Super Size it: L'opulence du système de financement du cinéma

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Entretien avec un producteur de cinéma et de télévision

Lors de l’entretien, notre interlocuteur à notre écoute, soucieux de répondre à toutes nos interrogations a permis un échange très positif et constructif.

1) Compte-rendu:

1.La conception d’un film, plusieurs étapes:

  •  la recherche de « la bonne idée au bon moment »: rédaction du pitch
  • écriture du scénario
  •  recherche du casting
  • recherche des sources de financement
  • vente du film à un distributeur
  • diffusion en salle

2. Le rôle des divers protagonistes et des financeurs:

  •  producteur: maître d’oeuvre du projet qui sélectionne l’ensemble des personnes aux postes clés du film
  • distributeur: distribue le film en salle puis sur d’autres supports en France et à l’étranger
  •  les chaînes de télévision payantes et non payantes
  •  les régions et les crédits d’impôts
  • les SOFICA et les fonds ISF (TEPA)
  • le CNC et les avances sur recettes: un mécanisme sélectif

Devis d’un film et postes de dépenses:

     1/ Écriture (dépenses relatives aux droits d’auteurs)

     2/ Salaires

     3/ Interprétation

     4/ Charges patronales et sociales

     5/ Moyens techniques

     6/ Laboratoires

     – enfin, les assurances, les publicités et les frais d’éditions

  • ainsi, plus certains postes de dépenses sont importants plus les arbitrages sont nécessaires

3. Constats et idées relatives à l’amélioration du système de financement du cinéma:

  • satisfaction des mesures prises à l’issue du protocole de transparence: régulation de l’État utile mais suffisante
  • handicap majeur du cinéma français: la surproduction
  • acteurs en position de force quand les films se montent sur leur nom alors qu’ils ne garantissent pas forcément un nombre d’entrées minimum en salles
  • critique de la tradition française selon laquelle un film est obligé de sortir en salles pour être considéré comme tel
  • comparaisons avec le cinéma américain qui diffuse certains films directement en DVD

2) Verbatim

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Il a commencé à prendre la parole:

« Dans ce milieu ce qui prévaut, c’est le projet. C’est un des propres du producteur, d’avoir le bon sujet, la bonne histoire, au bon moment. Après il faut trouver les bons auteurs avec la bonne histoire. Donc quand vous avez ça, ça peut être une idée, un auteur qui vient vous voir avec un pitch.

Qu’est-ce que vous appelez un “pitch” ?

Ce sont quelques pages, de temps en temps quelques lignes: une très bonne idée. La première étape consiste à trouver l’idée. Ça peut être aussi un livre.

La deuxième consiste à trouver les bons auteurs pour pouvoir écrire un scénario qui tienne la route. Mais ici on rentre dans des choses un peu plus cartésiennes, parce qu’il y a les auteurs qui savent écrire de la comédie, du polar, ceux qui savent faire les deux, ceux qui sont plutôt forts en terme de structure, ou en terme de dialogue, ceux qui ont la côte, ceux qui ne l’ont plus. Ce sont des choses que l’on est censé connaître. Et une fois que vous avez la bonne histoire, bien écrite, vous devez trouver un réalisateur. La personne qui va réaliser ce film peut être le scénariste, donc une seule et même personne ou une personne différente. Vous montez ensuite votre casting et trouvez le financement pour pouvoir faire le film.

Quel est le rôle du producteur ?

Le producteur c’est ce qu’on appelle le maître d’oeuvre, l’architecte de l’ensemble du projet. Il donne une cohérence, une énergie, une direction à l’ensemble des personnes et leur permet de s’entendre pour travailler ensemble. Il choisit également les personnes qui vont être aux postes clés de la production. Donc c’est la partie formelle du métier et il y a une autre chose qui consiste à vendre votre projet et d’aller trouver les sous pour pouvoir faire votre film.

Alors, il y a une différence entre la fiction et le long métrage sur le plan financier. En fiction nous avons qu’un seul partenaire financier, on produit une série pour France 2, TF1 ou Canal par exemple. La plupart du temps ce diffuseur est seul. À l’inverse, en long métrage, on a plusieurs partenaires financiers.

Autre différence: en général en long métrage vous montez un financement avec un casting. Aujourd’hui, en plus de votre idée, votre script, les principaux décideurs qui viennent mettre de l’argent dans votre film vous demandent aussi de venir avec un casting la plupart du temps. Ce n’est pas le cas en fiction où on décide de partir en production sur la base d’un scénario. Le casting ensuite on le choisit ensemble mais la décision de partir en production très souvent n’est pas liée au casting.

En long métrage, et notamment sur les gros films elle est liée au casting. Cela signifie qu’une fois que des agents et des comédiens ont donné leur accord pour venir dans votre film, vous allez démarcher les partenaires financiers. Une fois que les partenaires financiers vous donnent leur accord, vous vous retrouvez dans une logique de négociation du tarif de ces artistes. Donc ces artistes se retrouvent nécessairement dans une position de force. La polémique Vincent Maraval vient de là. C’est à dire qu’aujourd’hui on est dans un système où les films se montent trop sur les noms de comédiens, ces comédiens en usent et abusent.

Les producteurs se retrouvent assez souvent otages de comédiens qui ont demandé des cachets qui deviennent trop importants. Alors qu’aujourd’hui, le fait de donner beaucoup d’argent à un comédien ne garantit pas le fait que vous allez avoir beaucoup d’entrées en salles. Puis nous sommes aussi dans un système où comme dans l’ensemble de l’économie, l’argent est difficile à trouver et les budgets ne sont pas illimités. Ainsi, plus le salaire d’un comédien est important, plus vous risquez de faire des arbitrages et de limiter l’argent que vous allez donner aux autres comédiens, dans les décors, dans le tournage, et autres dépenses.

Les dépenses pour faire un film correspondent aux coût de l’écriture, des techniciens …

Qu’est-ce que comprend le coût de l’écriture ?

Le coût de l’écriture comprend les droits d’auteur que vous donnez au scénariste, ceux que vous donnez au réalisateur, aux musiciens: c’est tout ce qui relève des droits d’auteurs.

Le deuxième poste ce sont les salaires. Les salaires ce sont le salaire du réalisateur, car le réalisateur touche en plus des droits d’auteurs, un salaire, mais aussi du directeur de production, de l’équipe de la production, de la machinerie, de l’équipe des décors, de toute l’équipe des costumes, de la lumière, de tous les techniciens qui contribuent à faire qu’un film existe.

Le troisième poste c’est l’interprétation: c’est le montant des cachets que vous allez verser à vos comédiens.

Le quatrième poste ce sont les charges patronales, les charges sociales.

Le cinquième poste ce sont, ce qu’on appelle les moyens techniques, c’est à dire les caméras, tout ce qui est lié à la lumière, à la machinerie, à l’électricité, à la post-production, au montage, aux matériels techniques que vous êtes obligés de louer pour fabriquer votre film.

Le sixième poste ce sont les laboratoires, soient les moyens techniques, l’ensemble des frais que vous dépensez pour traiter les images. Et puis vous avez les assurances.

Et concernant les publicités ?

Oui il y a aussi les frais de publicité, les frais de promotion. En cinéma, la plupart des frais de promotion sont à la charge du distributeur mais je vais vous l’expliquer plus présisement après.

Donc voici l’ensemble des postes. Ainsi, plus votre poste 3, l’interprétation, est élevé, plus on est obligé de faire des arbitrages et de diminuer les autres postes, c’est inévitable.

Ensuite, vous avez deux possibilités: soit vous écrivez votre scénario tout seul dans votre coin, soit, si un studio est d’accord pour distribuer votre film, vous co-développer le projet avec un studio. Un studio c’est Pathé, Gaumont, SND, UGC: ce sont des grosses sociétés de productions et de distributions françaises. Elles sont à la fois distributeur et co-producteur du film. Elles vont co-développer l’écriture avec vous l’écriture, choisir le nom de l’auteur, du scénariste.

Ensuite on demande à ce scénariste d’écrire. On analyse et on travaille les textes ensemble. Le coût de l’écriture est partagé à 50/50 entre nous et le studio. Une fois que le scénario est prêt, on commence à chercher le casting puis d’autres partenaires financiers.

Donc un distributeur a vocation à distribuer votre film. Premièrement en salle en France, et éventuellement dans les autres pays. Ensuite, on le distribue en DVD, en vidéo, aussi en France et à l’étranger, et puis à la télévision.

En contrepartie d’avoir le droit de faire ça, vous pouvez leur demander de mettre ce qu’on appelle un « minimum garanti ». C’est de l’argent qu’ils mettent en avance de toutes les recettes qu’ils vont pouvoir toucher à l’occasion des entrées salles, des recettes vidéos, des ventes qu’ils vont pouvoir faire ensuite en télévision.

À ceci ils doivent aussi rajouter ce qu’on appelle « les frais d’éditions », ce sont justement tous les frais de publicités, de promotion qui sont liés à la sortie du film. Il faut fabriquer une bande annonce. Vous avez aussi besoin que votre film soit visible à la télévision qu’il soit visible dans les salles de cinéma, qu’il soit visible sur Allociné, qu’il soit visible sur les Colonnes Morris, tout ça a un coût. Vous avez besoin aussi de faire un certain nombre de copies: c’est le distributeur qui choisit le nombre. Plus il fait de copies, plus ça coûte cher. Maintenant c’est de moins en moins le cas car on est passé dans un système numérique, ça ne va coûter presque plus rien, mais ça a encore un coût. Tous ces coûts il les avance donc: c’est la première source de financement. C’est la plus importante. À partir du moment où vous avez ce distributeur, vous avez la garantie que le film va sortir en salle. Cela est fondamental car si le film ne sort pas en salle, ce n’est pas un film de cinéma.

Le distributeur prend donc beaucoup de risques ?

Oui le distributeur prend beaucoup de risques car si le film n’a pas de succès, il ne récupère pas l’argent investi. Une importante partie du risque a été transféré sur le distributeur. Dans un premier temps c’est quand même le producteur qui prend des risques: quand il développe ses films les scénarios ne sont pas gratuits. Au delà de l’argent que vous donnez au scénariste, vous travaillez, et ce travail n’est pas rémunéré.

Assez souvent l’argent du distributeur n’est pas suffisant. En général, il couvre entre 20 et 30% du coût de fabrication. Le reste, vous allez le chercher auprès de votre financier.

Alors les deux autres principales sources, sont les chaînes de télévision, il y a ce qu’on appelle la « PTV » et la « free TV », c’est à dire la télévision payante et la télévision gratuite.

Vous allez nécessairement voir la PTV, Canal, qui investit dans environ 100-120 films par an. Il y a 250 films produits en France chaque année. Canal investit donc sur la moitié des films environ. Si Canal refuse, vous avez toujours la possibilité d’aller voir Orange qui investit encore dans une trentaine de films. Ce sont les deux guichets, sachant que Canal et Orange peuvent intervenir sur un même film aussi. Donc avec la PTV, on arrive à 25% du financement de notre film.

Ensuite vous allez voir les free TV: TF1, France 2, France 3, M6, Arte sont les principales. Quelques chaînes arrivent comme D8 par exemple mais les montants investis par ces chaînes sont aussi variables selon leur part de marché. Il faut savoir que pour un même film avec un même devis, TF1 mettra un montant qui sera plus important que France 2 ou France 3, ou M6. Par ordre de grandeur du plus grand au plus petit c’est: TF1, M6, France 2, France 3, Arte, D8.

De plus, chaque diffuseur à ce qu’il appelle une ligne éditoriale.

C’est plus visible en fiction qu’en cinéma mais c’est normal car en fiction il n’y a qu’un seul financier. À l’inverse, pour un film vous pouvez avoir Canal et France 2: la couleur n’est plus très précise.

Néanmoins, TF1 s’inscrit plutôt dans une ligne éditoriale avec des films très grands publics, très populaires. France 2 s’inscrit aussi dans des films populaires mais peut être de temps en temps avec un discours plus sociétal. France 3 a une ligne éditoriale aujourd’hui très film d’auteur comme Arte. D8 s’inscrit plutôt dans une ligne éditoriale de films grands publics. Chaque chaîne cherche à acheter des droits de diffusion pour pouvoir alimenter leur grille qui correspondent à leur ligne éditoriale.

La différence entre la PTV et la free TV c’est que l’argent que met Canal correspond seulement à des droits de diffusion: la contrepartie de l’argent qu’il donne pour financer votre film, c’est le droit de diffuser le film sur les antennes de Canal + quelques mois après la sortie du film.

Dans toutes les autres chaînes free TV, TF1, France 2, France 3, ce montant est réparti entre des droits de diffusion sur leur antenne et ce qu’on appelle une part de co-production.

Qu’est-ce qu’une part de co-production ?

Une part de co-production, signifie qu’ils deviennent co-propriétaires, co-actionnaires avec vous du film. Je prends un exemple: une chaîne vous donne 1 million, en contre partie de ce million, le droit de diffuser. La chaîne va arbitrairement repartir ce million entre 600 000 euros en droit de diffusion et 400 000 euros en part co-pro. Les 600 000 euros payent le droit de diffuser le film sur leur antenne, les 400 000 euros c’est un investissement en part co-producteur qui lui donne le droit d’avoir des royalties. Ce sont des recettes nettes par producteur, des dividendes du film, si le film devient bénéficiaire.

Concernant le distributeur, en contre partie de l’argent qu’il vous donne il peut lui aussi demander d’être co-actionnaire du film. C’est de plus en plus fréquent.

Comment se rembourse le distributeur ?

Le distributeur encaisse 100% de l’argent au début. Il ne redistribue l’argent aux autres qu’à partir du moment où il s’est remboursé lui, en plus de ses commissions.

Et les commissions c’est… ?

C’est élevé. Déjà sur la salle, c’est du 30%.

Alors quelles sont les autres sources de financement ?

Alors, effectivement, il y a d’autres choses. Il y a les régions. En général il y a des commissions, qui ont lieu entre 3 et 4 fois par an, vous leur présentez votre projet, et vous essayez de toucher des subventions qui sont liées aux dépenses que vous allez effectuer sur leur territoire. Sur le plan économique c’est très rentable: on loue des chambres, l’activité génère de la TVA. C’est un échange: on a de l’argent si on tourne chez eux.

Ce n’est pas systématique, mais on essaie toujours d’obtenir une subvention de la région. Certaines subventions régionales se font en contrepartie de dépenses qui sont réalisées. D’autres régions en plus demandent à être co-producteurs, et ils prennent quelques points.

Et dans ce cas-là vous êtes obligés d’accepter, lorsque vous voulez vraiment tourner sur ce territoire précis ?

Oui, oui, c’est dans leur statut mais ça dépend du nombre de points. Qu’ils soient à 5% ou à 1%, ce n’est pas pareil.

Vous avez aussi ce qu’on appelle les SOFICA. Ce sont des organismes qui collectent de l’argent de particuliers qui veulent investir dans le cinéma. Cet argent que les particuliers placent est dé-fiscalisé. En contrepartie, ils investissent dans le cinéma via des gestionnaires de SOFICA. On a une quinzaine  de SOFICA en France, vous allez les rencontrer, il y a un comité de lecture, ils regardent, ils acceptent ou pas d’investir dans le film.

Ils ont ce qu’on appelle des couloirs de remboursement, c’est à dire qu’ils sont prioritaires. En contrepartie de cet argent qu’ils vous donnent, ils demandent à être très vite remboursés comme les distributeurs. Il y a donc des guerres dans votre financement entre les couloirs que demandent les distributeurs et les couloirs que demandent les SOFICA.

Donc on a un ensemble de subventions via le CNC.

Vous avez d’abord tout un arsenal de subventions qui sont des subventions dites sélectives. C’est à dire à la fois pour financer votre écriture et votre production, il y a des guichets d’ordre sélectif avec des commissions qui lisent votre projet, et qui disent si ça leur plaît. Si oui, elles vous donnent des fonds. Et les sommes sont loin d’être négligeables.

Pour l’écriture, on peut avoir jusqu’à 50-60 000 euros. Pour la production, c’est ce qu’on appelle l’avance sur recettes ça peut monter jusqu’à 400-500 000 euros. Donc  les montants sont parfois très importants. Ils ont plutôt tendance à se positionner sur des films d’auteurs, des films dans lesquels le producteur n’arrive pas à trouver de distributeur. Ils partent du principe que les films grands publics sont des films qu’on peut monter plus facilement que des films un peu plus pointus. Donc ils ont plutôt tendance à privilégier des films qui auraient plus de mal à être commercialisés.

Comment les membres des commissions arrivent-ils à s’accorder sur le choix des films à financer ?

Ils ne sont pas toujours d’accord. Les comédies sont quand même assez peu privilégiées. Les genres qui sont plutôt aidés sont des films en général un peu moins grand public, que ceux que l’on voit.

Le genre qui est sur-représenté au cinéma aujourd’hui, c’est la comédie. Si vous arrivez avec des comédies populaires, plus vous avez de chances de pouvoir monter votre film. Le polar aujourd’hui est assez peu représenté, quoiqu’il y en ait quelques uns qui sont sortis récemment. Pourquoi ? Parce qu’il y a beaucoup de polars à la télévision, de séries policières très bien faites. Donc vous voyez déjà tellement de polars à la télévision que vous avez peut être un peu moins envie d’aller en voir au cinéma.

Et donc, le CNC a plutôt tendance à favoriser le drame, le drame psychologique, la tragédie… La comédie est un peu moins représentée sauf si on est sur de la comédie très audacieuse, un peu cynique, ou déjantée.

Donc le rôle du CNC est de ré-équilibrer les choses ?

Oui le CNC a une vocation qui est de permettre à des films, qui via un système purement commercial ne pourraient pas exister, de faire en sorte que toutes les écritures puissent avoir un droit au chapitre dans ce pays. Parfois ça dépend aussi des producteurs, certains l’ont, d’autres ne l’ont pas.

Oui, donc ils ne sont pas complètement neutres ?

Ils essaient d’être objectifs, ils essaient d’être impartiaux. Maintenant, ils ont quand même une vocation, et ils le disent ouvertement, à défendre des films qui ne pourraient pas nécessairement voir le jour avec des distributeurs privés si jamais ils n’avaient pas été là. C’est normal, c’est un organisme d’Etat.

Donc ça c’est le mécanisme dit « sélectif », après il y a des mécanismes un peu plus automatiques qui sont propres au fonds de soutien. On ne peut pas y avoir droit tant qu’on a pas produit de films. Quand vous avez produit votre premier film, à chaque fois qu’une place est achetée, cela génère des fonds de soutien sur un compte qui est attribué au nom de votre de société, au CNC. Et cet argent vous pouvez le ré-utiliser pour financer d’autres projets à la fois en écriture et en production.

Est-ce que tous les films peuvent bénéficier de ce type d’aides ?

Oui, tous. Tous les films que vous produisez, plus vous faites d’entrées, plus vous allez générer de fonds de soutien, et ce fond de soutien vous allez pouvoir le réutiliser pour financer vos prochains films. C’est un compte au CNC qui est crédité. Ça vous finance qu’une partie du projet et en cas de production, une partie de ce qu’on appelle le « salaire producteur », votre rémunération.

Il y a également le crédit d’impôt. Ce crédit d’impôt a été mis en place il y a une dizaine d’années, pourquoi ? Parce qu’entre les 35h et les taux de charge patronales qui montent jusqu’à 60-65%, on avait un phénomène de délocalisation de plus en plus fort. En plus, il y avait l’émergence des pays d’Europe de l’Est, qui sortaient de l’ex-URSS, avec quand même une culture cinématographique, donc on allait tourner en Bulgarie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie.

Est-ce que cette mesure a été efficace ?

Oui, ça a été efficace puisque ça a aidé à rapatrier un certain nombre de tournages en France. Ce système était aussi utilisé par les autres pays, alors via un autre mécanisme qui s’appelle le mécanisme de « tax center », qui est un peu plus privé, mais qui revient à la même chose.

Ce crédit d’impôt, permet de financer, 10-12% d’un film. Il est proportionnel à toutes les dépenses françaises que vous avez faites.

Voilà pour les sources principales de financement. Donc vous voyez, c’est assez compliqué. Il y a beaucoup de gens à convaincre, et tous ces gens ont besoin d’être rassuré. Vous avez un casting, ces gens sont frileux, et le fait d’avoir des acteurs  reconnus les rassure. Et donc ils mettent plus facilement d’argent quand vous avez des acteurs dits de « Catégorie A ».

Donc voilà pour le montage financier, après vous avez la fabrication de votre film. Le producteur intervient ensuite avec le réalisateur, ils discutent de l’interprétation, des options qui sont prises, des décors, des choix artistiques qui sont faits. Au début c’est un couple auteur-producteur, puis ensuite on a un couple réalisateur-producteur. Et une fois que le film est terminé c’est un couple producteur-distributeur qui entre en jeu. Une fois que votre film est terminé, le distributeur s’occupe de distribuer votre film, il fait des stratégies, des promotions,  un certain nombre de copies, on intervient sur tels médias, sur Allociné, on investit plus sur les Colonnes Morris ou sur les films d’annonces en salle. Il y a toute une stratégie de distribution qui est mise en place. Le producteur est donc au centre.

J’oubliais aussi il y’a ce qu’on appelle des fonds ISF, des fonds TEPA. C’était une initiative de Nicolas Sarkozy qui avait mis en place les lois TEPA. Les gens qui payaient l’ISF avaient la possibilité de mettre leur argent dans des sociétés pour les dé-fiscaliser, ou diminuer leur ISF. C’est le même principe que les SOFICA mais ça fonctionne mieux.

En tant que producteur, quelle est votre position par rapport à la Tribune de Vincent Maraval ?

Ce que disait Maraval je le conçois tout à fait. Les agents et les comédiens ne prennent pas assez de risques: c’est facile de demander 1 million d’euros sans garantir des entrées. Prendre des pourcentages sur les dividendes si le film marche,  d’accord c’est légitime mais les agents disent qu’ils ne les voient jamais remonter. Ils ne les voient peut être jamais remonter parce que les films ne sont pas bénéficiaires et sont déficitaires.

Mais maintenant il y a un système qui permet une répartition transparente, les comptes sont édités par des commissaires aux comptes, via le système du crédit d’impôt. Il y a un système de remontée des recettes et de partage des dividendes qui est maintenant clair, il y a des chartes qui ont été signées, par exemple le protocole de transparence, donc tout ce système est parfaitement transparent justement, c’est plus du tout opaque. Le système est supposé garantir aux ayant-droits que s’il y a des bénéfices, ces bénéfices sont redistribués.

Aujourd’hui il y a beaucoup de producteurs qui travaillent sans être payés. Heureusement que l’on a d’autres productions à côté, sinon ce sont des années de travail gratuites. Il est de plus en plus difficile de gagner de l’argent, les films deviennent de plus en plus chers, il y a de plus en plus de concurrence, on met de plus en plus d’argent dans les films. Il y a aussi de plus en plus de films qui sortent, et ce n’est pas pour ça que les films font plus d’entrées. Donc rentrer dans un système inflationniste, avec des comédiens qui demandent des cachets de plus en plus forts, des producteurs qui se payent de moins en moins: ce n’est pas possible. On demande aux producteurs et aux distributeurs de prendre tous les risques, et tout le monde prend le maximum d’argent. Impossible.

Bon, alors si le système était vertueux, c’est à dire si le système était ultra-bénéficiaire, pourquoi pas ? Mais le système n’est pas ultra-bénéficiaire, aujourd’hui.

Quant aux nombre de films qui sortent en France chaque année, qu’en pensez-vous ?

Savez-vous combien de films sortent en France? 600 films sortent en France. Donc 600 divisé par 50 ça fait 12 films par semaine, 12 nouveaux films qui sortent par semaine. 12 nouveaux films à l’affiche. Donc le marché est complètement saturé. C’est pas le cas aux États-Unis ! Aux États-Unis, en salle, il y a 300 films qui sortent environ.

Comment expliquer cet écart ?

Tout d’abord, on a toutes nos productions françaises: 200-250 films. On a 200 films américains sur notre territoire, sachant que les américains ne sortent pas de films étrangers mais quasiment que des films américains. Donc on a 200 films américains qui arrivent en plus, et on a 200 films qui viennent d’ailleurs. On a un marché qui est très très ouvert, mais après pour pouvoir sortir la tête de l’eau là-dessus, accrochez vous !

Après la publication du protocole de transparence et l’instauration du système de crédits d’impôts, vous diriez que le système du cinéma français se porte mieux ?

On galère. Je pense quand même qu’aujourd’hui il y a trop de films.

Quelles seraient les solutions qui pourraient conduire à des améliorations du système de financement du cinéma français alors ?

La solution serait de sortir moins de films en France, que les distributeurs se régulent entre eux. Il ne faut pas que ce soit de nouveau une intervention de l’Etat, mais que les distributeurs arrivent à s’auto-réguler, à distribuer moins de films en salles en France. Aux Etats-Unis, quand Warner ou Universal trouve qu’un film n’a finalement pas de potentiel en salle, et bien le film ne sort pas en salle. Ils le sortent en vidéo directement. Ainsi, le marché n’est pas saturé. De plus, ça favorise des grosses sorties.

Donc en France on a trop de films, et ça tous les distributeurs vous le diront, 600 films, ce n’est pas possible. À cause de cette saturation, le marché est complètement embouteillé. Il vaudrait mieux qu’il y ait moins de films qui soient un peu mieux financés, et que tout le monde gagne correctement sa vie.

Mais si le système reste tel quel c’est que les distributeurs y trouvent leur intérêt ?

Déjà, on a quand même beaucoup de distributeurs qui sont des filiales de boîtes américaines. Si on regarde le classement de 2014, les premiers, par exemple Twenty Century Fox, Warner, ce ne sont que des films américains. Puis UGC, de façon exceptionnelle, ils sont présents grâce à Qu’est ce qu’on a fait au bon Dieu ? Pathé, ils sont 8ème. Là dedans, il y a Supercondriaque, mais c’est dans la tradition de Pathé d’avoir quand même un très bon film chaque année.

Ensuite, SND, qui est français, c’est M6. Mais SND doit faire 1,5 millions avec les films français, pour 10 millions avec des films américains.

Les distributeurs c’est à la fois eux qui sortent les films, donc ils participent à cet encombrement et en même temps c’est eux qui se plaignent qu’il y a trop de films. Le problème d’un distributeur français aussi c’est qu’il est en compétition avec des distributeurs américains et leurs blockbusters. Pathé, ils font des films français, UGC  également, donc ils sont obligés aussi de sortir beaucoup de films français pour pouvoir aligner. Parce que Pathé, ils n’ont pas accès aux films de Warner.