ensemble du système et le rend plus efficace, plus performant et fluide. Cependant, toutes les décisions sont faite dans un rapport collégial.

Il existe 4 sources de financement. Le première source est la taxe spéciale additionnelle, 11% du prix de chaque ticket va a un fonds dédié auquel l’Etat ne peut pas toucher. Le deuxième, le plus gros de loin vient des chaines de télévisions. Le troisième vient des éditeurs vidéo et le quatrième vient des fournisseurs d’accès à internet. On considère que tous ces gens là gagnent leur vie grâce au cinéma et qu’en contrepartie il faut qu’ils aident le cinéma en le cofinançant. L’Etat, donc le CNC, récupère tout cet argent là sur un compte et après gère l’attribution de sommes qui sont distribuées via deux grands mécanismes : le soutien automatique et le soutien sélectif.

Le soutien automatique est délimité par des règles : les entrées en salles des films sont majorés, les sommes récoltés sont alors dans un fonds qui pourra être utilisé uniquement par les ayants droit du films qui a fait les entrées mais qui ne pourra être utilisé que pour investir dans un projet cinématographique. Cette aide existe pour les producteurs, les salles de cinéma, etc. Et puis il y a le soutien sélectif, attribué par des commissions professionnelles qui vont évaluer des dossiers, des projets. Tout cela sous la coordination du CNC. Ce n’est pas lui qui décide mais en revanche il organise les réunions des professionnels qui examinent des projets ou des films finis. Et donc c’est ça le rôle de la puissance publique dans le financement du cinéma, c’est d’organiser mieux des équilibrages entre des sources de financement et entre des dépenses.

Elle s’occupe 1) de contraindre (parce que les producteurs si on ne leur prenait pas les sous ils ne les donneraient pas et les chaines de TV encore moins) mais ensuite de faire sorte que ça revienne dans des conditions qui rétablissent des équilibres et qui font que tout l’argent n’aille pas aux même types de films, qu’on ait d’autres formes de possibilités qui maintiennent le cinéma dans son ensemble et dans une dynamique.

Mais le système sélectif ne se base t-il pas sur un nombre de points à accumuler ?

Ce n’est pas la même chose, cette histoire de points définit le droit d’un film à être candidat au soutien automatique, c’est ce qu’on appelle l’agrément. Tous les films pour se faire en France doivent être agréés par le CNC et ils sont soit agréés comme film français (entièrement français) soit majoritairement français, soit minoritairement français soit pas agrées et dans ce cas là ils sont étrangers et ne relèvent pas du système de production du CNC. Mais en revanche, le soutien sélectif pour les films qui peuvent candidater à ces aides – la plus importante étant la commission d’avance sur recettes qui aide à la production, mais il y en a beaucoup d’autres. La commission d’avance sur recettes c’est un groupe de gens qui lisent les scénarios et qui décident qui ils vont aider, qui ils ne vont pas aider, c’est un système très imparfait : on peut se tromper, on peut avoir des copains, c’est inévitable et donc la seule protection contre ça c’est d’en changer assez souvent. Et sur la durée quand même ça marche plutôt bien et puis de toute façon ce système c’est comme ce qu’on dit de la démocratie : c’est le pire système à l’exception de tous les autres. Alors si ce n’était pas ça soit ça serait un type tout seul qui déciderait et ça serait bien pire ; soit ça serait l’Etat et on dirait que c’est des choix étatiques. Et donc là il y a une sorte d’équilibre sur la durée qui s’instaure forcément grâce au nombre de commissions et à leur renouvellement.

Et on a vu qu’il y a désormais des films qui se font financer via le crowdfunding, qu’est-ce que vous en pensez vous ?

J’en pense du bien, d’une part parce que c’est une forme de financement possible et d’autre part parce que ça montre une part d’intérêt au cinéma. Néanmoins, ça attire l’attention parce que c’est un peu folklorique mais c’est hyper minoritaire en réalité dans le fonctionnement du financement de films français aujourd’hui. Il y a quelques films qui existent grâce au crowdfunding mais ce n’est plus pour les films qui sont filmés en grande partie et ne peuvent pas terminer la réalisation que c’est embêtant. En effet, pour filmer on peut toujours s’arranger avec les copains, et les quelques sommes données via crowdfunding permettent d’assembler les deux bouts mais c’est bien uniquement pour des sommes marginales, ça peut permettre de sauver un film mais ça ne peut pas financer entièrement un film. À un moment donné il faut faire le montage et là on ne peut pas bricoler il faut payer, il manque 100 mille euros, 150 mille euros et là il faut trouver de l’argent et pas seulement des bonnes volontés. Et là, ça peut être très bien pour des sommes marginales qui peuvent sauver un film qui sinon pourrait très bien tomber en carafe à la dernière minute. Donc oui, c’est bien, mais ça ne fait pas tout. Il ne faut pas surévaluer ce phénomène. Vous avez dû tomber dessus sur vos recherches sur internet parce que c’est quelque chose qui se fait uniquement sur internet comparativement à d’autres choses plus essentielles dans le financement, et du coup sur la toile on en parle beaucoup. C’est un phénomène de mode qui est très bien diffusé sur internet et pour les films, finalement, c’est beaucoup plus utilisé comme un dispositif de communication qui permet de faire parler du film, faire de la pub, mais il ne faut pas se tromper sur son réel impact au niveau du financement. Comme je vous disais si vous faites des cartographies en controverses comme ça se fait très souvent par observation de circulation de données sur internet vous allez en voir beaucoup proportionnellement mais il faut faire attention à ce que ce ne soit pas une erreur de perspective parce que comme c’est que sur internet… Mais le financement du cinéma ne se fait pas sur internet, et nulle part, pas que en France où c’est très encadré. On en parle beaucoup alors que c’est un financement qui est vraiment très minoritaire.

Alors on avait une autre question concernant l’impact de l’arrivée de la TV sur cinéma, pour vous quel fut son impact ?

Il a été gigantesque, la TV arrive à la fin des 50’ en Europe et à la fin des 40’ aux États-Unis, très vite le cinéma perd entre la moitié et les ¾ de son public en 10ans. A partir de là cela a des effets différents selon les pays. La France qui est traditionnellement le pays qui s’occupe le mieux de son cinéma, le pays qui va organiser les meilleurs réponses possibles notamment en empêchant les TV de passer les films n’importe quel jour et à n’importe quelle heure en limitant le nombre de films à un moment où c’était important pour le cinéma et en obligeant les chaînes de TV à payer pour le cinéma, ce qui n’existe pas ailleurs. Après il y a des effets à la fin 70’, l’époque où la TV est encore un monopole public. Les chaînes de TV qui jouent un rôle important dans la diversité, la créativité du cinéma en France naissent dans les 80’ et qui sont Canal + et Arte.

Depuis, les TV jouent un rôle économique important dans le financement du cinéma, vous trouvez les chiffres très rapidement sur site CNC, il y a toutes les données et les évolutions années par années. Il joue un rôle esthétique c’est à dire que les films ils sont influencés parce que comme ils sont largement financés par les TV, elles essayent de faire en sorte à ce qu’ils ressemblent à ce qu’elles ont besoin comme type de produit et pas forcément ce dont il y a besoin pour le cinéma. Après il y a eu une dimension qui s’est beaucoup perdue avec le temps c’est à dire la façon dont la TV parlait du cinéma. Il y a eu de très bonnes émissions qui montraient des films à des gens de ma génération ou même plus jeune que moi mais plus vieux que vous. Ils ont découvert énormément du cinéma grâce à des programmes qui s’appelaient le Cinéclub, le Cinéma de minuit, la Dernière séance… des trucs comme ça et qui avait des audiences énormes pour montrer beaucoup de films. C’était énormément regardé à la TV et il y avait une grande diversité de proposition. Plus des émissions de TV comme cinéma cinéma, même la séquence du spectateur etc… Aujourd’hui les TV ont abandonné leur rôle d’accompagnement du cinéma et ça c’est un vrai regret, une vraie perte. Mais sur le financement le rôle des TV est très important, quantitativement très important, pas parce qu’elles le veulent mais parce qu’elles elles y sont obligées.

Nous nous étions aussi penchées sur la Tribune de Maraval, au niveau du salaire des acteurs, et pour vous quel a été l’impact de cette « dénonciation » ?

L’impact a été minime, c’est une opération de communication qui a très bien marché, qui a déclenché une agitation considérable, qui a amené à un certain nombre de petites modifications, pas très importantes. Au milieu de tout cela, ce n’était déjà pas important le niveau du salaire de quelques vedettes sur quelques films, c’était complètement marginal mais ça avait un effet médiatique et de visibilité, il a été pris par rapport à cela des mesures qui ne changeront rien du tout.

Et, quelle était votre position sur le sujet ?

Ma position sur le sujet c’est qu’il y a un vrai sujet mais qui n’a pas été traité et d’ailleurs que ces gens là ne voulaient pas traiter, ils ne voulaient pas secouer le cocotier, et qui est la transparence des comptes du cinéma, c’est à dire combien d’argent est dépensé pour un film, où va cet argent quand il est dépensé (où vont ces dépenses), combien d’argent rapporte un film en tout et où va cet argent aussi. On ne le sait pas. Ils ont fait des réformes mais ce qu’on appelle la transparence budgétaire ils ont essayé une fois de le poser mais l’ensemble de la profession a dit « mais non qu’est-ce que vous faites là ? » .

Nous avons rencontré dans nos recherches de nombreux rapports dont le Rapport Bonnell, et donc qu’est-ce que vous pensez des solutions éclairées via ce rapport:

Il faudrait le prendre en détail. Le problème de ces choses là très souvent c’est qu’il y a un énorme écart entre les déclarations générales et les mesures techniques qui sont proposées et éventuellement adoptées. Dans le rapport Bonnell il y avait beaucoup des deux, moi ce que je reprochais au Rapport Bonnell, mais surtout au rapport Lescure, c’est que ça faisait ce que je disais au début qu’il ne fallait pas faire, c’est à dire séparer l’économie du reste. On ne parle pas du film, on fait comme si c’était pareil quel que soit le film qu’on fait, alors que pour moi il faut se poser la question de quel cinéma ça fabrique, quel type de film, il ne s’agit pas de décider qu’on ne fait qu’un seul type de film, et si on veut parler qu’en terme d’économie ça finit par faire qu’un seul type de film, ça finit par faire que tout le monde veut faire Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu. Pour éviter que tout le monde soit dans l’optique de vouloir faire le jackpot, ce qui rapporte le plus de sous il faut poser d’autres questions, pas que des questions strictement économiques, des questions culturelles, des questions de diversités … et pas que économiques. Et ça c’était quasiment absent du rapport Lescure et très peu présent du rapport Bonnell, en fait ça y était un peu dans le rapport Bonnell qui est plus malin si je puis dire, mais ça passait que en douce par des petites solutions techniques et ponctuelles notamment apporter des améliorations au niveau de la distribution, dans la diversité de la distribution autour d’un sujet dont personne ne veut parler ouvertement qui est un sujet justement économique au sens stricte, un sujet de quantité qui est « il y a trop de films mais il faut pas le dire » donc personne ne le dit. Mais on essaye de prendre des mesures qui diminuent un petit peu le nombre de films qu’on produit, le nombre de films qu’on distribue et le troisième facteur inflationniste qui est le nombre de copies sur lesquels les films sont distribués. La production française doublée en 15 ans, ce qui ne correspond à rien démographiquement ni au niveau de l’économie générale du pays, parce que dès qu’il y a un problème au lieu de prendre des positions politiques on rajoute de l’argent, on va piquer de l’argent à quelqu’un de nouveau, essentiellement en ce moment aux fournisseurs d’accès à internet qui sont les nouveaux mailleurs de fond du système, et ça ça produit des effets quantitatifs et qui ont pas toujours une traduction capitale.

Alors, j’avais surtout basé mes recherches sur la délocalisation du cinéma français, la production à l’étranger et donc j’avais pu remarquer qu’il y avait une relocalisation depuis peu, je voulais savoir si vous saviez ce qui avait amené à ça.

Qu’est-ce que vous appelez produit en France ?

C’est à dire par exemple les scènes qui nécessitent beaucoup d’intervenants ou de figurants sont plutôt produites en Roumanie par exemple

Oui, parce qu’en fait il y a eu une grosse inquiétude sur les industries techniques à la fabrication des films notamment dans le tournage et aussi en période d’après, ce que l’on appelle la post-production : le montage, l’étalonnage et ce que l’on appelle le travail sur le son, et donc on a conditionné les aides d’avantages à, justement ce que vous disiez par rapport aux points avec un tournage français, avoir des techniciens français etc… Pour obliger les producteurs à rapatrier, parce qu’il y a eu un moment où on pouvait faire un film financé 100% en France alors qu’on tournait à l’étranger et avoir droit à toutes les aides françaises, donc là on a dit stop. Il y a eu un facteur, ça bouge en fonction des années, mais quand même un facteur important de tournages en France qui sont les aides régionales conséquentes. On a parlé que de l’Etat mais les régions mettent des sous important dans la production.

Il me semble qu’il y a le Luxembourg et Belgique aussi.

Le Luxembourg et la Belgique étaient des concurrents de la France pour un certain type de film où il y avait des conditions fiscales plus avantageuses qu’en France. On trouvait des fonds d’investissement dans le cinéma, qui étaient prêts à investir et étaient là bas et si ce n’est pas la production Belge mais plus la production Luxembourgeoise qui investissait donc, là aussi ça existe toujours. Mais il y a eu des aménagements fiscaux en France qu’on appelle le crédit d’impôt et puis un peu d’élargissement de quelque chose qui existait déjà : le SOFICA. Ça c’est le financement de l’audiovisuelle qui a des banques, investissements bancaires dans le cinéma et qui sont garantis par l’État, on finit par limiter le fait que c’était plus avantageux d’aller chercher ce fonds de financement luxembourgeois. Après, de toute façon vous n’avez pas le choix c’est écrit dans les journaux et tout que selon les moments il y a tel ou tel professionnel dit à tel ou tel journaliste et qui écrit quelque chose, qui a pas grand intérêt mais bon, sur sa situation générale et si on n’a pas les moyens, ce qui est normal il faut remettre les choses un peu en perspective, mais effectivement je peux pas dire que c’est faux – ce qui est faux c’est d’en fait un schéma général. En effet, ce qui concerne 10% de la production, un certain type de films qui a du mal à trouver du financement des films qui aussi 5 ans plus tôt se serait fait à des millions d’euros et maintenant en cherchent 5. Les deux millions et demi supplémentaires ils ne les trouvent plus en France. Il faut bien se souvenir que quand on vous dit « ça coute cher de faire un film », si vous dites un film a couté 5M d’euros, ces 5M d’euros vont dans la poche de ces gens là. Donc quand ils disent oui c’est cher de faire des films ça veut dire que ça rapporte beaucoup de faire des films.

Et donc vous nous parliez au début des enjeux du cinéma qui n’étaient pas qu’économiques, donc pour vous quels enjeux sont réellement primordiaux ?

Des enjeux disons culturels dans un sens plus large, c’est à dire le fait que le cinéma repose sur un mélange instable et confus, heureusement confus, de produits industriels conçus pour faire du commerce. Cependant il en existe qui ont d’autres ambitions et qu’il faut continuer à avoir un système qui fasse vivre toutes ces dimensions là, et pour faire vivre cette dimension là ça veut dire typiquement se poser d’autres questions que de rentabilité immédiate ou de retour sur investissements. Diversifier les types de films qui se font, les histoires que ça raconte, les types de budgets pour avoir une variété de films : c’est bien d’avoir des films qui coûtent très cher, des moyens, des tous petits et il faut pouvoir accompagner des gens qui font des premiers films qui ne marchent pas. Il y a en France – pas qu’en France mais en particulier en France – d’autres formes de validation d’un film que le box-office : les sélections dans les festivals, l’accueil de la critique, etc. Et ce sont des marqueurs importants, y compris économiquement et qui veulent dire que ce gars là qui a fait un film qui n’a pas bien marché il est quand même talentueux, qu’il faut lui donner les moyens de réessayer. Donc de construire des environnements qui ne soient pas on gagne ou on est mort. Qui ouvrent des espaces, je ne veux pas dire qu’il faut leur donner un gros lot à la place, mais que pour quelques films qui n’ont pas eu accès à la pub ou leur place dans le cinéma puissent être diffusés, qu’ils soient accompagnés dans les festivals à l’étranger quand il n’ont pas les moyens d’y aller tout seul. Ensuite, ne pas être que devant des gens qui diront « ouais mais attends, je suis désolé, mais vous avez vu votre premier film » mais à la place « ah oui, bon ça a peut être pas bien marché la première fois mais faites voir votre nouveau projet » et c’est ça le différence entre une situation purement économique où il y a un truc qui marche, un truc qui marche pas, et le truc qui marche pas on l’enlève. Il faut que le secteur qui intègre d’autres paramètres qui fait qu’il y a d’autres enjeux que rapporter des sous – même si il faut aussi que ça en rapporte, le cinéma ça coûte des sous de le faire donc il faut que ça en rapporte -, mais de faire rentrer en compte d’autres choses que cela.