Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Entretien avec un responsable adjoint de production chez Pathé Production

1) Compte rendu

1. Sur la régulation

  • Le crédit d’impôt vise à soutenir l’emploi local et renforcer la compétitivité du cinéma français pour éviter les délocalisations
  • Le cinéma français est une activité qui s’auto-finance en grande partie : l’argent redistribué dans le cinéma vient du cinéma.
  • La régulation des salaires est née du désir de satisfaire l’opinion publique
  • L’argent du contribuable n’est pas mis en jeu dans le système de financement du cinéma

2. Sur la surproduction

  • Il y a trop de films à l’affiche et pas de place pour chacun.
  • Trop de films font moins de 50 000 entrées
  • Beaucoup de films vivent par « acharnement thérapeutique » grâce à beaucoup de fonds publics et d’aides du CNC
  • L’argent est trop disséminé, il faudrait investir dans moins de films
  • Clivage aujourd’hui au sein du cinéma entre le cinéma d’auteur et le cinéma plus « mainstream » :

- Le cinéma d’auteur vit des aides publiques, des aides du CNC, des cinémas d’Art et Essai…

- Le cinéma mainstream : capitaux publics, ne reçoit quasiment jamais d’aide de l’État

  • Il faudrait que l’État aide des films plus ambitieux à se faire. Mais également que les producteurs et les chaînes de télévisions aident ces films à se développer.
  • C’est aux chaînes de télévision de soutenir la qualité des films mais on ne peut pas les blâmer comme elles essaient de répondre aux exigences des téléspectateurs.

3. À propos de Pathé

  • Pathé est une entreprise détenue par Jérôme Seydoux
  • Propriétaire des salles Pathé-Gaumont (seulement accord sur ce point, sur la production et la distribution ce sont deux entités séparées)
  • La ligné éditoriale de Pathé : la grosse comédie ou le blockbuster français, comédies ou films d’auteurs reconnus français, films d’auteurs.
  • L’objectif est dans le positif au niveau de la distribution pour Pathé films et distribution : un film peut plomber une année.

4. À propos du public

  • Le public est très changeant, les temps de production très longs et donc certains films peuvent correspondre au cinéma d’avant mais plus aux goûts actuels du public.
  • Il y a plusieurs facteurs de changement :

 – Les séries qui renforcent le niveau d’exigence des gens au niveau de la narration, la           production, du jeu des acteurs. Certaines typologies de films son sinistrés au cinéma comme les films policiers du fait de la qualité des séries policières qui passent à la télévision.

- La crise, aller au cinéma ne se fait plus sur un coup de tête mais est une opération réfléchie désormais.

- Netflix

- La VOD 4 mois après la sortie du film, la plus-value du cinéma diminue du fait de la qualité du matériel de son que l’on peut avoir chez soi. La sortie VOD peut nuire à la salle.

  • De moins en moins d’acteurs ramènent des gens en salle sur leur nom
  • La chronologie des médias : fenêtre VOD 4 mois après la sortie, Canal 10 mois après, pendant la fenêtre de Canal qui est de 12 mois les distributeurs ne peuvent exploiter la VOD.
  • Plus un film est diffusé, moins il rapporte d’argent.
  • La chronologie des médias préserve les films

5. Sur le salaire des acteurs

  • Certains fonds comme Ciné France, créé par la banque Neuflize ont comme objectif de faire baisser les cachets de vente des talents comme cela correspond entre 25 et 30% du devis d’un film.
  • Un acteur a des incidences sur les comptes d’un film : il permet de ramener les capitaux d’une chaîne de télévision, de ramène du public en salle
  • Le fait que le plafond des salaires soit un plafond absolu et non un plafond calculé en fonction du budget du film n’a pas de sens. Les groupes ne peuvent alors réinvestir de fonds de soutien ce qui est problématique car ils génèrent énormément de fonds de soutien. Cela conduit à faire des films avec beaucoup d’investissement où les acteurs ne sont pas rémunérés.
  • Le cinéma français a besoin de films à gros budget ambitieux

2) Verbatim

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Nous avons vu que le cinéma français était régulé, nous voulions savoir comment vous vous positionnez par rapport à ça ?

Est-ce que vous trouvez, vous, que le cinéma français est régulé ? L’est-il trop ? Ne l’est-il pas assez ? En gros quel est votre …

Est-ce que c’est une caractéristique finalement qui, à laquelle vous ne pensez pas forcément quand on vous dit financement du cinéma ?

 Je pense que du point de vue de l’opinion publique il y a une mauvaise conception de ce qu’est l’argent public dans le cinéma. Le “Maraval Gate”, j’imagine que le point de départ de votre controverse …

C’est ça !

C’est le “Maraval Gate”, donc on va commencer par là, qui a jeté la lumière sur quelque chose qui vient de façon récurrente depuis un certain temps, à savoir, les acteurs, nantis et les producteurs, gros, au cigare, barreaux de chaises, vivent et s’achètent des maisons à Saint-Tropez avec l’argent du contribuable.. Il faut par conséquent les empêcher de se faire de l’argent avec les impôts de pauvres gens.

Vous avez un peu travaillé sur le système de financement et notamment comment cet argent qui est redistribué est ponctionné. Ce n’est pas du tout le cas, enfin c’est à dire que, évidemment le CNC qui a vocation à soutenir des oeuvres qui sont un petit peu différentes, via l’avance sur recettes et les différentes aides sélectives, fait son travail. Bien sûr il y a un aspect politique de lobbying, des accointances, l’argent n’est pas dirigé de façon 100% sélective par rapport à la qualité des projets, mais ça c’est le cas dans tous les domaines.

En revanche, pour tout ce qui est crédits d’impôts, il s’agit d’une vraie logique industrielle pour soutenir l’emploi local. Ce sont des avantages fiscaux qui ont une vraie répercussion sur l’industrie et la capacité du cinéma français à rester en France, c’est pour ça d’ailleurs qu’il est réévalué régulièrement pour faire face à la concurrence des pays avoisinants et il n’est pas encore assez compétitif cet avantage fiscal.

Pour ce qui est du reste, c’est quand même un argent qui est ponctionné au niveau des recettes des tickets de cinéma qui ensuite est redistribué donc c’est quelque chose qui est auto généré, et à ce sujet il y a une mauvaise conception du fait qu’une majeure partie de l’argent qui est redistribué dans le cinéma vient du cinéma lui-même et de sa propre activité.

Donc la question qui est: “est-ce que le cinéma français est trop régulé ?” vient d’une opération pour conquérir l’opinion publique de mesures très fortes et emblématiques récentes hein, je parle des mesures notamment sur le salaire des acteurs.

 Selon moi, il n’y a aucune autre industrie dans laquelle on empêche un acteur d’être rémunéré à sa juste valeur, notamment sur les films dont on parle, comme les films de Dany Boon. Nous sommes bien placés pour le savoir, parce qu’on est producteur de ses films, co-producteur et distributeur. Il n’y a quasiment, enfin il n’y a que des capitaux privés dans les films de Dany Boon. TF1, Pathé, le Tax Shelter belge, Canal +, ce n’est pas de l’argent public, d’autant plus que le film n’étant pas tourné en France, on n’a pas de crédits d’impôts français.

Donc voilà, il y a certes du fonds de soutien qui est généré mais du fonds de soutien qui est généré par la propre activité du film. Ce n’est pas de l’argent que l’on va ponctionner à qui que ce soit. C’est important de dire qu’on va réguler des salaires d’acteurs qui sont payés par des gens consentants, en capitaux privés, je ne vois pas l’intérêt, autre que de satisfaire une opinion publique qui justement considère que c’est indécent de payer des acteurs ce prix là. Sauf que l’on embête personne quand aujourd’hui on essaie de réguler les salaires des PDG, on essaie de réguler les salaires des grands cadres et tout ça. Pour sûr ce sont des proportions qui n’ont rien à voir avec les salaires des acteurs et en plus de ça les acteurs ont directement une incidence sur les comptes des films, c’est à dire que un tel acteur va ramener tels capitaux d’une chaîne de télé, va ramener des gens en salle.

Donc on peut quantifier cette valeur, alors certes on peut dire qu’ils sont trop payés et qu’il faut faire des efforts, et ça c’est important mais de là à dire qu’il y a un plafond, au delà duquel on a plus le droit au même, un plafond absolu, qui n’a rien à voir avec l’ambition du film, avec le budget, qui n’est pas un pourcentage du budget du film, c’est un plafond absolu ça n’a aucun sens. D’autant plus qu’on a besoin de films très chers et ambitieux en France, on a besoin de films qui rayonnent à l’international. Certes, il faut que l’argent soit dans le film, et pas dans la poche des producteurs et des réalisateurs mais on a besoin de films qui sont ambitieux comme la Belle et la bête qui s’exporte à l’international. Et pour cela on a besoin pour rivaliser avec d’autres productions étrangères, d’avoir de la « production value » et des grandes stars emblématiques et pour ça il faut qu’on puisse rémunérer les gens qui ont la tentation d’aller tourner à l’étranger, le cinéma français a trop tendance à dénigrer ce cinéma là, très ambitieux, et à ne pas soutenir des films qui sont le fleuron de l’industrie française.

Voilà peut être qu’on les fait mal, peut être qu’ils ne sont pas toujours de qualité, mais c’est toujours important. Et d’ailleurs Maraval l’a dit, il a considéré que le film la Belle et la bête était un exemple, car c’est un film de patrimoine français qui a vocation à s’ouvrir sur l’international. Mais ce film là coûte 35 millions d’euros, donc 35 millions d’euro, il y a un moment où les acteurs ne comprennent pas quand un film se monte sur leur nom, qu’on les rémunère des clopinettes, il y a une espèce d’hypocrisie qui s’installe. Bon c’était une réponse longue…

Vous pensez du coup que la question elle n’a pas lieu d’être ?

Non ce n’est pas qu’elle n’a pas lieu d’être. C’est que aujourd’hui on a mis en oeuvre des mesures, qui sont des mesures un peu écran de fumée, notamment le plafonnement du salaire des acteurs. En réalité ce n’est forcément le salaire des acteurs parce que c’est le salaire de la personne, du talent le mieux rémunéré du film. Ce qui est encore plus ridicule d’autant que certains talents vont être scénariste, comédien, réalisateur et que, on sait très bien qu’ils valent plus que ça. Alors après qu’on ne puisse pas ré-investir de fonds de soutien, c’est plus problématique pour les groupes, car les groupes de part leur volume d’activité, génèrent énormément de fonds de soutien, et pour les réinvestir dans les films, si on n’a pas le droit de réinvestir dans ces films là, il faut trouver des films où les talents ne sont pas rémunérés, mais où les investissements sont très importants. Donc faire des films très chers avec pas de stars, cela nous oblige à faire des films qui sont un tout petit peu contre nature.

D’accord, merci. Donc ensuite vous parliez des films de Dany Boon, mais tous les films n’ont pas l’étoffe des films de Dany Boon. Ainsi, si l’on regarde l’ensemble de la production française, ne pensez vous pas qu’il y a un problème de surproduction?

Je suis tout à fait d’accord, il y a un problème. Trop de films à l’affiche, pas assez de place pour qu’ils existent. On a tendance à pointer du doigt les grosses comédies qui sont faites pour la télé, mais c’est vrai qu’il y a un certain nombre de films – et moi, c’est mon cinéma personnel, je suis arrivé ici en me disant que les comédies françaises me parlaient moins que les films d’auteur. Les films de la diversité c’est très important. Donc je ne dis pas du tout qu’il faut faire moins de films de la diversité mais c’est vrai qu’on a un nombre incalculable de films qui font moins de 50 000 entrées, qui sont des aberrations économiques et c’est vrai qu’au sein de ces films là, il y en a un certain nombre qui se font par accointances et par copinage. Ce sont toujours les mêmes producteurs qui vont réussir à monter ces films et il n’y a pas beaucoup qui montrent l’exigence nécessaire à cette espèce d’émergence de créativité, de films un peu singuliers.

Ce serait plus ces films là qui prennent trop de place par rapport à …

Non ce n’est pas ça, aujourd’hui par exemple, les chaînes de télévision investissent moins dans les films. Donc naturellement on va avoir moins de films, ou moins de gros films parce qu’elle essaient de fuir. M6 a 5 à 6 films par an, TF1 en a un peu plus et France 2 en soutient beaucoup. Et ça pour le coup c’est probablement par ce que ceux qui soutiennent cette production là sont obligés.

Ce qui est sûr c’est qu’il y a beaucoup de films qui vivent par acharnement thérapeutique avec beaucoup de fonds, publics, de soutien du CNC et qui n’ont pas de marché. Qui ont vocation à faire moins de 50 000 entrées, qui les font et voilà.

Après est-ce que le cinéma français se porterait mieux si on avait que des comédies? Je ne pense pas. C’est probablement que l’argent est un petit peu trop disséminé et qu’il faudrait probablement investir plus dans moins de films.

Mais du coup nous, quand nous avons fait nos recherches, nous avons vu que le cinéma français s’en sortait plutôt bien par rapport à d’autres pays européens. Vous êtes donc d’accord sur le fait qu’il y a une surproduction des films. On se demandait si justement cette surproduction ce ne serait pas la condition nécessaire à maintenir la place du cinéma français par rapport aux autres pays, quel est votre point de vue par rapport à ça, est ce que c’est quelque chose d’irrémédiable ou bien au contraire ?

Je pense que tu as raison mais je pense qu’il manque un truc fondamental aujourd’hui. C’est la capacité des films de ce marché là, des petits films d’auteurs à passer du côté un peu plus ouvert et mainstream.

 Aujourd’hui il y a deux cinémas français. Bon qui tend à se mélanger mais on n’y est pas encore du tout. Il y a le cinéma français d’auteurs qui correspond à un certain circuit de financement, un certain type de public, quelque chose de très urbain et avec tout un circuit d’entre-gens qui vivent ensemble. Et il y a un circuit plus mainstream, qui dialogue très très peu avec cet autre circuit. Je le vis personnellement car je suis de ce côté là, du côté des films plus amples, plus mainstream, qui sont pas distribués dans les cinémas d’Art et Essai, ou pour la très forte majorité d’entre eux. Voilà il y a le cinéma d’auteurs qui vit sur les cinémas Art et Essai, aides du CNC, petits distributeurs sans MG et pas mal d’aides publiques. Et puis le ciné mainstream qui est plutôt sur des capitaux publics et qui ne reçoit quasiment jamais de soutien de l’État, alors que c’est eux qui emploient le plus de personnes, qui payent le mieux les gens, et qui respectent le mieux la convention collective. Donc évidement on a besoin de ce circuit là pour faire émerger des talents, après il y a un problème de dialogues entre ces deux cinémas, de nuances.

Il faudrait que l’État puisse aider des films ambitieux à se faire, il faudrait qu’on puisse avoir des producteurs, aider les producteurs de petit film à passer du côté un peu plus ambitieux, et pour cela il faut que probablement les groupes fassent l’effort d’aller chercher des talents un peu plus confidentiels, il faudrait que les chaînes soutiennent des films un peu plus singuliers, et que l’État peut être soutienne d’avantage des auteurs passés ce cap là.

Après la demande entre les deux, si il y a ça aussi aujourd’hui c’est que la demande comme vous dites mainstream, elle est bien plus importante que …

Oui mais par exemple, quand on voit un film comme Des Hommes et des dieux qui fait 3,5 millions d’entrées, quand on voit un film comme Polisse qui fait 2,5 millions, un film comme Mommy qui fait 1 million, quand Hippocrate fait 800 00, quand Les Beaux gosses fait 1,2 millions… Disons que ce sont des films qui, en soi, ne se sont pas faits pour faire ce niveau d’entrées, et pourtant ils les font. Donc il y a quand même une énorme demande de cinéma de qualité en France. Timbuktu fait 1 million d’entrées, c’est hallucinant. donc on a trop tendance à considérer que ces publics sont totalement différents. Alors que ce n’est pas le cas. Par exemple, Neuf mois ferme, c’est un film qui est un film d’auteur, bien sûr c’est de la comédie mais c’est un film d’auteur, c’est une personnalité forte, et ça a fait 2 millions d’entrées.

Juste pour revenir sur l’une de vos expressions, quand vous dites que l’État devrait aider certains films à être plus ambitieux, qu’est ce que vous voulez dire par « plus ambitieux » exactement ?

Ça veut dire passer le cap d’un certain niveau de budget, de ne pas cantonner les réducteurs dans ces catégories là justement. C’est aussi une question de… C’est un sujet autour duquel je tourne énormément. C’est à dire que j’ai envie de permettre aux auteurs qui font preuve d’un certain accueil critique, un certain accueil du public sur un créneau assez auteur, et leur permettre de passer le cap et de faire leur « Polisse “. Par exemple, Maïwenn est vraiment passée par un cap. Elle a changé de producteur, elle est rentrée dans le circuit.

Et finalement c’est vous qui avez ce pouvoir de décision aussi non ?

Oui oui complètement. Enfin, on l’a et puis.. Franchement je n’ai pas la solution, moi je dis ce que je peux faire à mon niveau, je pense que c’est la responsabilité des chaînes de télévision… C’est la responsabilité de TF1 et de M6, même si c’est pas du tout leur créneau, de soutenir un peu plus la qualité, et un peu moins les films avec Frank Dubosc.

Et pourquoi les chaînes de télévision et non pas les distributeurs comme vous ?

C’est un espèce de concours. Par exemple Canal a refusé pas mal de projets récemment et a été plus dur dans son attitude vis à vis des producteurs, vis à vis des films, très exigeant… Après c’est leur droit, c’est leur argent, ils font ce qu’ils veulent. Mais voilà, par exemple les nouveaux entrants, comme Orange, vous savez Orange Studio c’était une super idée parce que c’était un nouveau guichet…

Qu’est ce que c’était Orange Studio ?

C’était Orange, qui a décidé de rentrer dans le cinéma, qui a créé Orange Cinéma Séries, et aussi de financer des films en étant co-distributeur. On a fait Jappeloup avec eux, on a eu quelques expériences avec eux, ils mettent 50% du budget de l’investissement global et puis on partageait avec les co-distributeurs. Ils avaient un énorme volume d’activités, un énorme montant à investir. Malheureusement, ils ont fait les mauvais choix, et résultat ça s’est arrêté, après qu’ils aient perdu je pense entre 50 et 100 millions d’euros en investissant dans le cinéma. Mais c’était hyper intéressant parce que c’était un nouvel acteur, un acteur qui aurait pu être régulateur de marché, un acteur qui aurait pu faire des choix justement dans ce sens là. Ils ont essayé mais malheureusement ils ont fait les mauvais choix. Pareil, D8 ’était un nouveau guichet, mais le problème c’est que ça a été racheté par Canal. Résultat c’est sur un créneau que l’on pourrait qualifier de « ménagère », et donc c’était super intéressant car c’était sur des créneaux de films pas trop chers, mais en même temps un peu tournés vers le public, donc des films entre 5-7 millions d’euros. Ce sont des films qui en général ne sont pas financés par les chaînes historiques, mais sont un peu ouverts au public. Enfin bref, résultat : leur clientèle, disons leur audimat étant « Ne touche pas à mon poste » et la ménagère, les prises de risques sont un peu moins importantes. Mais là encore, ce n’est pas vraiment de leur faute, c’est vrai que c’est aussi la sempiternelle question de la dépense du cinéma à la télévision, ce qui a un peu tué le cinéma italien. C’est qu’à partir du moment où tu fais des films et que c’est plus facile de les financer quand ils sont proches de ce que demandent les téléspectateurs, bah t’as un petit peu moins d’ambition, un peu moins d’exigence artistique.

 Est-ce que quand quelqu’un vient vous voir et vous propose un film vous êtes assez libres dans votre décision ou votre direction…

Non, je ne suis pas libre du tout, je ne suis pas libre parce que c’est une entreprise qui appartient 100% à un homme, Jérome Seydoux, qui l’a rachetée il y a 30 ans et qu’il a développé autant pour développer un parc de salles qu’un patrimoine de films qu’il distribue et co-produit. Lui étant très actif dans le processus de décisions, je n’ai pas le carnet de chèque, je suis obligé de passer par lui pour signer tous les films. Mais en même temps, on est consentant, quand on rentre dans une entreprise comme celle-ci on sait qu’on se soumet à une certaine ligne éditoriale, qu’on se soumet à certaines valeurs et donc non je ne suis pas du tout libre pour choisir les films.

 Il n’y a pas de cahier des charges ?

Non il n’y a pas de cahier des charges, on apprend avec le temps, ça fait trois ans que je travaille ici, on apprend avec le temps un peu comment son cerveau fonctionne et on s’adapte.

 C’est quoi à peu près la ligne éditoriale de Pathé ?

Donc nous sommes propriétaires de salles, Pathé Gaumont, comme vous le savez, il y a une sorte d’accord entre Pathé et Gaumont sur les salles, mais sur la distribution et la production, on est deux entités séparées. On est sur trois créneaux principaux : un, la grosse comédie ou le gros blockbuster français, qui a vocation à faire énormément d’entrées, je parle de Dany Boon, Camping, La Belle et la bête, ça c’est des gros films. Après on a des films qui sont de la comédie ou des films d’auteurs français, mais des auteurs reconnus comme Tavernier, Lisa Azuelos, qui sont des films pour nous de moyen budget mais qui pour certains seraient trop chers.

Et puis après on a toute une partie de films d’auteurs, d’auteurs vraiment prestige, pour Cannes comme Sorentino, Almodovar, Dany Boyle, etc.

Et en parallèle de ça, on a quelques coups de coeur, sur lesquels on va monter, comme Les Beaux Gosses, Tout ce qui brille, comme La Cage dorée, comme .. Des plus petits films, notamment des premiers films, mais c’est plus en marge de notre ligne.

Par contre juste avant vous disiez « Je ne suis pas libre dans la décision, mais en revanche »…

Oui, c’est à dire que moi je travaille avec le directeur général de la production et de la distribution, et il y a une façon aussi, disons, de proposer les projets. On va les vendre à notre hiérarchie en fonction de ce qu’ils aiment et ce qu’ils valident, mais après on sait comment les mettre en avant. Et puis comme on a beaucoup de films en développement, on a 25 films en développement, on co-développe avec des producteurs, cela nous permet aussi très en amont de s’impliquer sur des projets, sur l’adaptation d’un bouquin, traiter un synopsis.

Du coup prenez vous un risque? Parce que finalement on vient avec un projet et vous ne savez pas si ça va marcher, mais que vous arrivez à compenser comme vous avez tout votre parc de salle ?

 C’est pas tout à fait vrai. Nous n’avons pas de problème d’argent. Jérôme Seydoux a beaucoup d’argent, les salles nous donnent un certain volume, c’est colossal d’ailleurs, donc en consolidant si vous voulez, on est toujours positifs. En revanche, on a une logique, on fait partie de Pathé films, enfin Pathé films et distribution, qui ne sont pas en rapport avec les salles, donc le groupe Pathé si tu veux est positif, mais nous on se concentre sur notre compte de résultat de distribution, et notre responsabilité est là-dessus. Donc on s’occupe, enfin à titre personnel et Thomas non plus des salles. L’objectif ici c’est quand même d’être positif sur la distribution, ce qui n’est pas le cas depuis un certain temps, on n’est pas un poste de coût, en théorie, on n’a pas vocation à être la dépense pour faire joujou et avoir des jolis films pendant que l’argent se fait ailleurs, on a vocation a faire de l’argent avec nos films. Dernièrement ça n’a pas trop été le cas, mais c’est cyclique. C’est à dire que Gaumont allait très mal il y a quelques temps, aujourd’hui ça va bien, c’est comme ça. On n’est pas détendus par le fait qu’on fait de l’argent ailleurs. Enfin, en tout cas, pour Romain et moi, pas du tout.

 Vous dites que parfois, Gaumont va bien, Gaumont va mal. On nous avait expliqué que les distributeurs étaient ceux qui prenaient le plus de risques dans le système de financement du cinéma, donc j’imagine que c’est un peu lié à ça ?

 Oui, un film peut te plomber une année…

 Un film peut vous plomber une année ?

 Ah, oui, bien-sûr. Disons que par exemple, Turf, de Ontoniente, sorti en 2013, très très cher, très peu d’entrées, ça nous a plombé notre année. Voilà. Astérix 3 aux Jeux Olympiques, ça ça a bien plombé l’année… Enfin il y en a plein. Je crois que chez Gaumont, dernièrement, le film de Jean-Pierre Jeunet, ça a été dur pour eux, ils ont perdu beaucoup d’argent, je pense que Grace de Monaco… Bref, il y en a plein.

 Du coup à partir du moment où vous prenez beaucoup de risques, il y a beaucoup de films qui peuvent vous plomber pour une année comme vous dites, cela revient un peu à ce que l’on disait tout à l’heure. C’est à dire que vous êtes aussi obligés de produire beaucoup de films pour être sûr de maintenir le système ?

 Nous, en termes de typologie de films on essaie de faire du management de risques, en étant variés. Voilà, c’est autant par goût personnel que par… Enfin, on n‘est pas comme un studio américain qui va dire « On veut deux blockbusters estivaux, on veut une petite comédie de Noël, on veut deux films d’auteurs par an, tout ça ». Donc on réfléchit un peu à ça, mais de façon très grossière parce qu’on n’est pas du tout dans cette logique de rationalisation, on n’a pas envie, d’ailleurs on est très dépendants des projets qui nous arrivent, donc on n’a pas la capacité de se dire « Voilà, notre line-up c’est tout le temps ça, et on ne va pas y déroger ». Ca c’est une chose. Et la deuxième, c’est que, tu me dis, on prend un peu plus de risques et c’est vrai, et pour revenir à Gaumont, c’est aussi une question de comment tu surfes sur les vagues…

 … C’est une question de comment tu surfes sur la vague. Le spectateur étant très changeant, le public étant très changeant – d’ailleurs il l’a montré ces dernières années -, comme les temps de production sont super longs, c’est difficile parfois de se retourner rapidement. Tu peux avoir en réserve des films qui correspondent au cinéma d’avant et qui correspondent plus aux goûts et aux couleurs actuelles. Résultat tu prends une année en pleine face.

Quels sont ces changements ?

 Alors il y a plusieurs facteurs. Il y a le premier c’est les séries, le niveau d’exigence des gens qui est augmenté par le visionnage de séries. À partir du moment où t’es habitué à voir House of Cards, Game of Thrones, Walking Dead, tout ça… Forcément ton niveau d’exigence en terme de narration, en terme de production, en terme de jeu d’acteur est élevé et forcément quand t’as quelque chose qui est un petit peu moins à la hauteur tu préfères rester chez toi plutôt que d’aller au cinéma. Ça c’est une chose, la deuxième chose c’est qu’avec la crise forcément les gens se renseignent plus sur le film avant d’aller le voir, ils arrivent pas devant le ciné en disant « tiens qu’est ce que je vais voir? ». Non, tu te décides à l’avances, tu te dis « ça j’ai envie de le voir ». Et donc résultat, comme on a accès à l’information de façon beaucoup plus facile qu’avant, ça implique que les gens se renseignent sur les films, voient les bandes d’annonce, connaissent les histoires de tournage en amont. Donc ils sont plus rationnels dans leur décision, on peut moins leur faire « la blague ». C’est à dire que les films mauvais en général ne marchent pas… PLUS. Avant c’était le cas, mais comme les gens sont renseignés et aiment se renseigner. Tu le vois d’ailleurs, il y a très très peu de films mauvais, foncièrement mauvais qui marchent.

Y’a eu « Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu ? »…

 Tu peux considérer que c’est un mauvais film. En revanche, sur son créneau c’en est pas un du tout. C’est à dire qu’il est extrêmement fidèle à sa promesse, il a une logique imparable. Un mauvais film c’est « Boule et Bill » par exemple, mais « Boule et Bill » c’est tellement une marque forte que ça passe au final. Ou « Fiston » qui n’est pas un bon film, mais Kev Adams a une notoriété tellement gigantesque que tu compenses. Il y a de moins en moins d’acteurs qui sur leur nom seul ramènent des foules. Moins en moins de couples d’acteurs qui vont plus ramener des gens en salle .

 Bref, donc il y a ça, après il y a le fait que les gens maintenant aient Netflix, que la VOD maintenant c’est 4 mois après la sortie des films, que les gens sont de mieux en mieux équipés en matériel de son, ils ont des rétroprojecteurs, ils ont des écrans, ils ont des trucs comme ça. Donc la plus-value du cinéma en terme de qualité de projection, enfin la différence entre ça et ce que t’as chez toi commence à se réduire. Résultat, le confort du canapé… Fin nous on lutte constamment contre le confort du canapé et le fait de se dire « dans 4 mois je le regarderai en VOD, qu’est ce que j’en ai à faire ? Je le regarderai en VOD tranquillement ». Et donc il y a certaines typologies de films qui sont sinistrées par ça, notamment le polar français par exemple. Le polar français, quand la veille sur TF1 il y a NCIS ou Esprits criminels ou Les Experts qui sont quand même de bonnes factures en terme d’enquêtes. Les films policiers français, il y a une espèce d’overdose de genre qui fait que les gens n’y vont pas. Voilà, ça c’est quelque chose qu’on a vraiment remarqué. Et c’est pour ça aussi que les films d’auteurs marchent autant aujourd’hui. C’est parce que ces films d’auteurs là sont soutenus par la presse, il y a une notion événementielle de l’ordre de « il faut absolument le voir pour en parler à un dîner ». On arrive à créer un buzz, parce que en plus c’est très différent que ce que propose la télé.

Vous avez parlé de Netflix, chronologie des médias… Ça a changé quelque chose depuis quelques années ?

 Oui…

Parce que Netflix on pas l’impression…

 Non, ça n’a pas changé grand chose.

À court terme ça change sûrement pas grand chose, mais après par rapport à l’avenir. Après en ce qui concerne la chronologie des médias, ça j’ai l’impression que ça a un rôle quand même plus….

 Ah oui, ça change considérablement les choses. Après, nous, de toute façon c’est la structure du financement qui fait qu’on ne peut pas la basculer dans son ensemble. Nous on est extrêmement dépendant des chaînes de télévision. La VOD d’un autre côté c’est nécessaire, nous aussi on va se mettre à un moment à la sortie directe VOD ou des séances de cinéma en ligne parce que il y a un moment c’est factice et les gens s’en rendent compte. Et un moment ils attendent la sortie en VOD et ça nuit à la sortie de salle.

(Interruption pour aller régler une affaire professionnelle)

Donc pour en revenir où on en était, qu’est ce que justement vous pensez de la chronologie des médias ? Comment elle influence votre rôle ? Au final vous pensez pas que c’est trop régulé au niveau de la chronologie des médias et que ça tue les exploitants de salle ?

Si si, mais après ça tue aussi… C’est à dire que là on a des grosses discussions avec Canal pour le dégel des fenêtres. Donc vous savez qu’il y a la fenêtre VOD qui s’ouvre 4 mois après la sortie, que derrière y’a la sortie de Canal qui… c’est 10 mois, oui. Et pendant cette fenêtre de Canal qui est de 12 mois on n’a pas le droit d’exploiter la VOD et donc c’est problématique pour les distributeurs. Mais bon, on est en train de voir étant donné que Canal essaie de revoir ses conditions d’investissement, on essaye d’obtenir le dégel de ces fenêtres pour pouvoir exploiter la VOD. De même, France 2 essaie d’avoir la « catch up » comprise dans ses droits de diffusion. La « catch up » c’est la télé de rattrapage. Quand tu as une émission, tu as le droit 24 à 48h après de la voir. France 2 essaie d’obtenir la « catch up » sur tous ses achats de droit de film pour obtenir que dans le créneau qui est le sien de diffusion des films les gens puissent voir en dehors des grilles de programmation. Et ça ça a un prix, ça dévalorise la valeur catalogue d’un film parce que plus il est diffusé, moins il va rapporter d’argent. Après je pense que c’est inévitable, notamment la VOD. Oui certes, ça fait un peu de mal à la salle, mais d’un autre côté, plus la salle est forte plus la vidéo et la VOD sont fortes… Enfin ça se nourrit énormément.

Donc finalement, vous n’avez pas l’impression de lutter contre ce système de chronologie des médias ?

 Le truc, c’est que je pense que ça préserve énormément les films parce que nous avons évidemment besoin de la salle. Mais la valeur catalogue est extrêmement importante. Et pour maîtriser cette valeur catalogue il faut espacer les diffusions télé, on a vraiment besoin de cela.

Une question un peu plus économique. Au final tout ça se résume à des incertitudes de marché, des prévisions de risque, je me demandais qui sont les personnes qui travaillent ici ? Est-ce qu’il y a des économistes qui travaillent justement sur la prévision des risques du marché ?

 Alors chez studio Canal ils ont un département d’étude qui leur fait des études de risque qui essaient de prédire les grandes évolutions de marché. Ils sont à la commande, on leur demande des études. Nous n’avons pas cela, après on a tous un background commercial. Ce qui ne veut rien dire, mais Romain a fait HEC, moi j’ai fait l’ESSEC, on a un gros département business/affaire. On n’est pas à l’ouest en terme financier, en terme de grosses évolutions de marché. Et puis voilà, notre directeur général c’est un énarque, Normal Sup’, enfin là encore ça veut rien dire. La formation ne veut rien dire, mais c’est vrai qu’on est préoccupés par ça : l’évolution du marché et le profil de risque. Pour vous dire, nos deals sont extrêmement complexes, c’est de l’ingénierie financière, on est dans des systèmes de deal qui sont qui sont compliqués et dans une maîtrise du risque qui… Voilà, on essaie de s’adosser à des fonds d’investissement qui vont diminuer notre risque en partageant l’investissement. On essaie de travailler avec Ciné France. C’est un fonds qui a été créé il n’y a pas longtemps, il faut que vous creusiez un petit peu de ce côté là. C’est un fonds qui a été créé par Neuflize la banque il y a quelques années et qui co-finance les investissements des distributeurs en obtenant une rémunération parallèle de la récupération du distributeur et qui a pour pitch de vente à ses investisseurs de faire baisser les cachets de vente des talents. L’idée c’est « si le producteur arrive à faire baisser le cachet des talents,les mettre en participation d’avantage dans une démarche éthique, à ce moment là ils investissent et ils diminuent le risque.”

Il y a toujours cette idée de faire baisser le cachet des talents en fait…

 Oui parce que en le « above the line », on appelle ça le dessus de ligne en français, c’est toute la partie rémunération des talents et du script dans le devis. C’est la ligne de passage du poste 1 au poste 2. Donc voilà, aujourd’hui nous avons calculé que c’était entre 25 et 30% des devis donc forcément, quand un coût de fabrication est incompressible, la seule chose qu’il est possible de faire varier c’est le cachet des talents et des producteurs.

Et est-ce que vous vous appuyez sur des dispositifs techniques, des outils de mesures, des indicateurs pour calculer le salaire des acteurs sur les autres parts du budget ?

 Non mais moi je fais travailler mon stagiaire sur ça, sur les grands ensembles, sur des tableaux d’études quand on en a besoin. Mais je pense que Studio Canal le fait beaucoup plus. Enfin, moi je suis opérationnel aujourd’hui. Je suis opérationnel et pas stratégique. Donc ce n’est pas mon boulot. Moi mon boulot c’est de faire remonter les infos du marché à ma hiérarchie. Mais c’est pas de réfléchir à la stratégie il y a 10 ans de Pathé. Il y a des gens qui doivent faire ça, c’est Jérôme Sédoux, Marc Lacan et Romain Legrand. Mine de rien Jérôme Sédoux il le fait souvent, mais il fait peu redescendre l’information. Donc on est un petit peu dans un flou de ce que sera Pathé à l’horizon de 5 ans. Et probablement enfin, ça nous est arrivé de faire appel à un cabinet de conseil pour des missions autant sur la structure organisationnelle que sur l’évolution de la boîte et les indicateurs dont tu parles. Le truc c’est que indicateurs certes on peut en dresser mais nous à chaque fois qu’on va décider de faire un film ou pas. Donc on va effectivement décider quel acteur a plus de notoriété ou pas, on va pas faire des films en se disant : les films qui font le plus d’entrée statistiquement c’est les films entre 5 et 7 millions d’euros qui parlent de racisme et qui ont deux acteurs connus dont un noir et un blanc. Ça a aucun sens de raisonner comme ça, faut pas rationaliser à ce point. En revanche, il faut se dire en gros qu’il y a les acteurs qui sur leur nom ramènent des gens. Les sujets qui sont anxiogènes c’est tel, tel, tel truc. Donc voilà, on a pas ce niveau de technicité j’ai l’impression.