Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Quels rôles jouent les cachets élevés de certains acteurs sur le développement du cinéma français?

Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde en décembre 2012 dénonçait des abus concernant le cachet de certains acteurs. Cette tribune a lancé une réflexion sur la possible nécessaire réforme du cinéma français. Une réflexion qui fût amorcée le 23 janvier 2013 lorsque se sont déroulées les Assises du cinéma organisées à la demande de la Ministre de la culture et de la communication, Aurélie Filippetti, par le président du CNC de l’époque, Éric Garandeau, pour débattre de l’amélioration du système de financement du cinéma français :

« Ce débat a permis de rappeler la pertinence du modèle de financement de notre industrie cinématographique. Il a également confirmé la nécessité de procéder à de nouvelles adaptations de ce système dont la réforme régulière est gage de son efficacité. (…) Dans cette perspective, le CNC met en place un groupe de suivi des Assises, réunissant l’ensemble des professions intervenant dans le financement du cinéma. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir mener et rapporter les travaux de ce groupe. » (Source: Lettre de mission de Éric Garandeau adressée à René Bonnell datée du 20 mars 2013. Rapport Bonnell, p. 7)

Voici la mission qu’a confiée le président du CNC à René Bonnell suite aux Assises du cinéma. Le rapport Bonnell a ainsi vu le jour en décembre 2013. Il comportait 50 propositions visant à améliorer le système de financement du cinéma en France destinées ensuite à servir de base aux négociations interprofessionnelles et aux pouvoirs publics pour légiférer.


« Les acteurs français sont trop payés ! » : c’est grâce à ce titre très évocateur que la tribune de Vincent Maraval publiée en décembre 2012 a eu un fort retentissement dans le milieu cinéma français. Il a mis l’accent sur ce qui, selon lui, constitue les dérives de l’économie du cinéma français :

« Dix fois moins de recettes, cinq fois plus de salaire, telle est l’économie du cinéma français. » (Source: Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde)

Il a alors dévoilé les cachets de certains acteurs-vedettes français pour appuyer cette dénonciation : certains d’entre eux réclament des cachets à 7 chiffres alors même que leur film est un échec. C’est cette question des « hauts salaires » de nos acteurs français qui est au cœur des débats dans le monde du cinéma.

La question qui se pose est la suivante : Quels rôles jouent les cachets élevés de certains acteurs sur le développement du cinéma français?

Pour y répondre nous allons tout d’abord partir d’un constat : il y a un fort déséquilibre dans la répartition des salaires entre les acteurs-vedettes et les autres interprètes. Ensuite, une fois ce constat établi, il conviendra de se questionner sur l’efficacité des « hauts salaires » de ces acteurs-vedettes. Pour finir, on s’intéressera aux propositions pour atteindre un système de financement plus efficient.

1) Le point de départ : un système de répartition des salaires inégalitaire


Le titre de la tribune de Maraval laissait croire que tous les acteurs français étaient trop payés. Il a été très rapidement reproché au producteur son manque de différenciation entre les cachets de ces acteurs-vedettes et ceux du reste de la profession des interprètes, qui sont en majorité des intermittents. Ces derniers sont loins de recevoir des cachets à la hauteur de ceux des vedettes. En effet, on constate un fort déséquilibre dans la répartition des salaires entre les différents interprètes d’un film.

Des acteurs-vedettes aux cachets importants….

Certains acteurs français obtiennent des cachets importants pour les films dans lesquels ils jouent. En raison de leur visibilité médiatique, l’opinion publique a souvent tendance à se focaliser sur cette situation qui ne concerne en réalité qu’une minorité :

«Plutôt que de parler des acteurs, vous auriez dû écrire en guise de chapeau: «Les vedettes françaises sont trop payées». C’est vrai. Les 50 vedettes? Les 30 vedettes? Les 10 vedettes? » (Source: Sam Karmann, acteur/réalisateur, dans une lettre adressée à Vincent Maraval et publiée par Lemague.net)

Alors, pourquoi cette question du salaire d’une minorité d’interprètes a-t-elle eu autant de retentissement?

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Nous pouvons apporter deux explications à cela. Premièrement, cela s’explique par le fait que ces acteurs jouent dans des films à gros budget qui sont souvent retenus en raison de leurs budgets qui dépassent les 15 M€ bien qu’ils ne représentent que 5 à 10% du volume de production :

« Les films du dernier quartile, et surtout ceux dont les budgets dépassent 15 M€, présentent une image déformée de la situation de la branche. Ils ne représentent que 5 à 10 % du volume de la production mais concentrent l’attention car ils apparaissent comme les symboles d’une envolée irréaliste des coûts par rapport aux possibilités d’amortissement du marché. » (Source: Rapport Bonnell, p. 23)

Deuxièmement, et c’est cette raison qui fait l’objet de notre réflexion, cela s’explique par le fait que le poids de ces cachets représente une part importante du budget d’un film :

« Le coût global du « talent » (acteurs principaux, scénaristes et réalisateurs et charges) pèse de 10 à 30 % des devis de films compte non tenu de films exceptionnels tournant autour d’une « vedette orchestre » (plus de la moitié du budget dans un cas). » (Source: Rapport Bonnell, p. 26)

Dans son rapport, René Bonnell précise alors que « L’interprétation (…) constitue le poste le plus lourd » (p. 26). Il s’avère que les rôles principaux, représentent 11 à 12% du budget consommé d’un film. Cette part est encore plus importante au regard des rémunérations de l’ensemble des interprètes. En effet, les interprètes principaux totalisent deux tiers à trois quarts des montants consacrés à l’interprétation :

« (…) la rémunération des interprètes principaux (…) totalise selon les films des deux tiers aux trois quarts en moyenne des montant affectés à l’interprétation. Seconds et petits rôles se partagent le reste » (Source: Rapport Bonnell, p. 26)

Ainsi, bien que ces têtes d’affiches soient proportionnellement inférieures en nombre au reste des interprètes d’un film, elles attirent l’attention du fait de la grosse partie du budget consacrée à l’interprétation qu’elles représentent. Leurs cachets oscillent en valeur absolue, selon les chiffres du rapport Bonnell, de 1 à 2 millions d’euros selon qu’elles cumulent plusieurs fonctions comme celles d’interprète, de scénariste ou de réalisateur. Il apparaît donc très clairement que, étant donné qu’un film se réalise avec de nombreux interprètes, la répartition des cachets est très inégale.

…. Masquant de fortes inégalités

La répartition du salaire des interprètes est régie par ce que l’on pourrait appeler une loi de puissance : un petit nombre d’entre eux gagne beaucoup, et énormément gagnent peu :

« Derrière l’opulence de quelques « vedettes », il convient donc de le relever, la majorité des comédiens ne connaît que cachets faibles et emplois épisodiques» (Source: Rapport Bonnell, p.26)

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Intermittent

Source: disponible ici

Le rapport Bonnell a mis en avant un « fort déséquilibre dans la répartition des cachets ». En effet, la part totale des dépenses allouées aux interprètes principaux qui ne sont rarement plus de deux ou trois par film, dépasse régulièrement les 60% du budget total alloué à l’interprétation. Plus un film a un niveau de budget élevé, plus la part des dépenses allouées aux rôles principaux va augmenter. Ce qui s’explique par l’importance des cachets demandés par les vedettes principales :

 « Plus le salaire d’un comédien est important, plus vous risquez à un moment donné de faire des arbitrages et de limiter l’argent que vous allez donner aux autre comédiens » (Source: Entretien avec un producteur de cinéma et de télévision)

 Nous avons donc vu que le système de financement du cinéma français était très inégalitaire dans la distribution des salaires aux interprètes. En effet, alors que certains totalisent jusqu’à 60% du budget d’un film alloué à l’interprétation, les autres (nombreux) interprètes se répartissent la part restante. Il convient désormais de s’interroger sur l’efficacité de cette répartition.

2) Cette répartition inégalitaire des salaires contribue-t-elle à l’efficacité de l’économie du cinéma français ?


Les différents acteurs du milieu du cinéma en fonction de leurs positions encouragent ou non ces hauts salaires. C’est alors le cas des chaînes de télévision, qui, par leurs obligations sont obligées d’investir une partie de leur budget annuel dans le financement de films. Elles ont des exigences très précises envers les producteurs et les distributeurs et réclament ainsi des acteurs-vedettes. Cela va contribuer à l’inflation des cachets de ces interprètes. Les producteurs eux, vont suivre le mouvement mais cela ne les empêche pas de remettre en cause ce système et son efficacité. Enfin, nous verrons que certains économistes ont fait des études sur la question qui ont démontré que la présence d’un acteur-vedette dans un film ne garantissait pas les retours sur investissement de celui-ci.

Les « hauts salaires » encouragés par les chaînes de télévision

La loi impose aux chaînes de télévision d’investir une partie de leur budget annuel dans le financement de films de cinéma : ce sont les obligations télévisuelles. Du fait de ces obligations, les chaînes encouragent les salaires élevés attribués aux acteurs-vedettes. Il convient alors d’expliquer ce qui les pousse à soutenir cette logique inflationniste.

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Aujourd’hui, le cinéma est concurrencé à la télévision par de nouveaux formats tels que la télé-réalité ou les séries, mais également par internet. Ainsi, passer un film à la télévision est devenu moins avantageux pour elles. Elles se refusent donc de plus en plus de prendre le risque de passer un film en soirée:

« C’est ce qui fabrique l’inflation et explique la survalorisation des acteurs et actrices bankable : une chaîne en clair va mettre 10 millions d’euros dans un film pour en avoir l’exclusivité et imposer les acteurs principaux. » (Source: Olivier Bomsel dans Libération)

Par conséquent, les chaînes de télévisions vont co-financer moins de films, mais des films plus chers et imposer leurs exigences. Cela va donc provoquer une inflation sur les titres concernés. Le bilan 2013 du CNC nous donne quelques chiffres qui prouvent cela. En 2013 par exemple, TF1 et M6 ont financé en moyenne des devis très élevés, respectivement 17,92 M€ en moyenne en 2013 contre 13,13 M€ en 2012, et 20,40 M€ en moyenne en 2013 contre 15,61 M€ en moyenne en 2012.

Une efficacité interrogée par les producteurs qui participent à la répartition inégale des salaires

Au fur et à mesure de nos recherches, nous nous sommes rendues compte que ces cachets étaient souvent justifiés par les producteurs par le fait que ces acteurs là représentaient une valeur sûre. On a surtout vu apparaître cette volonté de se prémunir contre l’échec d’un film.

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Ainsi, la confiance accordée aux acteurs-vedettes découle du désir des producteurs de diminuer ce risque. En effet, leur travail consiste à investir dans des films en prenant compte de multiples facteurs tels que la crise, les goûts changeants du public, pouvant altérer leurs prévisions. Exerçant une activité très risquée, ils sont donc amenés à raisonner en terme de sûreté pour assurer la rentabilité de leurs investissements :

« (…) il faut choisir des films rentables, souvent avec des acteurs connus, c’est autour d’eux que va se construire le film. » (Source: Entretien avec un chargé SOFICA au sein du CNC)

Cela va participer à l’inflation du salaire des acteurs : les producteurs, soumis à une forte compétition et désirant absolument le talent, vont en accepter les exigences c’est à dire le casting, le cachet et les moyens de production. Les agents auront ainsi l’occasion de faire grimper les cachets de leurs clients :

« Le niveau de ces gratifications (…) est en général expliqué par le jeu de l’offre et de la demande : producteurs et diffuseurs s’arrachent un talent, rare, souvent non interchangeable qui caractérise les têtes d’affiche. » (Source: Rapport Bonnell, p. 27)

Pour les producteurs, si le but est de plaire au public c’est avant tout pour obtenir les faveurs des diffuseurs et tout particulièrement des chaînes de télévision. Vincent Maraval dans sa tribune imputait l’inflation du cachet des acteurs en partie aux chaînes de télévisions :

 « Mais à quoi servent de tels cachets si les résultats ne se matérialisent pas en recettes économiques ? En réalité, ils permettent d’obtenir le financement des télévisions. » (Source: Vincent Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde)

Vincent Maraval ainsi que le producteur de cinéma et de télévision que nous avons interrogé ont dénoncé ce système dans lequel il se sont tous les deux dits « otages ». En effet, selon eux il met les acteurs « en position de force » dans la négociation de leurs cachets :

« Je suis pris en otage par un système, plutôt vertueux dans sa théorie, qui repose sur les obligations de financement des chaînes de télé imposées par la loi. Si l’on n’a pas tel acteur, telle chaîne ne s’engage pas, ce qui met les acteurs, et surtout leurs agents, en position de force. Comme leur cahier des charges les oblige à dépenser un pourcentage de leur chiffre d’affaires, elles essayent de consacrer cet argent au moins de films possible, ce qui provoque une inflation démentielle sur les titres concernés. Alors que l’esprit de ces obligations est de protéger la diversité, on en arrive à l’effet contraire. » (Source: Vincent Maraval interviewé par A. Ferenczi dans Télérama)

Payer plus les acteurs pour plus de rentabilité sur un film semble être un raisonnement rationnel. Néanmoins, il convient de s’interroger sur la vérification de cette logique. Ainsi, ce raisonnement connaît certaines limites. Tout d’abord, souligne René Bonnell – auteur et producteur – dans son rapport, lorsque l’on considère qu’aucune « vedette » n’a pas connu d’échecs dans sa carrière. De plus, selon lui, un comédien ne pourrait déterminer le succès d’un film sinon seulement participer au succès d’un film. Il convient alors de relativiser le succès d’un film que l’on attribue aux interprètes principaux :

« L’impact sur le public relève d’une alchimie dont l’interprète n’est qu’un des éléments (…). Dans le meilleur des cas, il peut, en rendant le film plus visible, garantir un niveau minimal de recettes qui ne suffit pas toujours à amortir le surcoût de production qu’il génère. » (Source: Rapport Bonnell, p. 27)

Aussi, il met en avant ici un autre type de risque: de tels cachets accroissent les risques financiers en gonflant le budget des films.

Les producteurs et distributeurs que nous avons interrogés s’accordent sur le fait qu’aujourd’hui de moins en moins d’acteurs ramènent des gens en salle sur leur propre nom :

« La présence de tel ou tel acteur dans un casting ne garantit plus le nombre d’entrée. » (Source: Entretien avec un producteur de cinéma et de télévision)

Néanmoins, même si ils ont conscience qu’avoir tel ou tel acteur ne boostera pas forcément les entrées en salle, ils ont tendance à continuer dans cette logique de compétition pour avoir telle tête d’affiche dans leurs films. Ils l’expliquent :

« Il y a beaucoup de gens à convaincre, et tous ces gens ont besoin d’être rassuré. Vous avez un casting, ces gens sont frileux, et le fait d’avoir des acteurs reconnus, les rassure. Et donc ils mettent plus facilement de l’argent quand vous avez des acteurs dits de « Catégorie A » » (Source: Entretien avec un producteur de cinéma et de télévision)

L’efficacité économique contestée des vedettes

Trois économistes américains, A. De Vany, W. David Walls et S. Abraham Ravid ont été les premiers à évaluer si l’on pouvait statistiquement prédire quel film aurait du succès ou non, et surtout quels facteurs pouvaient influer sur les recettes ou les retours sur investissement d’un film. La conclusion de ces différentes études a, elle, été unanime, les vedettes d’Hollywood n’influent pas sur les recettes et les retours sur investissement d’un film :

 « Surprisingly, stars did not matter for revenues or rates of return on movies. This was first established in Ravid (1999) and De Vany and Walls (1999) and confirmed by later work (for example, Elberse 2007) » (Source: Economics of motion pictures : the state of the art)

Néanmoins, il apparaît que ces résultats ne peuvent être universalisables et détachés de la spécificité du cinéma de chaque pays. En effet, une étude de Fernández-Blanco et Prieto-Rodríguez publiée en 2003 intitulée Building stronger national movie industries: The case of Spain a prouvé le contraire : en Espagne, les vedettes avaient un effet positif sur le box-office. Ainsi, on ne peut affirmer que la présence d’un acteur en particulier dans un film n’influe pas sur le succès des films.

Ainsi, maintenant que nous avons confronté différentes théories concernant l’efficacité d’un tel système, nous allons nous focaliser sur les discussions des acteurs autour de la recherche d’un système plus efficient.

3) La recherche d’un système plus efficient


Nous allons enfin nous intéresser la position du le CNC, principal organe régulateur, dans cette controverse autour du rôle des salaires élevés de certains acteurs sur l’économie du cinéma. Nous verrons que cet organe, en 2014, pour la première fois à pris une mesure visant à limiter l’inflation du cachet des acteurs. Cette mesure, approuvé par certains, récusée par d’autres va-t-elle permettre d’améliorer ce système?

 Le refus du CNC de contribuer par son système de subvention à l’inflation du salaire des acteurs : le plafonnement des salaires

Le 28 novembre 2014, lors d’un Conseil d’administration, le CNC a décidé de plafonner le cachet du talent – comprenant ainsi les interprètes principaux – le plus rémunéré d’un film. Désormais, en fonction du budget du film, si la rémunération la plus forte du talent dépasse un certain seuil le producteur, les coproducteurs, ou le distributeur ne pourront plus bénéficier du soutien automatique versé par le CNC, ni de l’avance sur recettes :

« Le CNC a également élaboré une mesure visant à encadrer les films présentant un coût artistique disproportionné via les aides publiques. 
Il s’agit de limiter l’accès aux aides – par l’interdiction d’investir du soutien automatique et d’avoir accès à
 une aide sélective (Avance sur recettes), que ce soit 
pour le producteur, les coproducteurs ou le distributeur – pour les films pour lesquels la plus forte rémunération (auteurs, réalisateur, interprètes rôles principaux 
ou producteur personne physique) du film dépasse un montant dépendant du budget du film (compris entre
 600 000 € pour les films au budget inférieur à 4 millions d’euros et 990 000 € pour les films dont le budget est supérieur à 10 millions d’euros).
 Cette mesure a été introduite dans le Règlement Général des Aides (RGA) qui vient d’être adopté par le Conseil d’administration du CNC.
 » (Source: La lettre du CNC n°119, novembre-décembre 2014)

Si nous récapitulons, la rémunération maximale pour un film inférieur à 4 M€ sera de 15% du coût de production, pour un film entre 4 et 7 M€  8% du coût de production, pour un film entre 7 et 10 M 5 % du coût de production, et pour un film supérieur à 10 M€ elle ne devra dépasser 900.000 €.

Le plafonnement du salaire des acteurs contribue-t-il à l’amélioration du système ?  

Cette mesure a reçu une réception en demi-teinte. Cela a premièrement ramené au centre des débats la question de la vraie valeur des acteurs-vedettes. Méritent-ils ou pas ces cachets importants ? Chacun a son point de vue. Enfin, certains pointent du doigt une mesure qui n’est dérisoire que pour améliorer le système de financement du cinéma français.

Tout d’abord, revenons aux prémices de cette décision : le rapport Bonnell qui a consacré cette nécessité de stopper l’inflation du salaire des acteurs. La proposition numéro 6 qui traite du salaire des acteurs nous intéresse. Afficher la proposition numéro 6

« Proposition n° 6 : Lutter contre la hausse des budgets de production en appliquant des mesures à effet immédiat, à savoir :(…)

  •    modérer les cachets excessifs des « vedettes » (interprètes principaux, réalisateurs et scénaristes) en incitant au partage du risque commercial par un intéressement calculé sur 
des données aisément vérifiables (entrées salles, CA bruts des différents marchés l’exploitation) ;

(…)

Si la profession ne pratiquait pas une autorégulation durable (…) :

 définir des normes (tels ratios dessus/dessous de la ligne) et moduler l’aide automatique en fonction du respect des ratios» (Source: Rapport Bonnell)

Ainsi, face à l’inflation des coûts de production des films, René Bonnell a proposé une mesure concernant le salaire des acteurs : inciter à la baisse de leurs cachets en favorisant l’intéressement calculé sur des données vérifiables telles que les entrées ou les CA bruts des différents marchés d’exploitation.

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Cette proposition de soumettre les cachets des acteurs aux résultats du film apparaissait dans la tribune de Vincent Maraval qui proposait un plafond de 400 000€, assorti d’un intéressement aux recettes, dans les films bénéficiant du soutien des chaînes de télévision. Dans la même lignée, Olivier Bomsel, dans une interview pour Libération affirmait que :

 « Dès lors qu’il y a de l’argent qui vient d’une taxe sur les entrées en salles, via le CNC, ou encore de la taxe sur les fournisseurs d’accès à Internet, il est légitime de conditionner la subvention au plafonnement des salaires. Un plafonnement qui serait associé à un intéressement des acteurs principaux sur les résultats du film. Même chose s’il y a une aide qui vient d’une région. » (Source: Olivier Bomsel dans Libération)

Mais il convient de mettre en garde sur la chose suivante : être d’accord sur le fait qu’il est légitime de conditionner la subvention au plafonnement des salaires ne revient pas à affirmer que les acteurs sont trop payés. En effet, Olivier Bomsel a également affirmé que d’un point de vue microéconomique les cachets élevés des acteurs, tournant généralement dans des films construits autour de leur nom, sont justifiés :

« Quand vous avez une œuvre que ce soit un roman, un album de musique, un film, elle est toujours associée à des marques. Le salaire des acteurs reflète en général la valeur de leur marque pour le film. Ainsi, un acteur comme Dany Boon qui fait un film vu par presque 20 millions de personnes, s’il passe dans un autre film, va toucher un public que l’on peut considérer comme captif. Il est normal, d’un point de vue microéconomique qu’il le fasse payer.» (Source: Entretien avec Olivier Bomsel)

Ainsi, de nombreux acteurs de notre controverse ont justifié le fait que les vedettes soient rémunérées de la sorte par le fait qu’en contrepartie elles assurent sa notoriété auprès du public :

« Les acteurs ont directement une incidence sur les comptes des films, c’est à dire que un tel acteur (…) va ramener des gens en salle. » (Source: Entretien avec un responsable adjoint de production chez Pathé Production)

Cette même personne a affirmé un peu plus tard dans l’entretien que de moins en moins d’acteurs ramenaient des gens en salle quand nous avons abordé la question des risques des investissements. C’est une tendance que nous avons pu relever lors de nos entretiens auprès des producteurs, ils ont un avis qui est lui même controversé sur la question. D’un côté, ils affirment que le salaire des vedettes est légitime car elles vont ramener des gens en salle. De l’autre, ils vont condamner ces salaires et voire même se contredire et affirmer qu’une vedette ne ramène plus tant de gens en salle que cela.

Ainsi, comme nous avons pu également le voir dans la deuxième partie, les producteurs sont soumis à différentes injonctions contradictoires. Ils dénoncent alors cette mesure, consistant à plafonner les salaires, qui leur apparaît comme contraignante. En effet, les films qui coûtent en général plus de 10 millions, voire plus de 15 millions d’euros sont des films qui génèrent beaucoup de fonds de soutien automatique. Ainsi, s’ils ne peuvent le réinvestir dans un film où le talent est trop payé, ils vont se voir obligés de réduire les salaires, mais de continuer à faire des films à gros budget pour générer autant de fonds de soutien:

« Alors après qu’on ne puisse pas ré-investir de fonds de soutien, c’est plus problématique pour les groupes, car les groupes de par leur volume d’activité, génèrent énormément de fonds de soutien, et pour les réinvestir dans les films, si on n’a pas le droit de réinvestir dans ces films là, il faut trouver des films où les talents ne sont pas rémunérés, mais où les investissements sont très importants. Donc faire des films très chers avec pas de stars, cela  nous oblige à faire des films qui sont un tout petit peu contre nature.» (Source: Entretien avec un responsable adjoint de production chez Pathé Production)

Par ailleurs, de nombreux professionnels du cinéma, dénoncent le fait que cette mesure ne soit qu’une mesure pour satisfaire l’opinion publique, mais une mesure qui n’apportera pas un grand changement, une mesure écran de fumée :

 « Au milieu de tout cela ce n’était déjà pas important le niveau du salaire de quelques vedettes sur quelques films, enfin c’était complètement marginal mais ça avait un  effet médiatique et de visibilité. Il a été pris par rapport à ça des mesures qui ne changeront rien du tout » (Source: Entretien avec Jean-Michel Frodon)

Il est alors encore trop tôt pour déterminer l’efficacité de cette mesure, même si certains mettent en doute sa portée, en affirmant que les gros films continueront à se faire en présentant comme une fatalité cette loi du marché :

 «C’est une mesure légitime, mais cela permet juste au CNC de ne pas cautionner certains films et la dérive de leurs coûts. Les plus gros films se feront quand même, avec les mêmes salaires, puisque les chaînes de télévision voudront les même acteurs» (Source: Un producteur cité par Grégoire Poussièlgue dans un article de Les Échos)

C’est ainsi la raison pour laquelle certains affirment que ce n’est pas cette mesure qui changera ou fera évoluer le système de financement du cinéma français. Alors, ils énoncent d’autres mesures plus urgentes à prendre pour faire baisser cette inflation. Celle qui apparaît le plus fréquemment concerne la transparence des comptes du cinéma français car l’opacité nourrirait l’inflation des budgets permettant aux interprètes d’exiger des cachets élevés.

Ainsi, nos acteurs-vedettes françaises sont au cœur de tous les débats au sein du milieu du cinéma français mais également dans l’opinion publique. Ils ont en effet été pointés du doigt par Maraval dans sa tribune publiée dans Le Monde. Ce n’était pas la première fois que ce débat entrait dans l’espace public, mais la prise en charge par les autorités publiques de cette question en fait sa spécificité.

Suite de la controverse.