La Tour Triangle a été encensée dès l’annonce du projet, notamment par l’ancien maire de Marie Bertrand Delanoë en septembre 2008 qui qualifiait alors l’édifice d’exceptionnel, d’une beauté inouïe, nécessaire à l’évolution de la ville de Paris. Elle a été présentée de la sorte par la plupart de ses défenseurs, Anne Hildago qui poursuivra sur cette lancée en qualifiant, quelques années plus tard c’est-à-dire en 2015, la Tour de « belle » mais surtout en harmonie avec l’histoire patrimoniale de la ville de Paris. On constate donc que les mêmes arguments, en faveur de l’image que renvoie la Tour Triangle n’ont que peu varié au fil du temps.
Les avis des détracteurs de la Tour Triangle divergent évidemment concernant la beauté de ladite Tour. Le maire du 1er arrondissement en mars 2013, Jean-François Lagaret, a réagi aux antipodes de Bertrand Delanoë en qualifiant quant à lui la Tour de « laide ». Certains acteurs, en décembre 2014, ne furent pas aussi catégoriques mais plutôt nuancés : belle de près peut-être, mais assez inesthétique de loin puisque constituant une sorte « d’énorme mur opaque ». Quant à la continuité architecturale, encensée par Anne Hidalgo en 2015, elle est inexistante selon les dires de Société pour la protection des paysages et de l’esthétique de la France (SPPEF). En effet, en août 2015, l’association exprima tout son désaccord sur ce point en particulier, jugeant que la Tour ne respectait en aucun cas la continuité esthétique de la ville de Paris et elle n’est d’ailleurs pas la seule : nombre d’acteurs, la même année, ont exprimé leur inquiétude notamment par le biais d’articles de journaux (dont Le Monde, encore une fois) quant à la concordance esthétique entre Tour Triangle et Paris : la plupart des opposants voient un risque de rupture réel, au contraire de ce que soutenait la Maire de Paris, avec la skyline parisienne et son architecture bien trop différente par rapport aux normes, plutôt qu’une adéquation avec l’esthétique de la ville de Paris. En effet, la Tour, de par sa forme, sa hauteur, et tout simplement par sa nature de bâtiment en hauteur ne coïncide pas avec le plan urbain de Paris, Paris étant une ville horizontale plus que verticale. D’ailleurs, des années auparavant, en juin 2013, les parisiens, lors d’un anniversaire de la construction de la Tour Montparnasse, avaient alors exprimé leur souhait quant à des constructions essentiellement en accord avec la skyline parisienne, précisant que les tours ne devaient en aucun cas déroger à cette règle. En 2016, le sous-directeur de l’UNESCO, Francesco Badarin, se joignit au débat du côté des détracteurs, affirmant leurs propos et assurant que Paris était une ville à six étages, dans laquelle une tour n’avait pas sa place. Les associations de protection du patrimoine pointent même un possible déclassement de la ville de Paris, si son harmonie esthétique venait à être brisée par la faute de la Tour.
De nombreux spécialistes soutiennent cette idée de la tour comme cause de rupture esthétique, dans des ouvrages généralistes ne traitant pas uniquement de la ville de Paris mais de la place des tours dans les villes de manière plus générale. Parmi eux figure Thierry Paquot, philosophe spécialiste de la ville pour qui la hauteur signe tout simplement l’arrêt de mort esthétique et architectural d’une ville, créatrice de discontinuités et de rupture.
Parallèlement, il y a aussi de nombreux spécialistes qui voient en les tours un atout non négligeable pour la ville. Jérôme Dubois, professeur d’urbanisme à l’université d’Aix-Marseille est l’un d’entre eux. En novembre 2014, il pointait déjà l’importance des tours dans l’attractivité et la compétition globale des mégalopoles. Cette idée resurgit dans le débat lorsque qu’en juin 2015, conseillers de Paris (Eric Azière, Leïla Diri, Eric Helard, Olga Johnson, Valérie Nahmias, Christian Saint-Etienne, Anne Tachene) ont justifié la nécessité de tours dans Paris telles que la Tour Triangle par le besoin d’améliorer l’attractivité de la ville, de la hisser au niveau des autres mégalopoles, au sens propre du terme : Paris serait bien trop en retard. Il s’agit là d’un des arguments principaux en faveur des tours : en effet, à y regarder de plus près, la plupart des grandes mégalopoles en possèdent aussi, pour ne citer que la skyline tokyoïte ou newyorkaise par exemple, voire même Londres. Le JDD, un site web, avait ajouté, dans le même temps, qu’un Paris sans tours était un Paris en retard par rapport aux autres mégalopoles, et que la tour était donc un symbole d’évolution qu’il manquait à la belle française.
En juillet 2015, en réponse aux conseillers de Paris, les membres du conseil de Paris avaient qualifié ce projet d’un symbole du passé, d’un caprice et d’ailleurs en mars 2014, la candidate EELV Najdovski aux municipales avait d’ores et déjà qualifié cette vision de l’urbanisme de ringarde. Cette vision de la tour symbole d’évolution et de modernité ne semble donc pas être un avis partagé par tous. Cette fois-ci, c’est Paquot Thierry, dans son article Positions, des tours contre la ville qui définit la tour comme « un donjon, expression antidémocratique par excellence, un emplacement artificiel sans rapport avec le ciel, le climat, les éléments, sans aucun enchantement des sens, sans poétique. Un non-lieu mortifiant. » et cette définition est intéressante dans la mesure où elle regroupe en partie les critiques qu’opposent les détracteurs de la Tour Triangle à cette dernière : un donjon, une Tour éloignée de tout, dont l’apparence ne plaît pas forcément, dont l’emplacement ne plaît pas, qui ne serait pas en cohérence avec son environnement et qui serait, qui plus est selon certains, même énergivore. De la même manière, Robin Régine dans L’après-ville ou ces mégalopoles qu’on dit sans charmes traite des mégalopoles que certains supporters de la Tour Triangle prennent en exemple pour justifier sa présence dans Paris et les qualifie de villes génériques, la ville générique étant la ville une fois la culture éliminée, le patrimoine éliminé, les éléments historiques éliminés, et où les tours sont majoritaires. Ou bien, lorsque l’historique persiste, il est « muséifié », et la vraie vie n’y a plus lieu. Enfin, Flonneau Mathieu, dans Notre urbanisme fut un américanisme donne une possible explication de ce refus des tours, qui pourrait justifier l’opposition des acteurs cités plutôt à ce projet : les français n’aimeraient pas, historiquement ainsi que culturellement, l’architecture américaine, et auraient une préférence pour les petites villes et l’architecture américaine, typiquement les tours, susciterait d’ailleurs un certain dégoût chez les urbanistes français et cela depuis l’après-guerre.
Paris ville musée, Paris ville culturelle… Herzog, l’un des deux architectes se chargeant du projet de la Tour, a soutenu en juin 2014 que ce projet devait, justement, montrer que Paris n’était pas une ville musée, mais une ville vivante. Toute cette opposition aurait-elle pour but de figer Paris dans le passé ? C’est que certains soutiennent. Herzog n’est pas le seul à soutenir cette idée : un journaliste de la tribune de Genève semble y a adhéré en stipulant dans un article que la Tour Triangle serait décriée par manque d’audace, tout comme l’avait été la Tour Eiffel dans son temps, mais qu’elle est pourtant ce dont aurait besoin Paris à l’international. Le Figaro, enfin, nous servira de conclusion puisque dans l’un de ses articles, la querelle autour de l’apparence de la Tour Triangle est traitée comme une querelle entre les anciens et les modernes, un Paris traditionnel et un Paris nouveau. A méditer.
Crédit photo (c) la Ville de Paris