Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Entretien avec Olivier Bomsel

Olivier BOMSEL est professeur d’économie industrielle à l’Ecole des MINES ParisTech et Directeur de la Chaire MINES ParisTech d’Economie des Médias et des Marques, focalisée sur l’économie des réseaux, de la propriété intellectuelle et des médias.

1) Compte rendu :

1. Sur la polémique Maraval et la question du salaire des acteurs

  • Les acteurs peuvent être considérés comme des marques. Donc en général, le salaire des acteurs reflète la valeur de leur marque pour le film
  • La question est donc de savoir combien on paie la marque. Mais d’un point de vue microéconomique, il est normal que certains acteurs aient de très gros cachets s’ils permettent de faire beaucoup d’entrées.
  • Seul problème : le financement du cinéma en France s’appuie sur les subventions publiques, donc l’argent du contribuable entre en jeu.
  • Les chaines sont obligées d’investir dans le cinéma par la règlementation.
  • Pour limiter leurs risques, les chaines concentrent leurs obligations sur un petit nombre de films, qui ont des marques très fortes.
  • Comme ce sont ces films qui obtiennent plus facilement le financement des chaines, alors ls acteurs qui jouent dans ces films demandent de plus gros cachets.


2. Sur le cinéma comme un produit culturel

  • Cinéma : est un produit qui a du sens pour le public qui le reçoit, en fonction des repères culturels du public
  • Donc question de la langue très importante.
  • On assiste alors à des effets d’échelles : un film est plus favorable aux grands continents monolingues qu’aux petit ou moyens pays avec des singularités linguistiques et culturelles fortes, car il s’exporte moins facilement à l’étranger.
  • Donc pour protéger les pays défavorisés : il s’agit de mettre en place la règlementation.


3. Sur le cinéma français aujourd’hui

  • mêmes taux d’échecs et de succès qe dans les années 60
  • film est un « nobody-knows »
  • l’apparition des séries structure de nouveaux publics. Le public est davantage attiré par d’aires formats.

2) Verbatim

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Nous avons vu que Vincent Maraval avait créé une grande polémique sur les cachets des acteurs qui étaient trop élevés selon lui, donc à partir de là on a vu que tout le monde se se positionnait un peu différemment par rapport à cela. Vous, comment vous positionnez-vous par rapport à cette polémique ? Quel est votre point de vue ?

Quand vous avez une œuvre que ce soit un roman, un album de musique, un film, elle est toujours associée à des marques. Le salaire des acteurs reflète en général la valeur de leur marque pour le film. Ainsi, un acteur comme Dany Boon qui fait un film vu par presque 20 millions de personnes, s’il passe dans un autre film, va toucher un public que l’on peut considérer comme captif. Il est normal, d’un point de vue microéconomique qu’il le fasse payer.

La seule chose c’est que le financement du cinéma en France s’appuie sur des subventions publiques, des taxes et des obligations associées à l’utilisation des fréquences hertziennes par les chaînes de télévision. Il y a donc de l’argent du contribuable qui entre en jeu, par exemple l’argent de la redevance de France Télévisions ou de l’argent des régions qui subventionnent le tournage des films sur leur territoire ou même de l’argent que les chaines de télévision sont obligées d’investir par la réglementation. Les chaînes de télévision en clair sont obligées de pré-acheter des films. Pour limiter leur risque, les chaînes concentrent leurs obligations sur un très petit nombre de films avec des marques très fortes. Elles financent des films très grand publics. Comme ce sont ces films-là sont les mieux financés, évidemment les acteurs grand public en profitent vis-à-vis des producteurs.

Ceci met en évidence la faiblesse du dispositif français dans lequel le financement est assuré majoritairement par des chaînes de télévision qui ne valorisent que les films grand public.

Donc le fait d’avoir un acteur connu par exemple, Dany Boon, permet d’assurer une diminution des risques pour ce qui financent le cinéma ?

Pour un film non pas avec Dany Boon mais un film de Dany Boon, cela ne fait pas moins de quatre millions de spectateurs en salle. Hypercondriaque je pense que c’est celui qui a le moins bien marché doit être à quatre millions. La moyenne sur les 200 films qui sortent par an en France, on doit être autour de 100-200 000. Donc bien évidemment quand il réalise un film ou joue dans un film qu’il ne fait pas lui même il demande des cachets très importants.

On a interrogé il y a quelques semaines un distributeur de chez Pathé, qui nous disait qu’il n’y avait pas eu de controverse sur Dany Boon, car ses films étaient financés seulement par lui, tout l’argent venait de sa poche, et qu’il n’y avait pas d’argent du contribuable dans ses films.

Il y a toujours d’une manière ou d’une autre de l’argent public, car si. Alors même si il n’y a pas d’achat de chaînes publiques, dès qu’il passe en salle, il engendre du fond de soutien. Il y a une taxe sur le fauteuil de cinéma, qui est de 10,72% du prix du billet. Et cette taxe peut être réutilisée par le producteur qui l’a engendrée, avec une majoration de 25%. Cette majoration de 25 % elle correspond à un transfert de taxes. Donc d’une manière ou d’une autre, il y a toujours de l’argent public, mais la production de cinéma, elle, est aidée à l’ordre de environ 50%, si vous faites la somme de toutes les aides.

En outre, ces films là sont des films à gros budgets, qui drainent des obligations de financements des chaînes hertziennes donc qui sont autant d’argent disponible en moins pour d’autres films.

Le point qui est questionnable c’est de savoir si les règles mises en place en France pour financer le cinéma, qui datent du début des années 80, de l’entrée de Canal + sur le marché de la télévision, sont toujours adaptées. Est-ce qu’il faut décahrger les chaînes de télévision du financement des films dont elles ne veulent pas ?

En fait, ça, ça touche vraiment au système de régulation en fait du financement c’est ça ? Est-ce que la régulation pourrait être pensée autrement ?

D’abord il faut en faire l’analyse économique. Il y a un point de départ absolument essentiel qui est que dans les industries de médias en général, vous fabriquez des produits qui ont du sens et qui vont signifier auprès du public qui les reçoit, en fonction de ses repères culturels. Les questions de la langue et de la culture sont très importantes. Quand un film marche bien en France il arrive qu’on vende les droits du scénario aux États-Unis et les Américains font un remake pour leur public car les Américains aiment s’identifier à des situations américaines. Donc vous avez dans cette industrie, ce que les économistes appellent des économies d’échelle qui sont beaucoup plus favorables aux grands continents monolingues qu’aux petits ou moyens pays avec des singularités linguistiques et culturelles très fortes. Un film qui s’adresse à 350 millions de spectateurs a un revenu potentiel 5 fois supérieur à un film qui parle à 70 millions seulement.

Quand vous voulez développer une industrie du cinéma dans un pays comme la France de 70 millions d’habitants, vous allez remonter des recettes en moyenne 5 fois moindres que celles sur un marché de 350 millions d’habitants parlant tous la même langue. Les Américains ont donc 5 fois plus de ressources que les Français pour produire des films ce qui entraîne une capacité de médiatisation des acteurs beaucoup plus grande, une propension à exporter qui est bien meilleure que celle de pays moins peuplés.

Si vous n’établissez pas de règles de protection dans le pays défavorisé vous êtes assez rapidement submergés par les produits américains. À partir de là comment vous construisez la réglementation ? Et, sachant que l’industrie évolue de manière de plus en plus rapide avec la numérisation les règles que vous avez fixées il y a 30 ans, peuvent-elles encore fonctionner aujourd’hui ? Quelles sortes de dérives est-ce qu’elles induisent ? Comment peut-on les corriger ? Les intérêts ou les positions acquises dans le système réglementaire historique sont telles qu’en réalité, les acteurs vont refuser toutes réformes. Le problème, c’est comment, institutionnellement, on peut toucher à un système de protection qui a constitué ou produit des positions acquises et dans lequel la transformation n’est pas un jeu à somme positive, c’est à dire ne crée pas que des gagants.. Et quel est l’intérêt pour le politique d’y toucher ?


Il y a quelques années, il n’y avait pas la VOD, ni la possibilité de regarder un film sur son ordinateur, il n’y avait pas les séries ; on allait plus au cinéma. Aujourd’hui, il y a une diversification des supports. Donc est-ce qu’aujourd’hui ce n’est pas plus difficile de prévoir le succès d’un film qu’il y a quelques années ?

Il y a plusieurs questions dans votre question.

D’abord, concernant le cinéma comme loisir, il faut regarder les statistiques de fréquentation des salles de cinéma. Dans les années soixante, il y avait à peu près 400 millions d’entrées par an, parce qu’il y avait très peu de télévision chez les gens. Puis que la télévision, la multiplication des chaînes a fait tomber la fréquentation en salle autour de 100 millions par ans à la fin des années 80. Puis la construction des multiplexes, des grandes salles très confortables, entre 1990 et 2000 a permis doubler la fréquentation en salle. Aujourd’hui, la fréquentation en salle est stabilisée autour de 200 millions d’entrées par an.

Puis, concernant la position du produit cinéma par rapport aux autres programmes audiovisuels, comme les séries par exemple. Les séries reposent sur un autre protocole éditorial, c’est-à-dire une nouvelle façon de publier des histoires. Mais cela est une toute autre question.

Enfin, sur la prédictibilité du succès d’un film, on est aujourd’hui dans les mêmes taux de succès et d’échecs qu’on n’était dans les années 60. Par exemple, Hazanavicius a fait OSS 117, puis The Artist qui doit faire 2 millions de spectateurs en France. Il fait ensuite un film sur la guerre en Tchétchénie qui fait à peine 100 000 spectateurs, lequel est  un accident industriel majeur.

Les anglo-saxons, lorsqu’ils parlent des industries de médias, qu’il s’agisse des films, de la musique ou de la littérature, c’est ce qu’ils appelle des « nobody-knows » industries, c’est à dire des produits qui s’adressent à des marchés dont on ne sait pas ce qu’ils vont être.

Pourquoi dites-vous que par rapport au niveau protocole éditorial, il s’agit d’une autre question ?

Parce que les gens qui voient des séries voient quand même des films, il n’y a pas d’indicateur qui montre que la fréquentation en salle diminue. En revanche, le succès des films à la télévision n’est pas le même qu’il l’était dans le passé, et les séries sont entrain de structurer de nouveaux publics.

En effet, de plus en plus de gens sont attirés par d’autres formats comme les séries. Leur avantage, pour les télévisions, c’est qu’elles permettent des rendez-vous beaucoup plus systématiques. Néanmoins, de temps en temps, certains films peuvent être suffisamment événementiels pour capturer du public dans une certaine tranche horaire.