Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Grégoire Poussielgue

Entretien avec M. Grégoire Poussielgue, journaliste des Echos spécialisé dans le cinéma.

1) Compte rendu :

Le système de financement du cinéma français est un système complexe :

  • un « système vaste et compliqué mais qui fonctionne ».

L’année 2014 :
Il juge que l’année 2014 fut une année fleurissante, il va cependant découper cela en trois sous-partie afin de mieux expliciter son propos :

  • L’exploitation fût un succès
  • la production rencontre des difficultés (en partie causé par une diminution des investissements et la réduction des obligations financières des chaines de télévision envers le cinéma)
  • la distribution et en particulier la distribution indépendante est un des points les plus sensible notamment due à une fragilisation des acteurs.

L’impact de la tribune de Maraval : de son angle de vu, la tribune de Maraval est venue bouleverser le monde cinématographique.

Les modifications engendrées par la Tribune de Maraval :

  • Un controverse est alors apparue : le cinéma est en sur-financement
  • Engendre le rapport Bonnell, selon lui il est une bonne « remise à plat » qui vient, par exemple, structurer le système de production ou encore plafonner les salaires des acteurs. Ces mesures sont appliquées et sanctionnées
  • la transparence, le CNC va désormais renforcer ses pouvoirs sur les remontées de recettes suites aux Assises du Cinéma.

Les financeurs importants :

  •  le CNC (établissement public qui a une rôle central) et peut donc prendre des mesures telles que la suppression du soutient automatique pour les productions n’ayant pas tenues compte des plafonnements de salaires.
  •  Les chaines de télévision sont les plus gros financeurs : « Canal + est le plus gros financeur du cinéma en France (…) ils financent à peu près plus d’un film français sur deux », cependant, cela résulte d’obligations de financement calculées en fonction de leur chiffre d’affaire.
  •  Les distributeurs sur lesquels toute la vie commerciale du film repose : ils peuvent apporter leur financement lorsque le film est encore en projet ou prendre un film déjà existant -notamment étranger- et le présenter en France.

Le cinéma français – et donc le CNC au niveau du financement- n’est pas, pour lui, trop cloisonné et malgré un financement français quasiment exclusif cela est en mouvement désormais, des fonds d’investissements à l’étranger sont récoltés par exemple; on peut aussi voir une ouverture à l’étranger via des accords de co-production par exemple.

La chronologie des médias :
Au niveau de la chronologie des médias, de nombreuses discussions semblent en cours et ces discussions qui rassemblent tous les acteurs (producteurs, auteurs, réalisateurs, scénaristes, sociétés d’auteurs…). Cependant, ces discutions regroupent beaucoup de personnes aux intérêts et aux points de vus variés, ce qui rend le consensus difficile.

La position et la santé actuelle de la France et de son cinéma :

Il ne faut cependant pas oublier que la France est très dynamique :

  •  Le pays d’Europe où l’on va le plus au cinéma, ce qui permet de faire fonctionner le mécanisme du financement.
  • Malgré la concurrence des films américains, le cinéma français a une bonne part de marché.

Ainsi, d’après G. Poussielgue, le cinéma français se porte bien d’un point de vue macroscopique. Il est certes différents du cinéma américains qui fonctionne par le biais de blockbusters et de « majors » qui s’occupent de financer un film (tel que Disney, Universal…).

Les enjeux du cinéma français :
En France le cinéma est vue comme une activité économique, certes, mais aussi culturelle : ce qui justifie une forte implication du public et donc de l’Etat. Pour G. Poussielgue leur implication est, de plus, indispensable car elle permet aux films porteurs de messages de voir le jour (tel que Timbuktu) et empêche les grosses productions commerciales de prendre toute la place.

2) Verbatim

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Lorsque je vous dis « financement du cinéma », à quoi cela vous fait-il penser spontanément ?

D’abord concernant la France, c’est un système très réglementé, avec un poids très important du public, sous toutes ses formes, le CNC, ses réglementations, qui fixe les obligations des chaines, crédits d’impôts, collectivités locales… Un peu comme une usine a gaz, car c’est un système vaste et compliqué mais qui fonctionne, même s’il fut mis en place il y a longtemps (car il date de l’après-guerre).

Comment se porte le cinéma français aujourd’hui selon vous ? J’ai vu que vous aviez publié un article récemment intitulé « la merveilleuse année du cinéma français ».

D’un point de vue exploitation, 2014 a été une excellente année, avec une très bonne part de marché des films français qui ont pour la plupart très bien fonctionné. Donc l’exploitation ça va.
Concernant la production : ça va même s’il y a une contraction des investissements de puis l’année dernière, car moins d’obligations des chaines qui injectent donc moins d’argent dans le cinéma.
L’un des points les plus sensibles, c’est situation de la distribution notamment la distribution indépendante où il y a beaucoup d’acteurs qui sont fragilisés.

Concernant les acteurs, nous avons vu que Vincent Maraval avait sorti une tribune il y a deux ans dénonçant les salaires trop élevés des acteurs. Quel a été l’impact de cette tribune ?

L’impact a été énorme. Maraval dénonçait un système qui partait un peu à l’envers et des acteurs trop payés, notamment par rapport à ce qu’ils « rapportaient », c’est à dire au potentiel commercial du film. Cela a déclenché toute une remise à plat, il y a alors eu les « assises du cinéma » tout de suite après, et qui ont donné lieu au rapport Bonnell, qui est un très bon rapport. Suite à ce rapport Bonnell, ils ont mis en place les réformes qui étaient préconisées par Bonnell. Donc au niveau de la production, pour par exemple mieux structurer le système de production, la mesure la plus « spectaculaire » aux yeux du grand public a été le plafonnement des salaires.
Au niveau du système du plafonnement, si l’on dépasse un certain niveau de salaire des acteurs, en fonction du budget du film, le producteur n’a plus accès à son soutien automatique, le soutien automatique qui lui est versé par le CNC.

Donc le CNC semble avoir un rôle considérable dans le financement du cinéma ?

Il a un rôle central. Il a un rôle de financeur car il a l’argent du soutien automatique, et du soutien sélectif. Le CNC fonctionne comme un compte d’épargne, et on génère de l’argent en fonction des entrées que l’on a faites par le passé : cet argent peut être mobilisé pour un projet à venir. Cela se nomme le soutien automatique, il n’y a pas de conditions à part celle d’être producteur évidemment. Les aides sélectives, ce sont les aides au scénario, les aides à la distribution, et elles sont attribuées sous la décision d’une commission. Le CNC a donc instauré que : si les salaires sont trop élevés, par exemple pour les films les plus chers c’est ne pas dépasser plus d’un million d’euros, ce qui est déjà pas mal pour ce qu’on appelle les « talents », soit un acteur soit un scénariste, soit un réalisateur; et bien il n’y aura pas de soutien automatique. Donc on peut tout à fait les payer plus si l’on veut, mais il n’aura plus de soutien automatique et c’est plus que symbolique parce que ça doit représenter 10 à 15% du budget de certains films. C’est donc une mesure qui a un grand échos dans le public, car on est à la frontière entre l’argent et les peoples

Merci. Et donc à l’exception du CNC, quels sont les autres acteurs qui influent sur le financement du cinéma ?

Il y a les chaines de télévision qui ont des obligations. Canal + est le gros financeur du cinéma en France, ils financent à peu près plus d’un film français sur deux. Pour un film, avoir Canal + c’est très important. Ensuite, il y a les chaines gratuites du type TF1, M6, et France télévision. TF1 et M6 ont des obligations en fonction de leur chiffre d’affaire. Elles donnent donc moins d’argent que Canal+ mais quand même 50 à 60 millions d’euros par an, donc c’est quand même pas mal d’argent. Ce qu’il faut voir c’est que les investissements dans le cinéma, c’est entre 1 et 1,3 milliards d’euros par an. Tout l’argent pour financer la production en France.
Ensuite, France TV met aussi beaucoup d’argent dans le cadre de son contrat d’objectifs et de moyens, c’est donc –en, gros- l’Etat qui fixe le niveau de financement.
Puis, le troisième financeur important du cinéma ce sont les distributeurs. Un distributeur prend le film quand il est prêt et s’occupe de sa sortie en salle, il essaie d’obtenir des mandats pour sa sortie en DVD, pour la VOD, etc. C’est sur lui que repose toute la vie commerciale du film. Il y a deux façons de procéder : soit il finance le film via un minimum garantie quand le film est encore à l’état de projet, donc il peut mettre 500 000 jusqu’à 1 ou 2 millions d’euros ; souvent c’est plutôt quelques centaines de milliers d’euros, et il est soutenu aussi par le CNC, car le CNC soutient l’exploitation, la production & la distribution. Mais lui il n’a aucune garantie. Si le film fait un flop en salle, il perd tout son argent. Soit, il peut prendre un film qui existe déjà, notamment un film étranger, et il estime que c’est un beau film qui vaut le coup d’être présenté en France, là il prend un mandat, aussi en versant un minimum-garantie, et il fait la sortie en France.

D’accord. Et par rapport au ministère de la culture, a-t-il un rôle dans le financement du cinéma ?

Non, c’est le CNC. Car le CNC est un établissement public, en fait il a un double-statut. C’est d’abord un établissement public, donc son président est nommé par décret, et il est aussi un élément de l’administration centrale. Donc il est sous la tutelle du ministère de la culture. En gros c’est le ministère du cinéma. Il fait le financement, il fait la réglementation, il organise les réunions dans la filière, il fait les données statistiques, etc. Donc c’est la maison du cinéma le CNC.

Pour revenir sur le rapport Bonnell, cela concernait surtout le plafonnement des salaires des acteurs…

Pas que cela, c’est certes ce qui a eu le plus de retentissement, mais il y a eu plein d’autres mesures qui ont touché la production ou la distribution.

Donc selon vous les mesures préconisées dans ce rapport vont être efficaces ?

Je pense, oui.

Et vous, comment vous vous positionnez par rapport à cette controverse ?

En fait, Maraval a appuyé là où ça fait très mal. Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas apprécié, car ils considèrent que le cinéma n’a pas à laver son linge sale en public, il doit régler ses problèmes en privé. Et puis d’autres ont dit : il a raison, on est allés trop loin dans les excès, dans le sur-financement du cinéma, parce que oui on était un peu dans une situation de sur-financement du cinéma depuis les années 2010/2011 avec des gens qui prenaient beaucoup trop d’argent par rapport à ce que faisaient les films en salle, et qu’il fallait y mettre un terme.
Et donc, à ce titre là, ça a été salutaire.
Maraval n’est pas très apprécié parce que c’est quelqu’un qui est un peu coutumier de ce genre de sorties assez saillantes, forcément il y a plein de gens qui n’ont pas aimé car ça les mettais devant leurs échec. Par exemple, un gros distributeur comme Pathé, ils font de la production de films, la distribution, c’est à dire qu’ils distribuent leurs propres films et des films faits par d’autres producteurs, et ils font de l’exploitation aussi. Et quand vous prenez leur bilan en distribution, ils ont fait des flops absolus en 2013. Par exemple un film comme La Grande Boucle, qui a coûté entre 15 et 20 millions d’euros, et qui a fait 300 000 entrées. Un bide. Ce sont des échecs comme ça qui ont incité le CNC à réformer, mais il l’a fait uniquement après la tribune de Maraval.

Donc la tribune a joué un rôle très important ?

Absolument, ça a été déclencheur.

Pourquoi il l’a déclenchée en 2012, et non pas avant ?

C’est suite à un faible retour sur investissement au niveau de l’un de ses films, causé par un faible nombre d’entrées, que sa tribune est née.

Il y a aussi Depardieu, dans les articles ils parlent souvent de Depardieu comme élément déclencheur ?

Non, malgré sa présence dans la presse, Depardieu n’a pas été un élément déclencheur.

Vous avez parlé des aides de la TV…

Ce sont des obligation et non pas des aides plus précisément.

… Mais la TV a aussi nuit au cinéma non?
Non. Enfin le cinéma a moins bien marché à une époque, là ça va mieux. Après, effectivement, le danger, à long terme, pour le cinéma, c’est l’émergence des séries, et des excellentes séries, qui sont très appréciées évidemment par les télévisions, mais les télés ont également besoin de diffuser des films français. Une chaine elle ne peut pas diffuser uniquement des séries américaines, sinon elle perd un peu son âme. Le cinéma et la TV ce n’est pas un problème.
Y’a eu un petit sujet effectivement il y a quelques années, TF1 qui disait que ça marchait moins bien, mais après Intouchables a été diffusé juste avant Noel ça a très bien marché. Forcément, c’est sur des gros films commerciaux, mais y’a pas de rupture entre cinéma et la télévision, même si les séries prennent une place de plus en plus importante.

J’ai vu que vous aviez travaillé sur la sortie de Netflix, etc. Est-ce que ça, ça ne remet pas en cause la place du cinéma ?

Non, pas à court terme. A long terme, forcément, il y aura des conséquences, mais il y aura toujours des films.

Et est-ce que le streaming ça a joué ?

Pas encore. Les gens pensent toujours que le streaming va remplacer la télé, et peut être qu’en effet il va remplacer la télé, et c’est la thèse de Netflix, ils disent que la TV à la demande, c’est la TV linéaire. Surement un jour, mais je ne crois pas au switch-off total, c’est à dire, plus de télévision linéaire : il y aura toujours un peu de télévision linéaire. Cela ne va pas disparaitre dans un an ou deux, ça va mettre 10 ans, 15 ans.
Le rapprochement que je fais toujours, c’est la musique. On dit toujours que le streaming, les gens ne font que ça, que les téléchargements aussi, sauf que les CD ça représente encore 60-70% du marché du disque, alors qu’il y a 10 ans, le CD n’est pas mort, il mourra peut-être un jour, mais 15 ans après sa mort annoncée il est encore là. Donc il faut se méfier des discours qui disent « telle technologie va en remplacer une autre tout de suite ».
Evidemment le streaming va avoir un impact, j’ai Netflix et canal + chez moi, je vois bien que regarde beaucoup moins la télé qu’avant. C’est indéniable.

Vous ne pensez pas que le système du financement du cinéma français est trop cloisonné? J’avais lu un article qui proposait un CNC au niveau européen, justement.

Bon, je n’y crois pas trop car ce serait une grosse machine administrative. C’est clair que le cinéma français comme il est très bien financé avec de l’argent français il a pas eu besoin d’aller chercher de l’argent ailleurs et donc c’est un peu l’entre soi. Mais ça c’est en train de changer il y a des gens qui ont compris, qui sont prêts à aller chercher de l’argent des fonds d’investissement, des riches particuliers qui financent des films, ça c’est en train de changer. Mais la génération des gens qui ont fait des films dans les années 60, 70, 80 n’avaient pas besoin de cela car ils avaient l’argent du CNC notamment. Bon, c’est clair qu’il n’est pas assez ouvert à l’internationale mais cela est en train de changer. Il y a les accords de co-production.

Michel Hazanavicius demandait plus de transparence sur les recettes du cinéma français…

Oui, ça c’est un sujet… c’est plus un sujet de cuisine interne, c’est ce qu’on appelle la remontée des recettes c’est à dire l’argent qui provient des salles et qui remonte au distributeur. Le rôle du distributeur est aussi de dispatcher l’argent entre les différents ayant droit. Et là il y a toujours des histoires, les distributeurs ne sont pas contents des exploitants qui ne ramènent pas assez d’argent. Les producteurs ne sont pas contents des distributeurs. Mais c’est plus des questions d’organisation. Cela a été pris en compte dans le cadre des Assisses du cinéma et cela va changer. Le CNC va renforcer ses pouvoirs d’audit sur ce qu’on appelle la remontée des recettes, parce que forcément l’argent c’est le nerf de la guerre.

Par rapport à la chronologie des médias, pensez vous qu’on doit changer cette chronologie ?

Elle est en train de changer ouais même si y’a pas de rupture énorme. Parce que la chronologie des médias répond à une équation économique assez stricte : premièrement, on protège la salle – ce qui est le tabou absolu. En effet, la salle de cinéma pendant 4 mois est la seule à avoir une exclusivité absolue. C’est sur que le piratage change un peu tout cela mais un film, pendant ses 4 premiers mois de vie après sa sortie en salle est officiellement disponible uniquement en salle. Ensuite, ça organise les fenêtres de diffusion des films en fonction, en gros, de ce que mettent les gens comme argent. Le premier arrivé est la VOD ce sont les mandats de distribution en VOD donc après les 4 mois. La première chaine de télévision est Canal au bout de 10 mois, car Canal donne plus d’argent que les chaines en clair qui ont leur fenêtre à 22 mois. En fait la chronologie des médias est le reflet de l’équation du cinéma du financement des films.

Donc vous dites justement que cette chronologie va changer un petit peu, dans quel sens elle va évoluer ?

Bah c’est en train de… je peux pas vous dire. C’est en train d’être négocié en ce moment c’est assez compliqué.

Qui est-ce qui négocie justement sur cette question ?

C’est aussi pour ça que c’est très compliqué parce que tout le monde. Donc c’est les producteurs, les auteurs, les réalisateurs, les réalisateurs, les scénaristes, les sociétés d’auteur. Il y a deux associations : le BLIC et le BLOC. Le BLIC est le Bureau de Liaison des Industries du Cinéma et le BLOC est le Bureau de Liaison des Organisations du Cinéma. Tous ces gens là ne sont jamais d’accord. À ça vous rajoutez une association qui s’appelle l’ARP, l’Association des Réalisateurs Producteurs. Vous rajoutez les sociétés d’auteur de type SACD et SCAM. Vous rajoutez les syndicats de producteurs type IPF, SPI. On se retrouver avec des réunions à peu près avec 50 personnes autour de la table. Évidemment les exploitants, évidemment les chaines de télévision sont aussi présent. Donc tous ces gens là, premièrement sont nombreux et deuxièmement ont tous évidemment des point de vue, des intérêts très divergents et c’est pour ça que ça bloque.

D’accord, et pour chaque décision qui concerne l’ensemble du cinéma…

Il faut un accord interprofessionnel. Il faut que les gens représentatifs signent et après c’est rendu obligatoire à tout le monde par décret

D’accord et le CNC il ne peut pas décider tout seul de prendre une décision ?

Non, non, déjà il organise les réunions. il peut cependant un peu influencer.

Est ce qu’il y a des acteurs qui ont plus de poids que d’autres ?

Alors les exploitants, les distributeurs aussi. Ils ont, en somme, tous beaucoup de poids. Les chaines de télévision Canal + par exemple ont énormément de poids.

Leur poids dépend de l’argent qu’ils investissent ?

Pour Canal+ oui, mais après pour l’exploitant cela dépend aussi du poids dans l’économie du pays. L’exploitant c’est un gros lobby aussi parce que en France il y a 2000 cinéma, 5600 écrans donc ça représente beaucoup d’argent. C’est une logique d’aménagement du territoire parce que dans les petites villes c’est très important d’avoir un cinéma, cela fait parti de la politique culturelle de la ville etc. Il y a très très peu de villes en France, même des petites villes, où il n’y a pas de cinéma. En France, dans quasiment toutes les villes, même les petites villes de 5 000-10 000 habitants la mairie a sa salle de cinéma. Souvent elle est gérée par la mairie soit directement, soit indirectement. Tout cela pour dire que le poids des exploitants est très important. Mais bon tous les gens ont des poids importants et c’est pour ça que le consensus est difficile.

Mais par exemple quand le CNC a décidé d’établir un plafonnement, là par compte c’était une décision autonome ?

Oui parce que ils ont un pouvoir de réglementation sur certaines. Etant des financeurs ils peuvent fixer des conditions.

La place du cinéma par rapport aux autres pays à l’international quelle est-elle exactement ? Parce que on a un peu de mal à savoir, même au niveau européen.

Alors la France est très dynamique. C’est le pays d’Europe où on va le plus au cinéma… Même dans l’absolu je crois. Par exemple en Allemagne vous avez beaucoup moins d’entrées, de films produits alors que c’est un pays qui est beaucoup plus grand que la France. Vous avez quelques données stables dans un rapport qui a été fait par l’UNESCO qui est un peu vieux, qui date de 2012 ou 13 et compulse pas mal de données statistiques sur le cinéma dans le monde. Dans le monde, il y a 10 pays qui font les deux tiers de la production mondiale. La production mondiale de cinéma c’est 6500 films par an. Ça c’est hors film direct vidéos qui sont des films, mais des films qui vont directement sur Youtube. Sur ces 6500 vous avez 1200 films indiens. C’est Bollywood. Pareil il y a aussi beaucoup de films qui sortent en vidéo, après on dit que c’est 1200, c’est pareil ce sont des statistiques un peu à prendre à la louche. Disons entre 600 et 800 films américains. Et vous avez à peu près entre 2 et 300 films français. Les films majoritairement français sont appelés les FIF : Films d’inspiration française, c’est à peu près 200 par an. Donc il y a 10 pays, après vous avez Japon, Chine évidemment, puis les gros pays européens type Allemagne, Espagne, Italie. Sur ces 10 pays là, vous avez deux tiers de la production mondiale et vous avez 7 pays qui font plus de 200 films par an dont la France.

Et pour revenir un peu sur l’UE, ils n’influent pas du tout sur la question du cinéma au niveau national ?

Je ne sais pas, ça ne me dit rien honnêtement. Je n’ai pas le souvenir de statistiques de l’UE. Mais les gros pays du cinéma en Europe sont la France, l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne et l’Italie.

D’accord, et est-ce que le cinéma, les films qui sortent en France ne sont pas trop concurrencés par les films qui viennent des Etats-Unis par exemple et si oui, cela ne pose t-il pas problème?

Si il y a une concurrence, mais cela ne ne pose pas trop de problème car la France arrive à maintenir une assez grande, une assez bonne part de marché. En gros, les parts de marché du cinéma américain en France sont égales – de façon structurelle- à 40 à 45%. La part de marché du cinéma français en gros est entre 35 et 45, cela dépend des années. Et les films d’ailleurs donc hors France, hors USA c’est le reste. Il y a des pays où le cinéma américain a 80% de part du marché.

Donc en fait, d’après ce que vous nous dites j’ai l’impression que le cinéma français se porte plutôt bien ?

Ah oui, il se porte bien d’un point de vue macro économique. Globalement il y a beaucoup de films qui sont produits, les gens vont beaucoup au cinéma et il y a pleins de sociétés qui sont actives. Après beaucoup de gens ont du mal à avancer. Aujourd’hui c’est effectivement de plus en plus dur de monter un film. Il y a moins d’argent de la distribution, moins d’argent des chaines donc le producteur peut mettre parfois 1an à 1 an demi pour boucler son tour de table.

Ah d’accord, et ça c’est le syndicat des producteurs j’imagine.

Ouais, notamment le SPI qui regroupe les producteurs indépendants. Mais lorsque l’on prend les données statistiques, la France objectivement est un pays de cinéma qui produit beaucoup de film et où les gens vont beaucoup au cinéma. Plus qu’en Allemagne, plus qu’en Angleterre… et ils aiment les films français.

Et du coup, derrière le prix d’un ticket de cinéma c’est tous ces acteurs qui jouent chacun un rôle ?

Si on dit que 10€ est le prix d’un ticket à Paris ( car cela dépend des endroits, des films, de l’âge…). Il y a des salles opération 4€ pour les moins de 14ans. Vous en tant qu’étudiante je pense que vous payez moins cher. Vous avez les cartes UGC, les cartes 5 entrées qui reviennent à 8-9€. Le prix moyen est cependant de 6€40. Mais si on prend 10€ pour simplifier le prix. On compte 2€ de taxe. Vous avez la TVA à 5%, vous avez la TSA (Taxe spéciale additionnelle) justement qui vient financer le CNC. Le CNC prend 1€ sur les 10€. Et c’est cette taxe là notamment qui va alimenter les taxes de soutien des producteurs. Sur les 8€ restant il y a un terme en français qui s’appelle le « reste à partager » : vous avez 4€ pour l’exploitant, et 4€ pour le distributeur. Ça dépend après, y’a des taux en fonction du poids de chacun mais c’est à peu près ça la répartition. Et sur les 4€ du distributeur, il faut qu’il fasse remonter l’argent à toute la chaine qui a financé le film. Donc les producteurs, les auteurs etc…

Bon merci beaucoup, et vous vous travaillez uniquement sur le cinéma français ?

Sur le cinéma français principalement parce qu’on est un journal français en France. Mais je suis aussi pas mal de papier sur le cinéma français américain. C’est un modèle intéressant aussi que le modèle des blockbusters. Elles produisent une dizaine de films par an pas plus. Vous avez 5 ou 6 grosses majors, vous avez Fox, Universal, Disney etc… Qui visent le public le plus large possible. Et après il y a tous les films indépendants américains qui sont en général très bon mais qui sont souvent distribués par ces majors. Mais elles ne prennent pas le risque de monter le film et de financer le film. Un major lorsqu’elle prend le blockbuster elle finance tout. Elle a des crédits d’impôt mais elle prend des risques avec parfois des flops qui peuvent faire très mal.

En fait le système de financement du cinéma français est très différent ?

Oui il est différent. Après il y a une forte importance du public pour limiter les influences du marché. La psychologie c’est ça, c’est pour pas laisser les forces du marché et uniquement les forces du marché régir le cinéma. Parce qu’on considère que c’est une activité économique certes, mais c’est une activité économique à part car c’est du culturel. Et c’est ce qui justifie l’implication très forte de l’État via différents aspects.

Donc à part les enjeux économiques, quels sont autres enjeux pour vous?

Culturel, économique, politique. Un film est porteur de messages donc si on prend l’exemple de Timbuktu qui est un film Mauritanien mais 100% financé par la France, enfin par le territoire français. Eh bien, vu ce qu’il s’est passé récemment c’est un film qui porte un message très fort. Le cinéma porte des messages. Je trouve que l’implication des pouvoirs publics, du CNC, des collectivités est parfaitement justifiée. Sinon le risque est de n’avoir que des films commerciaux de base.

Du coup le CNC agit au nom de l’État ? A-t-il un droit de regard sur les films qui vont sortir ?

Non. Ce n’est pas une autorité de censure. Un compte automatique reste un compte automatique. Mais après il attribue son Visa selon des critères objectifs. Par exemple, si un film est trop violent, il peut mettre « interdit aux moins de 18ans ». Mais ce n’est pas une question de censure. Même si à l’époque je pense qu’il y avait plus de censure que maintenant alors que de nos jours, par exemple au niveau des scènes de sexe il n’y a pas de censure.

Et du coup par rapport à la direction du CNC j’ai vu que le président avait changé récemment, est ce que ça change vraiment…

Non les politiques sont les mêmes.

D’accord et c’est quel type de profil que l’on retrouve ?

La présidente actuelle est politique ou haut fonctionnaire. La présidente actuelle est une ancienne ministre sous François Mitterrand il y a donc 20 ans. C’est Frédérique Bredin, et avant elle c’était quelqu’un qui était dans les cabinets ministériels, le conseiller culture de Nicolas Sarkozy. Avant lui, c’était une femme qui s’appelle Véronique Cayla qui a un profil type de haut fonctionnaire. A chaque fois le président du CNC est en phase avec le gouvernement actuel. Mme Bredin est plus proche de la gauche.
Il est nommé par le conseil des ministres, c’est à dire signé par un décret de mémoire par le président de la République. C’est sur proposition du ministère de la culture et approbation de l’Élysée. Ce n’est pas un fonctionnaire lambda qui vient du milieu de la prison ou de la santé. Ce sont des gens qui sont quand même très impliqués dans la culture et qui connaissent tout le monde. Parce que il faut connaître tout le monde au CNC.