Si l’arrivée du privé pour aider à mener les réformes a soulevé des questions autour du contractuel, elle a aussi fait apparaître un terme inhabituel pour la fonction publique, celui de la mesure de la performance.
« Mesurer » la performance ?
Traditionnellement, les administrations se focalisaient sur des indicateurs d’activité mais négligeaient la performance, faute d’outils adéquats pour la mesurer
Un des enjeux majeurs lié aux fonctionnaires est la mesure de leur efficacité. En effet, c’est à partir de là que peuvent ensuite se construire des mesures de réduction des effectifs ou d’optimisation de la fonction publique. Pourtant, cette capacité même à mesurer l’efficacité d’un fonctionnaire est remise en cause, et est un concept relativement nouveau.
Le mot « performance » pour caractériser un fonctionnaire est ainsi employé pour la première fois en 2001 dans le cadre de la Loi Organique sur les Lois de Finances. Cela signifie qu’il faut atteindre « la meilleure prestation au moindre coût » [1]
Cette image de 2007 montre avec humour que les fonctionnaires ne sont pas encore habitués à l’évaluation des performances.
Les fonctionnaires sont traditionnellement évalués selon un système de notation : chaque année, les agents reçoivent une note allant de 0 à 20, qui permet en cas de bonne note d’accéder plus rapidement à des échelons supérieurs et donc d’obtenir des promotions. (les agents publics doivent-ils être évalués sur leurs performances ?). Cette notation a pourtant été critiquée par de nombreux acteurs . En 2007, 60 % des fonctionnaires jugeaient l’évaluation de leur performance trop « arbitraire » et « déconnectée de la réalité » ( SAINT-ONGE & BUISSON M-L., La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche, management international). Les principaux syndicats comme la CGT s’opposaient aussi à cette notation, en contestant les circulaires devant permettre de mieux l’appliquer (tiré du site Internet : wikiterritorial.cnfpt). Enfin, plusieurs rapports officiels montraient l’échec de ce système de notation, les notes étant en fait presque toujours comprises entre 17 et 20, et les éventuelles augmentations de salaire étaient dérisoires (Rapport Silicani: 40 propositions pour réformer l’action publique, tiré du site contribuables.org)
Pour tenter de pallier ce problème, le gouvernement met en place un système d’entretiens individuels à partir de 2006. (loi du 27 janvier 201, relative à la modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles). Pourtant, là encore, les résultats sont contestés, des rapports officiels montrant que les entretiens sont peu pris en compte puisque seule la notation influe vraiment sur l’évolution de carrière ( SAINT-ONGE & BUISSON M-L., La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche, management international). Une des recommandations est alors de rendre ces entretiens vraiment déterminants pour le salaires des fonctionnaires.
Valoriser le travail des fonctionnaires ? Instaurer une prime
Les recommandations seront écoutées successivement en 2008 avec l’instauration de la Prime de Fonction et de Résultats (PFR, généralisée à tous les fonctionnaires en 2011) à montant variable suivant l’implication du fonctionnaire, et en 2009 avec la loi mobilité qui rend plus importante l’évaluation que la notation. L’objectif affiché est de donner plus d’importance au mérite et aux talents (tiré du site wikiterritorial.cnfpt.fr).
Cependant, cette nouvelle prime pose de nombreux problèmes. Pour de nombreux syndicats, et notamment la CGT, elle encourage à l’individualisme dans un secteur d’entraide par nature, et n’exclut pas le risque d’évaluations arbitraires :
L’entretien d’appréciation vise à faire rentrer en force une logique de travail par objectif qui favorise la mise en concurrence entre collègues. C’est une voie dangereuse pour les rapports de solidarité au travail et l’esprit d’équipe (tiré du site cgt.fr).
Elle objecte aussi que l’on ne peut pas demander à des agents à faible responsabilité d’atteindre des objectifs plus élevés, leur réalisation ne dépendant pas d’eux le plus souvent.
Mais ces syndicats ne représentent pas l’avis de tous les fonctionnaires. Ainsi, une grande partie d’entre eux (84 % en 2008) sont favorables au fait que l’évolution de la carrière tienne davantage compte de la performance, notamment chez les jeunes. ( SAINT-ONGE & BUISSON M-L., La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche, management international)
Les premiers retours des effets de cette prime montrent qu’elle introduit aussi des effets négatifs : l’apparition d’une réelle concurrence entre agents a entraîné des conflits de valeur et donc une perte de qualité de service (SZARLEJ M., Droit social, 2013 ). De plus, le caractère aléatoire redouté par la CGT semble effectivement vérifié (rapport Pêcheur, octobre 2013)
Concilier mesure et valorisation
La volonté de mesurer l’implication du fonctionnaire ramène alors à la question première : comment mesure-t-on l’efficacité d’un fonctionnaire ?
Depuis la LOLF, la fonction publique est en effet tenue de se donner des indicateurs de performances et de se fixer des objectifs pour améliorer les performances. La difficulté est alors la suivante :
Le problème, c’est qu’on manque d’instruments de pilotage adaptés car les données qu’il serait intéressant de suivre sont éparpillées ou difficilement exploitables. C’est le paradoxe de notre métier : nous savons évaluer nos élèves mais pas bien la qualité du service que nous leur rendons. (Brillet, F., décembre 2007)
Les cabinets de conseil jouent alors un grand rôle en déterminant les indicateurs importants. Un manager d’Accenture explique ainsi :
Traditionnellement, les administrations se focalisaient sur des indicateurs d’activité mais négligeaient la performance, faute d’outils adéquats pour la mesurer
Mais l’apparition d’indicateurs venus du privé est contestée par les syndicats, en partie car l’optimisation qui en découlerait pourrait mener à des non remplacements des agents partant à la retraite. Ils y voient surtout une optimisation économique, sans tenir compte de l’aspect humain (Brillet, F., décembre 2007).
Les membres des cabinets de conseil en ont conscience et tentent de contourner les problème en impliquant les agents dans les discussions notamment. C’est le cas d’Accenture et de son modèle « public service value » (site d’Accenture)
Comme montré précédemment, les résultats ont été mitigés. Avec l’arrivée à la tête de l’État de François Hollande, la PFR a été supprimée et remplacée en 2014 par une indemnité de fonctions, des sujétions et d’expertise (IFSE), qui garde une part de mérite mais se repose aussi sur l’expérience. La PFR était en effet considérée par la gauche comme la symbole de la concurrence entre fonctionnaires. Si les cabinets de conseil y voient un retour en arrière, cela ne convient toujours pas aux syndicats . Bernadette Groison de la FSU explique :
c’est un bon signal, mais ce n’est pas effectivement l’abandon total de la référence à la performance (La PFR, prime de fonctions et de résultats, laisse place à l’IFSE (emploipublic,fr, C.Cathiard • 07/10/2015 ))
[1]Fillon, F., « Circulaire du 7 juillet 2008 relative à l’organisation de l’administration départementale de l’État », juillet 2008